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Le recrutement des chefs d’école nourrit le soupçon

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Le politique pistonne-t-il des chefs d’établissement scolaire ? Au sein du réseau de la Communauté française, le mode de recrutement manquerait de transparence. Voici pourquoi.

L’athénée royal d’Evere, organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles, vient de vivre une nouvelle rentrée scolaire, après une année tumultueuse, secouée par l’écartement de son préfet. Mais l’ambiance serait toujours « détestable » au sein de l’équipe éducative. Ainsi une dizaine d’enseignants ont demandé leur mutation et ont fait leur rentrée dans un autre établissement. Pourquoi règne-t-il un tel climat ?

Avertie, en janvier dernier, de soupçons de détournements de mobilier et de services au sein de l’athénée, notamment par deux courriers internes, Joëlle Milquet diligente aussitôt une enquête administrative, toujours en cours actuellement. La ministre CDH en charge de l’Enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles alerte également un juge d’instruction – ce qui de facto entraîne l’ouverture d’un dossier d’information.

Pour suppléer le chef d’établissement écarté, le cabinet affecte Hamza Boukhari, 33 ans, professeur d’électricité et chef d’atelier à l’athénée royal Alfred Verwée, à Schaerbeek. Ce dernier s’est, par ailleurs, présenté sur une liste communale CDH en 2012, comme candidat indépendant. Au sein de l’athénée royal d’Evere, la nouvelle est accueillie froidement. Il s’agit d’une personne externe à l’école. Des enseignants imaginent un parachutage politique et s’inquiètent de savoir si l’intérimaire possède les aptitudes requises pour faire un bon préfet. « C’est une décision peu habituelle et interpellante. Généralement, en cours d’année, un membre de l’établissement, le plus souvent le proviseur, assure l’intérim », commente Léon Motte, président de la CGSP-Enseignement Bruxelles.

Au cabinet, on indique que Hamza Boukhari était « la personne la mieux classée sur la liste des candidats et est titulaire de quatre certifications au brevet de directeur ». Sous couvert d’anonymat, cette précision est remise en cause par plusieurs sources bien informées : « Le candidat ne figurait pas dans ce classement », affirme ainsi un haut fonctionnaire de l’administration. Dans le cas présent, on ne sait donc pas si les règles ont été respectées. Quant aux compétences du suppléant, selon les enseignants et les syndicats, le préfet faisant fonction ne semblait pas très bien formé pour sa nouvelle mission. « Il a toujours fait preuve de collaboration et de sympathie, mais son inexpérience dans la gestion d’un établissement crevait les yeux : l’organisation des horaires du personnel et le suivi des absences, par exemple, posaient problème », témoigne un délégué syndical. Depuis quinze jours, Hamza Boukhari a pris la direction de la toute nouvelle école secondaire islamique l’Institut La Vertu – qui relève du réseau officiel subventionné.

Dans un autre établissement organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles, à l’athénée royal Serge Creuz, à Molenbeek-Saint-Jean, la désignation, en octobre 2014, d’un proviseur n’était pas non plus passée inaperçue. Depuis le printemps 2014, Fabrice Vanbockestal, enseignant à l’athénée, remplaçait la proviseure de l’implantation 2 (la section technique et professionnelle de l’école), en congé de maladie. L’intérim avait été décidé par Marie-Martine Schyns. Joëlle Milquet, qui entre temps lui a succédé, annonce à l’intéressé, en septembre 2014, qu’un collègue est promu au poste : Youssef El Abbouti, éducateur depuis sept ans dans l’athénée. Mais, au sein de l’établissement, plus que la manière, c’est le fond qui heurte. Youssef El Abbouti était candidat sur la liste régionale du CDH aux élections 2014. Bref, Fabrice Vanbockestal aurait été « muté » au profit de Youssef El Abbouti. A l’administration, on parle de « jeu de chaises musicales pour caser quelqu’un ». Joëlle Milquet répond que le candidat proviseur, « est reconnu pour son expertise dans la gestion des publics difficiles ».

u0022Un ministre qui affecte à un emploi public des candidats qui ont fait campagne pour son parti, cela incommode et le place dans une situation inconfortable.u0022

Ces deux individus ont-ils bénéficié d’un appui ? « Certes, vous ne verrez pas un préfet débarquer avec zéro ancienneté, mais la pratique existe, quelle que soit la couleur politique », juge un haut fonctionnaire. Car, malgré les règles et les statuts qui régissent le recrutement des préfets et des proviseurs, si l’on se penche sur les modalités au sein du réseau de la Fédération Wallonie-Bruxelles, des affectations peuvent relever d’un coup de pouce. A l’inverse des enseignants, dont la nomination est confiée à l’administration, la sélection et la promotion des préfets et des proviseurs des athénées de la Communauté française se font toujours à partir du cabinet ministériel : peu de tampon donc entre l’école et le politique. Explications.

Pour prétendre à un poste de préfet des études (l’équivalent de directeur), il faut avoir décroché un brevet que le candidat ne peut passer qu’avec huit années d’ancienneté dans la fonction d’enseignant. Le brevet s’obtient après la réussite de cinq modules de formation. Un texte de loi prévoit également l’organisation, tous les deux ans, d’un appel à candidatures. Sur le terrain, cette formation ressemble à une formalité. Le taux de réussite y est élevé (plus de 90 %). Un haut fonctionnaire note que lors d’un appel à candidatures, de nombreux postes sont à pourvoir en même temps et que le ou la ministre a les coudées franches pour favoriser une personne de son goût.

« Tabou intouchable »

Mais tous les préfets en place ne sont pas forcément titulaires d’un brevet. En attendant, ils font « fonction ». Tous sont classés par nombre de modules réussis et à l’intérieur du classement, en cas d’égalité, par ancienneté. La douzaine de personnes interrogées est unanime : le système n’est pas satisfaisant et favorise le copinage. Ainsi pour les syndicats, il rime même avec opacité, puisque les candidats n’auraient pas accès à ce fameux classement. « Tant qu’un candidat ne conteste pas sa non-nomination, c’est la chambre noire », étrille un secrétaire syndical. D’autres possibilités de « piston » sont pointées par un ponte de l’administration : par exemple, en-dehors des appels à candidatures, lors d’un intérim, puisque le choix d’un remplaçant de courte durée relève du cabinet ministériel.

Reste alors le cas des proviseurs (soit des sous-directeurs). Ici aussi, un texte de loi prévoit l’organisation, tous les deux ans, d’un brevet de proviseur. Or, depuis plus de… dix ans, il n’a plus été organisé. Les arguments avancés par la Communauté française sont budgétaires : le coût est évalué à 30 000 euros. L’exécutif aurait promis de réparer cet « oubli » pour, au plus tôt, l’année 2016. « Mais voilà qui reste fâcheux car, sans brevet, on pourrait y mettre qui on veut. C’est la porte ouverte au copinage », souligne ce haut fonctionnaire, pointant un autre écueil : depuis peu, le poste de proviseur est devenu accessible à un éducateur spécialisé. Du coup, le risque de voir des établissements dirigés par des éducateurs, qui auraient transité par la fonction de proviseur et qui ne sont pas à proprement parler enseignants, suscite des craintes.

Il n’empêche, un ministre qui affecte à un emploi public des candidats qui ont fait campagne pour son parti, cela incommode et le place dans une situation inconfortable. En réalité, derrière les cas d’Evere et de Serge Creuz se loge une anomalie de la Fédération Wallonie-Bruxelles : le ou la ministre cumule les rôles de pouvoir organisateur des athénées et de ministre de tutelle. Sous la précédente législature, il y a bien eu une tentative d’écarter le politique de l’école, en dissociant ces deux missions. Victime d’un différend entre PS et CDH/Ecolo, l’idée reste au frigo. « Le politique veut absolument conserver sa prérogative sur les chefs d’établissement. C’est un tabou intouchable », conclut un haut fonctionnaire.

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