Le colonel Eric Kalajzic, commandant en second du Service général du renseignement, un service chargé de sécuriser les opérations militaires et assurer la protection des personnels, matériels et infrastructures de la Défense. © DEBBY TERMONIA POUR LE VIF/L'EXPRESS

Le Service du renseignement et de la sécurité de l’armée sort de l’ombre

Les services de renseignement ont dû se remettre en cause après les attentats du 22 mars 2016. Le plus discret d’entre eux, le SGRS, a répondu aux questions du Vif/L’Express, brisant le silence de la Grande Muette.

Issu d’une famille modeste de Seraing, d’origine croate côté paternel, le colonel Eric Kalajzic, 53 ans, est le commandant en seconddu Service général du renseignement et de la sécurité des forces armées (SGRS, environ 600 personnes, dont 20 % d’agents civils). Moins connu que son homologue civil, la Sûreté de l’Etat, le service dépend directement du ministre de la Défense. Dirigé par le lieutenant-général aviateur Claude Van de Voorde, le SGRS a accès à divers moyens de collecte au sein de l’Otan et de l’armée avec, entre autres, les 675 militaires du bataillon Intelligence Surveillance Target Acquisition and Reconnaissance (Istar). Sa mission principale consiste à récolter du renseignement pour mener et sécuriser les opérations militaires et assurer la protection des personnels, matériels et infrastructures de la Défense. En bonne intelligence, il élabore aussi des scénarios qui permettent aux dirigeants politiques et militaires de s’orienter dans le brouillard de l’actualité.

Le colonel Kalajzic est l’un des rares francophones présents dans le milieu sécuritaire belge. Il s’est engagé à l’Ecole royale des cadets, une école visiblement regrettée dont sont issus beaucoup de hauts responsables militaires actuels.  » Je me suis inscrit juste avant mes 15 ans, dans un idéal de service « , précise-t-il. Ensuite, ce furent l’Ecole royale militaire, puis une formation spéciale en psychopédagogie à l’université de Liège et un master en science des conflits et du développement à l’université de Gand. Lui qui voulait être pilote est devenu  » toutes armes « , avec une vision à 360° sur la formation des recrues et les affaires du monde. Il a participé à de nombreuses missions à l’étranger. En tant que directeur des hautes études de défense à l’Institut royal supérieur de défense, il a introduit le travail en syndicats (des petits groupes de travail animés et accompagnés par un coach) ainsi que les classes inversées (étude des cours chez soi, exercices d’application en classe).  » On oublie souvent que beaucoup d’innovations viennent de l’armée, comme Internet par exemple « , sourit-il. Muté au SGRS en 2012, le colonel Kalajzic en est devenu le numéro 2, fin 2016. Ce mois-ci, il rejoint le Mali dans le cadre de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). Vu le nombre des pays partenaires de la mission, il sera un diplomate de l’ombre et ses hommes, les yeux d’Argus du détachement belge. Le Vif/L’Express l’a rencontré alors que la commission d’enquête parlementaire sur les attentats du 22 mars 2016 s’achève à petit feu sans avoir révolutionné l’architecture de sécurité.

On oublie souvent que beaucoup d’innovations viennent de l’armée, comme Internet par exemple »

Qu’est-ce qui a changé pour votre service depuis les attentats de Bruxelles ?

Le Centre de fusion de l’information a été mis en place à Bruxelles pour accélérer le partage et la circulation des informations. La Sûreté de l’Etat et le SGRS y participent en collaboration étroite avec le parquet fédéral et le parquet général de Bruxelles, l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (Ocam), la police fédérale et la DR3 de la police judiciaire fédérale de Bruxelles. Une évaluation plus globale de ce dispositif permanent est réalisée avec mes homologues tous les quatre ou six mois. Désormais, les services de renseignement ont un accès plus facile aux dossiers judiciaires  » terrorisme  » et les magistrats, comme les enquêteurs, obtiennent plus rapidement les éléments qui peuvent les intéresser. Auparavant, ils devaient passer par une demande formelle d’assistance technique. Par ailleurs, plusieurs exercices de gestion de crise rassemblant toutes les disciplines ont été organisés par le SPF Intérieur sur la base de différents scénarios inspirés par les derniers attentats commis en Europe. Le but était de disposer des outils et des procédures nécessaires pour gagner des délais. Le SGRS collabore aussi avec la structure Bruxelles prévention et sécurité de la Région de Bruxelles-Capitale pour la prévention, l’accompagnement et le suivi de la radicalisation sur le territoire bruxellois.

Le procureur général de Bruxelles, Johan Delmulle, souhaite que les cinq arrondissements judiciaires du pays disposent chacun d’une cellule de fusion d’information et d’une cellule conjointe de décision…

C’est une solution idéale mais il faut tenir compte du reste des missions des services. Ni le SGRS ni la Sûreté n’ont le personnel suffisant pour assurer une présence effective à cinq endroits de coordination différents. Nous avons déjà une personne qui est le point de contact  » renseignement  » de la cellule de fusion de l’information, mais par souci d’efficacité, nous plaidons pour que nos effectifs soient d’abord renforcés avant d’aller plus loin.

Le pouvoir politique l’avait promis. Ces renforts sont-ils arrivés ?

La Sûreté et le SGRS ont procédé à des recrutements d’inspecteurs et d’analystes en collaboration avec le Selor (NDLR : bureau de sélection de l’administration fédérale). Les premiers sont déjà arrivés à la Sûreté de l’Etat, qui les forme. Nous achevons de sélectionner 40 candidats inspecteurs recrutés pour combler le cadre civil de la direction contre-ingérence. Celle-ci couvre le contre-terrorisme, le contre-espionnage, le contre-extrémisme et la protection des intérêts militaires en Belgique, c’est-à-dire le personnel, les infrastructures et matériels, ainsi que la protection du potentiel économique, scientifique et industriel lié à la Défense. Il y a du boulot pour des militaires et des spécialistes civils…

Le SGRS essaie de définir ses besoins afin de disposer de linguistes, ethnologues, psychologues, anthropologues, islamologues, etc., pour affiner nos analyses ou nos possibilités de collecte d’informations, techniques comme humaines. Nous aurions aimé engager un ou des autistes pour leur capacité à se concentrer, certainement en matière d’interception des communications, mais on ne parvient pas à faire entrer ce genre de profil dans les sélections du Selor. Nous avons déjà des spécialistes des relations internationales et des sciences politiques, des traducteurs, des juristes, géographes, archéologues, banquiers… C’est le croisement de tous ces backgrounds qui produit quelque chose d’intéressant. La question des langues n’est pas un problème. Nos analystes sont au minimum trilingues, souvent quadrilingues voire polyglottes.

Les missions premières du SGRS sont menacées, notamment par son engagement plus important contre les organisations extrémistes.
Les missions premières du SGRS sont menacées, notamment par son engagement plus important contre les organisations extrémistes.© BELGAIMAGE

Quelles sont les missions du SGRS, hors sa participation à la lutte contre le terrorisme ?

Notre priorité numéro 1, c’est la collecte d’informations, la production de produits de renseignement et l’organisation de l’appui en renseignement aux opérations terrestres, aériennes et navales de la Défense, principalement à l’étranger. Sur le territoire national, les moyens militaires réquisitionnés par le SPF Intérieur viennent en renfort et appui de la police fédérale et des polices locales qui assument la responsabilité de commandement. Nous avons actuellement des détachements militaires actifs sous la forme de déploiements opérationnels d’unités de la Composante Terre, de navires ou de chasseurs F16 en Belgique, en Afghanistan, en Irak, en Jordanie, au Mali, en Lituanie en permanence ; ponctuellement en Méditerranée, dans le golfe de Guinée, dans la Baltique et en Estonie. Mais ces missions sont menacées, au niveau renseignement, par l’engagement plus important du SGRS dans la lutte contre les organisations extrémistes violentes. Si, du fait de cet appui, nous ne sommes plus en état de fournir du renseignement lors de l’engagement des moyens de la Défense, nous mettons en péril les missions de notre propre ministère.

Comment votre service conçoit-il son rôle d’influence ou d’aide à la décision ?

Le SGRS a l’ambition d’informer de façon objective les décideurs du gouvernement de coalition, composé, donc, de plusieurs sensibilités politiques. Il se fonde sur une analyse non partisane et pragmatique. Il indique les options possibles et les conséquences vraisemblables sur la base de scénarios fondés sur des indicateurs. Les Affaires étrangères sont parmi nos partenaires les plus importants. Nous produisons des analyses sur l’environnement sécuritaire, et pas seulement sur les moyens militaires. Nous avons des échanges très fréquents avec les bureaux spécialisés des Affaires étrangères tant en matière de relations multilatérales que bilatérales, ainsi qu’avec les officiers de liaison de la police fédérale, qui ont une certaine présence à l’étranger. Notre ambition est de brosser l’image la plus complète possible de notre environnement et de ses acteurs, de dégager les indicateurs dans divers domaines et de les combiner pour développer des scénarios à un, cinq et dix ans. Cela permet d’examiner l’impact et les conséquences des options qui pourraient être prises par le gouvernement fédéral.

Le SGRS est-il toujours écouté ?

En faisant des recherches dans nos archives pour la commission d’enquête parlementaire, nous avons retrouvé une note rédigée après les attentats du 11 septembre 2001 qui décrivait les étapes du développement d’un groupe semblable à Daech, qui mènerait à un moment donné à des attentats en Europe…

Les deux services de renseignement, le militaire et le civil, collaborent-ils suffisamment ? Aux yeux du politique, non…

Nous n’avons pas attendu le rapport de la commission d’enquête parlementaire – qui ne s’est intéressée qu’au volet  » terrorisme  » de nos missions – pour travailler avec la Sûreté. Il existe une coopération assez importante via diverses plateformes thématiques et géographiques, au niveau opérationnel et de l’analyse. Mais il est certain qu’il faut encore intensifier et optimiser notre coopération !

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