© F.Pauwels

Le sol flamand aux seuls Flamands

« Walen buiten : Louvain en 1968, BHV en 2010 » est un essai romancé, en partie autobiographique, au coeur de nos tensions communautaires…

C’est l’histoire d’un petit garçon de huit ans qui, dans les années 70, sort avec son papa de l’église de Wemmel. Sur le parvis, une horde de membres du Vlaamse Militante Orde qui gueulent « Franse ratten, rol uw matten ! » (« Rats français, pliez bagages ! ») car ils ont décidé d’interdire les messes en français dans cette commune à facilités.

C’est l’histoire d’un jeune homme de 28 ans qui, dans les années 90, habite Bruxelles et travaille à Anvers. Le lundi 10 octobre 1994, il décide de ne plus mettre un pied à Anvers. La veille, aux élections communales, le Vlaams Blok a fait 28%.

C’est l’histoire d’un homme qui, en 2010, vit et travaille à Bruxelles, et qui publie « Walen buiten », un livre largement autobiographique, pour raconter sa colère, sa frustration, sa tristesse, son incompréhension, son impuissance, son inquiétude devant la haine et les injures des flamingants, l’influence qu’ils ont sur les partis traditionnels qui disent tous à peu près la même chose, et le suivisme d’une population à l’attention de laquelle on a créé les mythologies de la bataille des Eperons d’or, ou des soldats flamands tués sur l’Yser parce qu’ils ne pouvaient comprendre les ordres des officiers francophones. « Il faut une mythologie, des drapeaux et des tambours pour créer un Etat », explique l’auteur, Marcel Sel.

Il a travaillé pour TV Belgiek (RTL-TVI) et pour « Votez Pour Moi ». Son père est un germanophone d’origine italienne, sa mère bilingue français-néerlandais d’origine hollandaise. Un vrai zinneke à l’étroit dans une capitale corsetée, qui aime Gand et la mer du Nord, les castels de la vallée mosane, et les stammeneï (estaminets) de Bruxelles.

« En 1962, écrit Paul, le héros du livre et double de l’auteur, les partis flamands ont exigé qu’on fixe définitivement une « frontière linguistique » qui les préserverait de ce qu’ils voyaient déjà comme une invasion française. Ils voulaient un territoire, ils le voulaient sacré. Ils exigèrent que les communes qui furent autrefois flamandes y fussent rattachées à la Flandre. Des dizaines de milliers de francophones passèrent du jour au lendemain en territoire flamand. » Seules six de ces communes ont obtenu des « facilités linguistiques ». On garantissait aux Belges francophones, qui y étaient majoritaires, l’organisation d’un enseignement fondamental public en français et le droit d’utiliser leur langue dans leurs rapports avec l’administration. « Dès que les facilités furent votées, poursuit Paul, les flamingants entreprirent de les supprimer. Ils exigeaient que le sol flamand leur fût réservé. »

« Nettoyage linguistique » Les vexations et les tracasseries ont alors commencé, les francophones qui avaient besoin de papiers officiels ont dû les demander pour les avoir en français, les bourgmestres et les échevins ont été obligés de s’exprimer exclusivement en néerlandais au conseil communal, puis les conseillers de même. Puis on a interdit aux fonctionnaires communaux de parler français entre eux, puis les enseignants des écoles primaires françaises ont dû prouver qu’ils maîtrisaient parfaitement le néerlandais, puis on a décidé qu’ils seraient inspectés par des Flamands, puis un ministre a refusé de nommer trois bourgmestres parce qu’ils avaient envoyé des convocations électorales en français à des électeurs francophones… « Nettoyage linguistique, on appelle ça… », explique Paul.

Et puis BHV. « Ce vieil arrondissement qui prouvait qu’il y avait bien du bilinguisme autour de la capitale, dans cette Flandre qui se disait pure », écrit Paul. « Pourquoi je suis inquiet ? Parce que les Flamands veulent reconquérir, reflamandiser Bruxelles, répond Marcel, comme ils l’ont fait à Gand ou à Courtrai. Pour le Vlaams Belang, le Bruxellois doit redevenir flamand ou s’en aller. La Flandre, même si elle ne veut pas l’admettre, a besoin de Bruxelles, dont elle a fait sa capitale. Scinder BHV, c’est détacher la périphérie et Bruxelles pour flamandiser totalement l’une, et puis l’autre qui sera alors enclavée dans un territoire unilingue homogène. »

MICHEL DELWICHE

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