© Capture d'écran du site Urbex

Le réveil de l’université fantôme

Abandonné par l’ULg, le Val Benoit, microcosme de l’âge d’or liégeois, va ressusciter, étape par étape, bâtiment après bâtiment. Une reconquête qui débute cette année.

Vu du quai Banning ou de l’autre côté de la Meuse, le Val Benoit n’est guère engageant. Le long bâtiment rectangulaire qui se dresse à son extrémité est sinistre, avec ses vitres brisées et ses briques noircies par la fumée des hauts-fourneaux de Sclessin, Ougrée et Seraing, qui jadis crachaient leur feu en amont. Comme porte sud de Liège, il y a mieux. Mais dès que l’on pénètre dans cet espace trapézoïdal de huit hectares, l’envoûtement est immédiat.
Construit dans le style moderniste des années 1930, le Val Benoit est l’ancien campus des ingénieurs civils et des sciences appliquées de l’Université de Liège, délaissé à partir de 1967 en faveur du Sart-Tilman. Cinq ensembles d’une rigueur toute germanique sont encore posés là, entre larges voies bétonnées et bouquets d’arbres hagards : l’Institut de chimie métallurgie, l’Institut de sciences minérales, le Laboratoire de thermodynamique couplé à une centrale de chauffage, l’Institut de mécanique et l’Institut de génie civil.

C’est en habitué des grands espaces (il cartographia le Congo belge) qu’en 1930, le professeur de topographie Marcel Dehalu transplante au Val Benoit la Faculté technique, à l’étroit dans le centre-ville historique. Malgré sa taille, le Val Benoit est exempt de gigantisme, avec un sens des proportions et des perspectives remarquable. Quatre architectes se sont relayés à l’ouvrage : Albert Puters, Joseph et René Moutschen ainsi qu’Albert-Charles Duesberg. Ils offrent un échantillon bien coordonné du style moderniste des années 1920-1930 : minimalisme, lignes géométriques pures, utilisation des matériaux nouveaux (fer-acier, béton, verre), et un sens du détail qui va jusqu’aux clenches, aux ferronneries et à l’ébénisterie en chêne clair, d’une robustesse étonnante.
Le calme absolu qui émane de cette université fantôme, interdite au public, n’est pas dû qu’à son abandon ni à l’épaisseur de ses murailles. Le Val Benoit, comme son nom l’indique, est situé dans une cuvette en dessous des quais qui retiennent la Meuse. S’y trouvait autrefois une abbaye cistercienne (XIIIe siècle), en partie détruite à la Révolution liégeoise (1796) puis durant la Seconde Guerre mondiale. Le « château » de l’ancienne abbaye a été reconstruit à l’identique, tout comme l’ancienne porterie marquant l’entrée du site, au pied de la colline de Cointe.
Après le départ de l’ULg, les voleurs de métaux et les vandales s’en sont donné à coeur joie pendant des années. Aujourd’hui, entre dix et quinze SDF ont encore leurs pénates dans le bâtiment de l’Institut mécanique, racheté par la Ville. Le Val Benoit fait partie des chancres urbains « historiques » de Liège, à l’instar du site de l’ancien hôpital de Bavière ou de ceux qui ont vaincu la malédiction, comme la place Saint-Lambert ou le Longdoz, une friche industrielle occupée aujourd’hui par la Médiacité. Le site est la cible favorite des « explorateurs urbains » qui se glissent subrepticement dans des lieux abandonnés pour en ramener des photos qu’ils partagent sur Internet (www.urbex.me).
Depuis 2005, l’ULg s’est débarrassée de plusieurs bâtiments. En 2011, la SPI a racheté l’Institut du génie civil et les abords du Val. Et elle est sur le point de s’approprier l’Institut de chimie métallurgie. La SPI a pour idée de faire du Val Benoît un « morceau de ville » en y associant diverses fonctions : logements, services, formation, culture et, bien sûr, économie. Cet espace autrefois monothématique, dédié à la science et à l’éducation, doit devenir, selon les auteurs du projet, « pluriel » et les frontières avec le monde extérieur, « poreuses ».

Le petit vent d’utopie qui souffle sur le Val Benoit démultiplie les initiatives et les envies.. L’étude de faisabilité est en cours. Voyant le site devenir « tendance », les promoteurs immobiliers piaffent pour y construire des logements privés et des commerces qui le feront vivre en continu. 2014, année du réveil de l’université fantôme ?

L’intégralité du dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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