Publifin, ex-Tecteo © SEBASTIEN PIRLET/ISOPIX

Le scandale Publifin dans le viseur de la justice

David Leloup
David Leloup Journaliste

La justice s’est emparée du scandale des rémunérations folles accordées par l’intercommunale Publifin, sans contrepartie exigée, à une trentaine de mandataires de la province de Liège siégeant dans des « comités de secteur » ces six dernières années.

Les choses n’auront pas traîné en bord de Meuse. Après les révélations du Vif/L’Express sur le scandale des rémunérations astronomiques accordées par l’intercommunale liégeoise Publifin (ex-Tecteo) à des élus locaux, la justice a rapidement embrayé et ouvert une information judiciaire. Le parquet général de Liège suspecte des faits de faux, d’usage de faux, de fraude aux indemnités et d’abus de biens sociaux au détriment de Publifin. Et donc, de ses actionnaires publics : la Province de Liège (61,09 %), 75 communes wallonnes et une flamande (38,4 %), la Région wallonne (0,4 %), l’AIEG (Association intercommunale d’étude et d’exploitation d’électricité et de gaz, 0,09%) et Brutélé (0,01 %).

Durant six ans exactement, entre le 22 décembre 2010 et le 22 décembre 2016, 31 mandataires PS, MR ou CDH ont touché des émoluments mensuels fixes de Publifin pour siéger au sein d’un des quatre comités de secteur consultatifs ( » gaz « ,  » énergie « ,  » Liège-ville  » ou  » télécom « ) sans réelle contrepartie exigée en matière de présence, de travail à effectuer ou de responsabilité politique à exercer. Le mandataire le moins assidu aux réunions a ainsi gagné jusqu’à 636 euros brut la minute prestée.  » Le chiffre est cruel, mais correct en ce qui me concerne, reconnaît-il. Il n’y avait aucun travail préparatoire ou autre à réaliser en dehors des réunions.  »

Plan de carrière

André Gilles (au centre) (PS), président de Publifin.
André Gilles (au centre) (PS), président de Publifin. © VINCENT KALUT/PHOTO NEWS

Deux mandataires ont siégé sans discontinuer : Eric Vanbrabant (échevin PS de la culture et des sports à Seraing) et Marie-Noëlle Mottard (conseillère communale MR à Waremme et conseillère provinciale). Ils se sont d’abord retrouvés dans le comité de secteur gaz (du 22 décembre 2010 au 21 juin 2013) puis dans le comité de secteur énergie (du 21 juin 2013 au 22 décembre 2016). Au total, ils ont perçu plus de 125 000 euros brut sur 72 mois (six ans).

Qui dit mieux ? L’ex-président de la fédération des CPAS wallons, Claude Emonts (PS), et la présidente du CPAS de Flémalle, Catherine Megali (PS). En pilotant les deux comités les plus rémunérateurs (énergie et télécom), ils totalisent chacun plus de 120 000 euros brut en 42 mois. Selon nos calculs, le coût total de ces comités pour Publifin dépasse les 2,5 millions d’euros en six ans. Ce montant correspondrait donc à l’abus de biens sociaux présumé dont serait victime l’intercommunale  » pure  » (100 % publique).

Selon nos informations, un procès- verbal initial a été dressé quelques jours seulement après la publication de notre article du 20 décembre dernier sur levif.be, qui a mis le feu aux poudres. Le lendemain, le parlement de Wallonie votait un texte limitant la rémunération des comités de secteur des intercommunales au jeton de présence de 150 euros (250 pour un vice-président, 300 pour un président). Et le surlendemain, Publifin décidait purement et simplement de liquider ses comités de secteur.

22 décembre 2010

Claude Emonts (PS), ex-président de la fédération des CPAS wallons et Marie-Noëlle Mottard (MR), conseillère communale à Waremme et conseillère provinciale.
Claude Emonts (PS), ex-président de la fédération des CPAS wallons et Marie-Noëlle Mottard (MR), conseillère communale à Waremme et conseillère provinciale. © LAURIE DIEFFEMBACQ/BELGAIMAGE – SDP

Le système des comités de secteur a été mis en place fin 2010 par Tecteo. A l’époque, Stéphane Moreau, l’actuel administrateur-délégué de Nethys et bourgmestre PS d’Ans, est le directeur général de l’intercommunale, et André Gilles le président du conseil d’administration. Le mercredi 22 décembre 2010, au QG de Tecteo, rue Louvrex, à Liège, le conseil d’administration de l’intercommunale entérine l’absorption d’une autre intercommunale : l’Association liégeoise du gaz (ALG). Invoquant l’article 29 des statuts, les administrateurs de Tecteo créent un comité de secteur gaz  » afin que ce dernier perpétue la gestion de l’activité de distribution gazière de l’ALG au sein de Tecteo « , dixit les rapports annuels de l’intercommunale. Il s’agirait d’un  » organe consultatif  » qui aurait  » pour compétences et missions de formuler des avis et recommandations aux organes de gestion de Tecteo « .

Huit privilégiés

 » En réalité, il s’agissait de maintenir en place le conseil d’administration de l’ALG, une instance qui, d’un point de vue strictement statutaire, s’était évaporée au moment de la fusion avec Tecteo fin 2010, raconte Thierry Detienne (Ecolo), à l’époque conseiller communal à Sprimont, commune actionnaire dont il était le représentant au CA de l’ALG. Ce dernier était constitué de… 30 personnes dont les mandats expiraient ce 22 décembre 2010. Soit deux ans et demi avant leur terme théorique, prévu en juin 2013 lors de l’assemblée générale qui suit les élections communales d’octobre 2012.

Stéphane Moreau (PS), ancien directeur général de l'intercommunale Tecteo.
Stéphane Moreau (PS), ancien directeur général de l’intercommunale Tecteo.© NICOLAS LAMBERT/BELGAIMAGE

Avant la fusion, parmi ces 30 administrateurs, huit formaient le bureau exécutif de l’ALG. Ils percevaient, à ce titre, un émolument mensuel fixe : 3 022 euros pour le président, 2 417 euros pour le vice-président et l’administrateur- délégué, et 1 813 euros pour les cinq membres (montants bruts). A l’instar de Thierry Detienne, les 22 autres  » simples  » administrateurs de l’ALG touchaient, eux, un jeton de présence de 183 euros brut s’ils participaient aux réunions mensuelles du CA. Après la fusion, ces 30 personnes ont donc été  » recasées  » au sein du comité de secteur gaz. Et Tecteo a pris en charge leur rémunération, calquée sur celle en vigueur à l’ALG. Huit privilégiés ont donc continué à percevoir un émolument de niveau  » exécutif  » alors qu’ils n’étaient plus membres d’une instance exécutive.

Présentations PowerPoint

Selon nos informations, ce comité s’est réuni huit fois en 2011 et six fois en 2012. Nous ignorons si des réunions ont eu lieu au premier semestre 2013. Le porte-parole de Publifin, Patrick Blocry, n’a pas répondu à nos questions malgré plusieurs relances.  » Lors de ces réunions, nous n’avions aucun pouvoir décisionnel, se rappelle un membre CDH du comité. Le but était de nous tenir informés, de nous permettre de poser des questions et donner notre avis.  »  » Je me souviens surtout de présentations PowerPoint par différents services de l’intercommunale afin de montrer l’évolution de l’intégration de l’ALG au sein de Tecteo « , se remémore pour sa part Jean-François Close (Ecolo).

Bref, ce comité  » consultatif  » était-il vraiment nécessaire vu son coût ? Le CA de Tecteo, seul, ne pouvait-il pas s’emparer de ces questions ?  » Il est vrai que les communes concernées par le gaz avaient une spécificité puisqu’il n’y avait pas de réseau de gaz dans toutes les communes de la province de Liège, alors que l’électricité était partout. Mais il est vrai aussi que ces communes étaient représentées au sein du CA de Tecteo « , pointe Thierry Detienne…

Rembourser ou faire un don ? Et quel montant ?
Anne Delvaux
Anne Delvaux© Belga

Les trois partis impliqués dans le scandale ont appelé leurs ouailles à restituer tout ou partie des montants perçus, soit à Publifin (CDH, MR), soit à des associations caritatives (PS). Avec l’aide d’un fiscaliste, nous avons tenté d’estimer au plus juste les montants  » poche », nets d’impôt, perçus par chacun des mandataires concernés. Montants à considérer en cas de remboursement. Comme les émoluments sont des revenus complémentaires à une activité professionnelle principale, nous avons considéré qu’ils avaient été taxés à l’impôt des personnes physiques (IPP) dans la tranche la plus élevée, soit 50 %. Il faut en outre retirer la taxe communale additionnelle à l’IPP qui varie, selon les communes ici concernées, entre 6 % et 8,8 % du montant imposé. Enfin, il convient de retrancher la cotisation spéciale pour la sécurité sociale estimée, vu la complexité du système de calcul, à 1,2 % du revenu imposable pour les travailleurs indépendants. Une fois tous ces impôts retirés du brut, il reste un montant total perçu net d’impôt. .

Se posent alors deux questions éthiques que le président du PS, Elio Di Rupo, semble avoir évacuées un peu vite quand il a enjoint ses mandataires penauds à reverser l’argent à des associations. Primo, c’est Publifin qui est lésé dans cette affaire. La justice soupçonne un abus de biens sociaux. Pourquoi donc aller faire profiter des associations tierces (proches du parti ? ) de fonds revenant légitimement à Publifin ? Secundo, effectuer un don à une association peut engendrer une… réduction d’impôt dans le chef du donateur si l’organisation bénéficiaire est agréée. Or, le fisc en recense plus de 2 300, dont l’opération… Viva for Life de la RTBF, choisie par Anne Delvaux pour reverser ses émoluments indus. La réduction d’impôt s’élève à 45 % du montant versé (qui ne peut excéder 10 % de l’ensemble des revenus nets ou 376 350 euros). De quoi relativiser le geste.

Vint ensuite l’AG de Tecteo du 21 juin 2013, où le comité fut dissout… pour renaître immédiatement de ses cendres sous la forme des trois comités de secteur qui ont récemment défrayé la chronique. Les présidents des fédérations liégeoises Willy Demeyer (PS), Daniel Bacquelaine (MR) et Vinciane Pirmolin (CDH) ont ainsi pu se partager non pas 8 mais 24 juteux mandats après les communales et provinciales d’octobre 2012. En toute connaissance de cause…

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