La CGSLB et son secrétaire national, Olivier Valentin, veulent prouver qu'un vrai tax-shift est disponible. © FILIP DE SMET/BELGAIMAGE

Le syndicat libéral s’attaque aux plus riches

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Le Vif/L’Express dévoile le modèle fiscal proposé par la CGSLB. Son originalité : taxer progressivement tous les revenus du patrimoine pour diminuer la charge sur le travail. Son atout : pragmatique et applicable tout de suite. Allô, le gouvernement ?

C’est un beau pavé que le syndicat libéral jette dans la mare fiscale où surnagent les partis de la majorité. Alors que le gouvernement fédéral vient péniblement d’accoucher de la taxe sur les comptes-titres, toujours suspendue à l’avis du Conseil d’Etat, la CGSLB, elle, propose son modèle d’impôt, qui risque de décoiffer plus d’un libéral. Le moment choisi pour le présenter n’est pas anodin. A quelques jours de la grève décrétée par la CGSP ce 10 octobre, c’est quasiment un hasard. A quelques jours du discours de politique générale du Premier ministre, Charles Michel (MR), devant la Chambre, c’est carrément délibéré.

Le syndicat bleu travaille sur sa réforme fiscale depuis quelques années, avant même la naissance du gouvernement actuel. Le secrétaire national Olivier Valentin se souvient avoir rencontré Charles Michel dès 2014, alors que celui-ci n’était que futur Premier ministre, pour lui faire part des exigences d’équité fiscale de la CGSLB.  » Trois ans plus tard, nous constatons que le tax-shift de la suédoise n’est qu’un tax-cut qui consiste seulement à réduire les cotisations pour les entreprises, fragilisant la sécurité sociale, et non à opérer un véritable glissement entre les bases taxables, comme promis « , déplore Olivier Valentin. Bref, ce n’est clairement pas la réforme attendue. Même la nouvelle taxe sur les comptes-titres, la CGSLB doute fort qu’elle ait l’effet escompté : pour elle, la recette estimée de 254 millions d’euros ne sera jamais atteinte, car la taxe ne vise que 5 % des comptes-titres.

Ne se contentant pas de critiquer l’équipe Michel, le syndicat libéral veut prouver qu’un vrai tax-shiftest possible, en partant de l’idée que la charge la plus lourde doit être portée par les épaules les plus larges. Il n’annonce cependant pas le grand soir, ni le coup de massue pour les nantis, et c’est ce rationalisme qui donne tout son intérêt à la proposition.  » Nous ne voulons pas lancer un impôt sur la fortune, explique Arne Geluykens, responsable du service d’étude du syndicat. Notre idée est de traiter les revenus du travail et ceux du patrimoine de manière plus équitable, sans porter de jugement moral sur le fait de posséder un patrimoine. Il n’est pas normal que les revenus du travail soient taxés beaucoup plus lourdement que ceux du patrimoine. « 

Le syndicat libéral s'attaque aux plus riches

Le système fiscal avancé par la CGSLB n’a, a priori, rien de neuf. Le Dual income tax (DIT) est une idée chère au CD&V. Il existe depuis les années 1990 dans les pays scandinaves, où il a fait ses preuves. L’idée : distinguer les revenus du travail et ceux issus du patrimoine. Dans le premier pot, les revenus du travail sont taxés de manière progressive, selon différentes tranches, à l’instar de notre système fiscal actuel. Dans le second pot, tous les revenus du patrimoine sont imposés à un taux fixe, sans régime d’exception. En Norvège, par exemple, ce taux est de 27 %. Cela a l’avantage de rendre l’impôt plus simple pour l’ensemble des revenus. Chez nous, aujourd’hui, certains revenus du patrimoine ne sont pas du tout taxés. Les autres le sont à des taux variés.

L’originalité de la proposition de la CGSLB provient du système de Dual income tax suggéré, dans lequel tous les revenus du patrimoine (intérêts, dividendes, produits dérivés, plus-values d’actions, revenus locatifs nets…) seraient aussi taxés de manière progressive avec, néanmoins, des taux d’imposition moins élevés que ceux appliqués aux revenus du travail. Il s’agit donc bien d’un fameux pavé lancé dans la mare fiscale. L’argument du syndicat libéral est, chiffres de la Banque nationale à l’appui, que la plus grande partie du patrimoine est détenue par une petite fraction de la population. Autrement dit : 20 % des Belges les plus riches possèdent 59 % du patrimoine total, 10 % en possèdent 45 %, 5 %, plus de 30 % et 1 % en détient 12 %. Cette répartition serait plus inégale encore si l’habitation familiale n’était pas prise en compte dans le calcul. Voilà pourquoi la CGSLB retient la progressivité aussi pour ce deuxième pot fiscal.

Le hic est qu’on ne sait pas ce que rapporte l’ensemble des patrimoines en Belgique. Depuis la nuit des temps, le gouvernement se montre très avare en matière de statistiques précises sur les recettes fiscales. Le syndicat libéral le souligne dans son étude : notre pays est l’un des pires élèves de la classe européenne en matière d’open data, ce qui n’aide pas les organisations telles que les syndicats à proposer des modèles alternatifs. A défaut, la CGSLB part donc du principe que la répartition des revenus du patrimoine suit la structure déséquilibrée évoquée ci-dessus.

Activez le mode « plein écran » pour découvrir en détails la note du syndicat libéral « Vers un système de Dual Income Tax progressive »

Quatre tranches d’impôt

Elle établit quatre tranches d’impôt : 25, 30, 35 et 40 %. Les deux dernières tranches visent les revenus situés entre 55 % et 70 % du montant total des revenus du patrimoine, soit les 10 % des Belges les plus riches (qui détiennent 45 % du patrimoine global), et les revenus situés entre 70 et 100 % du total, soit les 5 % les plus fortunés (disposant de 30 % du patrimoine global). Pour les autres, la progressivité proposée s’avère neutre, et même un peu plus avantageuse qu’actuellement pour les plus petits possédants, si l’on tient compte du taux actuel du précompte mobilier de 30 %. Seuls ceux qui ont les épaules les plus larges (les 10 %) paieraient donc davantage de taxes qu’aujourd’hui, soit entre 35 et 40 %.

Avec deux exceptions notables : le taux sur les intérêts des carnets d’épargne resterait à 15 %, pour ne pas toucher les petits épargnants, et un taux réduit de 15 % serait appliqué sur les plus-values réalisées sur la vente d’actions de petites entreprises (moins de 50 travailleurs), pour préserver l’entrepreneuriat local.

Un pavé dans la mare des libéraux et du Premier ministre à quelques jours de sa déclaration de politique générale.
Un pavé dans la mare des libéraux et du Premier ministre à quelques jours de sa déclaration de politique générale.© NICOLAS MAETERLINCK/BELGAIMAGE

Plus de six milliards de recettes nouvelles

La CGSLB se veut prudente en prévoyant un dry run (période d’essai) de deux ans au cours duquel il y aurait une obligation de déclaration de tous les revenus, punissable en cas d’oubli, mais le modèle de taxation actuel serait maintenu. Cela permettrait d’affiner les tranches avec les chiffres de revenus réels que détient jalousement le gouvernement et de détecter d’éventuels problèmes. Au bout de dix ans, en vitesse de croisière, ce système devrait rapporter 6,1 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires.

Le syndicat a forcément sa petite idée sur la manière d’affecter cette manne. La première mesure serait d’alléger la charge fiscale sur le travail en élargissant la tranche d’imposition de 40 %. Ainsi les travailleurs tomberaient moins vite dans la tranche de 45 %, soit à partir de 30 000 euros de revenus, plutôt que 22 000 comme c’est le cas aujourd’hui. Autre mesure, pour les plus faibles revenus : la quotité exemptée d’impôt (la part de revenu qui n’est pas taxée) serait revue à la hausse, soit à 10 829 euros dès 2020. Pour les personnes concernées par ces deux mesures, l’avantage fiscal serait de 400 à 511 euros par an.

Pour rappel, dans son tax-shift, le gouvernement Michel envisage, lui, de relever la quotité exemptée, en 2019, de 7 130 euros à 8 785 euros. Une majoration insuffisante et non financée, selon la CGSLB qui, avec ses 6,1 milliards de recettes nouvelles, propose également d’augmenter le niveau d’investissement public. Celui-ci ne représente aujourd’hui que 2,36 % du PIB, ce qui est bien en dessous de la moyenne européenne (2,7 %). La CGSLB le fixerait à 2,8 %.  » Ces mesures visent à faire mieux tourner l’économie, en augmentant le pouvoir d’achat de la classe moyenne, relève Olivier Valentin. On créerait un cercle vertueux.  »

Ce modèle fiscal se veut raisonnable et opérationnel tout de suite. Il n’est pas question d’établir un cadastre des fortunes, par exemple, ce qui prendrait du temps et se heurterait à de nombreux freins politiques et autres. Reste le risque d’évasion fiscale chez les 10 % de Belges les plus riches qui se verraient davantage taxés qu’actuellement. Le syndicat en est conscient.  » Mais je ne pense pas que notre proposition modérée puisse avoir cet effet-là à grand échelle « , considère Arne Geluykens, qui souligne qu’un matelas de sécurité, tiré des recettes supplémentaires, est prévu pour couvrir ce genre de risque. Cette réserve tampon devrait atteindre 500 millions d’euros la quatrième année de la mise en route du système.

Par contre, la CGSLB s’attaque à un tabou politique quasi absolu en voulant taxer les revenus locatifs réels. Excepté le PS qui a émis une proposition pour imposer les  » gros propriétaires « , aucun parti n’a encore osé, jusqu’ici, s’en prendre à ce sanctuaire fiscal. La cohérence du Dual income tax rend la mesure incontournable, comme celle pour les plus-values sur la vente d’actions, plus facile à faire passer vu les propositions du CD&V.

Olivier Valentin tempère :  » La taxe sur le loyer réel remplacerait le précompte immobilier calculé sur la base du revenu cadastral. Pour le propriétaire qui, en dehors de sa propre habitation, possède juste un autre bien qu’il met en location, la note ne serait pas trop salée : 400 à 500 euros supplémentaires par an. Et, vu les mesures d’allègement sur le volet travail, il serait encore gagnant au final.  » La plus-value sur la vente d’immeubles ne serait par contre pas taxée, sauf lors d’une revente dans les cinq ans de l’achat comme c’est le cas déjà aujourd’hui.

Quel accueil les propositions fiscales du syndicat libéral recevront-elles dans le monde politique ? Le secrétaire national n’en sait rien. Il ne l’a encore testé chez personne, pas même officieusement. Pour le MR aussi, c’est donc une surprise. Seul un académique, qui préfère rester anonyme, a examiné et avalisé la faisabilité du modèle.  » Nous ne nous contenterons pas de simplement participer au débat, prévient Olivier Valentin. Il faudra que les politiques se positionnent clairement par rapport à ce que nous avançons.  » La porte est également ouverte aux autres syndicats.

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