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« Le syndicaliste est un gestionnaire de mécontentement »

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Sale temps pour les syndicats, qui viennent de lancer de nouvelles actions: ils ne sont pas à l’abri de désaffiliations et leur trésor de guerre n’est pas extensible. Interview de Jean Faniel, directeur du Crisp et spécialiste de la concertation sociale.

Le Vif/L’Express :Les syndicats viennent de mener de nouvelles actions pour protester contre les mesures d’austérité du gouvernement. Certains vont encore les accuser de débrayer à tout bout de champs. Est-ce un réel travers des organisations syndicales ?

Jean Faniel : Non. Si l’on regarde la journée d’un syndicaliste, à quelque niveau qu’il soit, on voit bien que la grève ne constitue pas sa principale activité. Les dirigeants expliquent d’ailleurs qu’ils passent leur temps à désamorcer certains conflits qui pourraient mener à la grève parce qu’ils estiment que cette arme ne doit pas être utilisée à tort et à travers. La négociation est l’un des principaux leviers d’action syndicale. Il serait d’ailleurs intéressant de comparer le nombre annuel de jours de grève au nombre de journées de travail effectives. On arriverait à des pourcentages marginaux.

Négocier ne devient-il pas une fin en soi, un besoin vital pour les organisations syndicales ?

Le syndicat est aussi une organisation et l’organisation elle-même devient parfois plus importante que les buts poursuivis. Par le passé, il est arrivé aux syndicats de mettre certaines revendications en sourdine parce qu’ils voulaient préserver leur rôle de négociateur. C’est encore plus vrai en période de crise. Ce qui se passe depuis 2013, voire 2011, c’est que les accords interprofessionnels (AIP) deviennent de plus en plus réduits, quand il y en a. L’un des aspects qui compliquent la conclusion des AIP, c’est que la marge salariale est très limitée. Ce qui veut dire qu’il n’y a quasi plus rien à négocier pour les délégués dans les secteurs et dans les entreprises. Or c’est leur occupation principale. L’accord de gouvernement fédéral stipule que l’on va modérer les salaires, notamment via le saut d’index, et strictement contrôler les conventions collectives de secteurs et d’entreprises. Ce faisant, l’équipe Michel envoie comme message aux syndicats que pendant deux ans, au minimum, ils ne vont pas pouvoir négocier. Et ça, pour eux, c’est un vrai problème : non seulement, ils n’engrangent pas de résultat en termes de contenu mais en outre, en termes de procédure, ils n’ont presque plus rien à faire.

Ils pourraient gérer le mécontentement puisque vous affirmez que c’est une de leurs principales missions…

Oui. Sauf que c’est dans un horizon qui parait bouché parce qu’il y a un carcan. Et qu’il leur faut parvenir à faire sauter ce verrou. De toutes manières, la logique syndicale n’est pas de mobiliser pour le plaisir mais pour obtenir des résultats. L’obtention de résultats, donc la négociation, est la condition de leur légitimité.

Le contexte politique actuel ne leur est-il pas particulièrement défavorable ?

Passons en revue les six derniers mois : en automne, les syndicats mettent sur pied un vaste plan d’actions dans l’espoir de bloquer les intentions gouvernementales. Leur but, jurent-ils, n’est pas de faire tomber le gouvernement : ils mettent l’accent sur l’ouverture d’une vraie concertation sociale, sous-entendu avec une marge de manoeuvre. A ce moment, on voit bien que la négociation est le but majeur du plan d’actions. Ce qui confirme que le syndicaliste est un gestionnaire de mécontentement. D’abord, il l’organise, puis il le transforme en résultats à travers la négociation. Le 17 décembre, quelques heures après la grève générale, un mini-accord est conclu entre patrons et syndicats. Le résultat est assez mince. En quoi satisfait-il néanmoins les syndicats ? Par son contenu tout de même et parce que les syndicats y voient une reprise de la concertation. D’ailleurs, en janvier, la discussion sur les hausses de salaire s’enclenche alors que les perspectives de marge sont quasi nulles. Mais obtenir de 0,67 à 0,8 % d’augmentation semble important, malgré le saut d’index. Les syndicats négocient de facto dans une logique de « deux pas en arrière, un pas en avant ». Ils vont ensuite essayer de transformer cette défaite en victoire.

L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :

  • le rôle de la N-VA face à la concertation sociale
  • le risque de démobilisation des affiliés
  • y a-t-il un décalage entre les syndicats et la base ?

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