Charleroi © Belgaimage

Le terrorisme estival de l’EI est « à monter soi-même »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Charleroi après Saint-Etienne-du-Rouvray, Ansbach, Wurtzbourg, Nice, Magnanville, Orlando… La Belgique est, à son tour, confrontée, en cet été meurtrier, au terrorisme « à monter soi-même », comme l’a qualifié en juillet dans une lettre ouverte aux Français Jason Thomas, un chercheur de l’université de Curtin, en Australie.

Pour l’attaque de l’hôtel de police carolo comme pour les six autres épisodes de terreur perpétrés depuis début juin, Daech a rapidement revendiqué l’acte et adoubé son auteur, parfois même sans que celui-ci ait laissé la moindre trace connue d’allégeance officielle à l’organisation. C’est le cas de Khaled Babouri, l’agresseur des deux policières de Charleroi, et de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, le conducteur du camion meurtrier de la promenade des Anglais à Nice (85 morts et 285 blessés).

Des radicalisations tardives

Certains terroristes étaient vierges d’antécédents judiciaires liés au radicalisme musulman soit par dissimulation, soit en raison d’une radicalisation trop soudaine pour être repérée, au point d’instiller le doute sur la nature de leur acte, terrorisme ou tuerie de masse. Il en va ainsi d’Omar Seddique Mateen, le tueur du club gay d’Orlando (49 morts), ou de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, le routier superdragueur de Nice. L’absence d’informations recoupées sur le passé dans leur pays d’origine empêche de décrypter la maturation islamiste des agresseurs de Wurtzbourg (dans un train, 5 blessés le 18 juillet) et d’Ansbach (aux abords d’un festival de musique, 15 blessés le 25 juillet), les réfugiés afghan et syrien, Mohammad Riyad et Mohammad Daleel. Par contre, les autres attentats commis en France cet été sont bien le fait d’individus suspects et connus de la justice pour radicalisme : Larossi Abballa a tué un couple de policiers à Magnanville peu après l’ouverture de l’Euro 2016 en juin, tandis qu’Adel Kermiche et Abdel Malik Nabil-Petitjean égorgeaient un prêtre et blessaient des fidèles le 26 juillet en l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray, près de Rouen.

Le terrorisme estival de l’Etat islamique a donc pu prendre différentes formes. Mais il n’a pas répété le scénario, étudié et préparé depuis le foyer syrien, des attentats de Paris, le 13 novembre 2015, et de Bruxelles, le 22 mars 2016. Les services antiterroristes ont été confrontés, hors les dossiers de Magnanville et de Saint-Etienne-du-Rouvray, à des auteurs inconnus des radars de la lutte contre le radicalisme. Cela n’a pas empêché Daech de s’empresser systématiquement d’en faire des « soldats » de l’organisation à titre posthume. Mais on serait tout de même entré dans une nouvelle phase de l’offensive terroriste islamiste contre l’Europe.

Elle serait désormais menée par ces exécutants que le porte-parole du groupe terroriste, Abou Mohammed al-Adnani, avait exhorté à agir dès septembre 2014 dans un message : « Si vous pouvez tuer un incroyant américain ou européen […], ou un Australien ou un Canadien, ou tout citoyen des pays qui sont entrés dans une coalition contre l’Etat islamique, alors comptez sur Allah et tuez-le de n’importe quelle manière. […] Ne consultez personne et ne cherchez de fatwa de personne (NDLR : avis donné par un spécialiste de la loi islamique). » Cette évolution peut donc marquer soit le chant du cygne de Daech, trop acculé sur le terrain syro-irakien pour encore pouvoir dépêcher des commandos à l’étranger, soit une simple pause dans la préparation d’autres actions organisées depuis Raqqa.

Il n’empêche, « le caractère civil de l’attentat (de Nice), en termes de victimes et par les méthodes employées, est moralement et psychologiquement extrêmement perturbateur, il est source d’entropie (NDLR : désordre) pour la société, pour les organismes de sécurité et pour la réflexion sur le renforcement des lois », insiste Jason Thomas.

Au-delà de la coalition internationale

En outre, les attaques de Charleroi, Saint-Etienne-du-Rouvray, Nice et Magnanville (quatre des sept de l’été) soulignent, s’il le fallait encore, le tropisme franco-belge des sbires de Daech. La coalition internationale contre l’Etat islamique en Syrie et en Irak regroupe pourtant, au titre de son engagement le plus intense, les bombardements, cinq pays européens : outre la Belgique et la France, le Danemark, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Le ciblage de Paris et de Bruxelles dans l’exportation de la terreur s’explique donc par d’autres facteurs que cette dimension géopolitique. Les bataillons francophones de Daech, proportionnellement plus nourris, il est vrai, que ceux issus d’autres pays européens, se sont-ils vus assigner la mission de compenser médiatiquement par des actions spectaculaires sur le Vieux Continent les reculs de l’organisation sur le terrain ? La radicalisation de minorités des communautés musulmanes de la république et du royaume constitue, à cet effet, un terreau propice aux passages à l’acte. Par l’environnement adapté qu’elles offrent aux candidats à des attentats comme ceux de Paris et de Bruxelles et par le vivier d’aspirants autodidactes à des répliques plus « artisanales » qu’elles fournissent.

Cela met en tout cas les dirigeants belges et français au défi de trouver une réponse qui conjugue protection de la population et respect des libertés et de l’Etat de droit. Les réactions très fermes des bourgmestres socialistes de Charleroi, Paul Magnette, et de Verviers, Muriel Targnion, face respectivement à l’agression des policières et à l’appel d’un jeune au meurtre de chrétiens suggèrent qu’un consensus transpartisan n’est plus tout à fait impossible en Belgique.

PAR GÉRALD PAPY

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