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Le PTB prend ses quartiers à Liège

Le 14 octobre, le PTB+ a fêté l’élection de 12 conseillers communaux et de deux conseillers provinciaux en région liégeoise. L’est de la Wallonie est-il à gauche ? Ou ce succès peut-il être répliqué ailleurs dans le pays ?

La ceinture rose autour de Liège devenait de plus en plus rose, nous y avons remis une touche de rouge ! » Le soir du 14 octobre, Raoul Hedebouw, porte-parole francophone du PTB+ et tête de liste à Liège, a fait une entrée triomphale dans la salle du Manège de l’ancienne caserne Fonck. Une salle enfiévrée, chauffée par des centaines de militants aussi étonnés que leur leader de l’accueil que leur avaient réservé quelques heures plus tôt les électeurs en région liégeoise : 6,5 % des voix et deux sièges à Liège, 14 % des voix et cinq sièges à Seraing, 14 % et 4 sièges à Herstal, 6,3 % et un siège à Flémalle. Auxquels il faut ajouter un bonus de deux conseillers provinciaux. « La Cité ardente est plus rouge ce soir ! » a encore clamé, du haut d’une estrade flanquée de deux drapeaux rouges cette fois, Raoul Hedebouw.

Il est vrai qu’avec un MR qui perd trois sièges au profit du PTB (2 conseillers) et de Vega (une liste de gauche créée il y a quelques mois seulement et qui obtient un siège au conseil), Liège prend des couleurs. Et avec elles, les communes voisines de Seraing, Herstal, Flémalle. Un score sans pareil en Fédération Wallonie-Bruxelles, même si de nettes percées ont aussi été enregistrées en Région bruxelloise et dans le Hainaut. La région liégeoise est-elle peuplée d’irréductibles nostalgiques de l’extrême gauche ?

Fiefs historiques

« Là où nous devenons le deuxième parti de la commune – à Seraing et à Herstal – et gagnons un nombre important de sièges, nous étions déjà présents, les gens nous connaissent, ils savent que nous sommes le parti des travailleurs », lance, pour première explication, Damien Robert, nouvellement élu à Seraing. Présent sans relâche au côté des travailleurs d’ArcelorMittal, dénonçant le cynisme des employeurs, l’inconsistance de la Région wallonne, l’absence des leaders socialistes à l’entrée des usines, cet enseignant a trouvé en cette cité du fer durement touchée par la désindustrialisation un terreau fertile aux idées du PTB+. « De grandes multinationales comme Carrefour, ArcelorMittal, Duferco, UCB réalisent d’énormes bénéfices mais profitent de la crise pour jeter des gens à la rue et baisser les salaires », dénonce le programme du parti. Un argument de campagne qui ne pouvait que faire mouche dans une ville où le taux de chômage flirte avec les 25 %.

« Nous avons concentré nos forces à Liège et ça a eu un rayonnement sur le reste de l’arrondissement, enchaîne Raoul Hedebouw. Nous ne pouvions pas être présents partout de la même façon, nous sommes un parti émergent, avec peu de moyens, nous devons procéder étape par étape. Alors qu’en 2006 nos bastions étaient des communes, maintenant ce sont des arrondissements. »

Jean Faniel, chercheur au Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politique) ne dit pas autre chose qui estime qu’après avoir conquis Herstal puis Seraing, deux villes où le Parti du travail gère des maisons médicales, ce dernier devait « franchir une étape supplémentaire ». Notamment en s’appuyant « sur ce noyau de militants qui n’a cessé de grandir depuis les années 2000, et surtout 2007 ou 2008 ».

Travail de terrain

Les fiefs historiques de Herstal et de Seraing auraient donc en quelque sorte servi de têtes de pont au parti pour partir à la conquête du reste de la province de Liège. Une offensive menée par les stratèges mais aussi et surtout les fantassins : « Que ce soit dans le quartier Sainte-Marguerite à Liège pour protester contre la fermeture annoncée d’un bureau de poste ou pour soutenir les travailleurs menacés de licenciement, nous sommes sur le terrain, reprend Damien Robert. Quand les travailleurs partent en grève, ils ne voient pas de mandataires PS, CDH ou Ecolo. Ce qu’ils voient, ce sont des hommes et des femmes venus combattre le libéralisme avec eux. Pareil à Genk, où tous nos camarades sont avec les piquets de grève. Le personnel avait d’ailleurs, avant même l’annonce du plan de licenciement, l’habitude de nous voir au moins deux fois par mois. Et pour revenir à Liège, qui était avec les ouvriers à 6 heures, en plein hiver, pour les soutenir il y a deux ans et demi ? Nous étions les seuls sur place et ça, les gens s’en souviennent… »

Reste que cette présence sur le trottoir, au pied des chaudrons, en face des guichets est la marque du PTB, pas celle de sa locale liégeoise. Les industries déclinantes, les cheminées en berne, les pleurs des ouvriers ne sont pas non plus une spécificité de la vallée mosane. Pas plus que les maisons médicales. « Raoul Hedebouw, le porte-parole francophone, est liégeois et jouit là-bas d’une grande visibilité », rappelle Jean Faniel. Le charisme de celui qui titillait le bourgmestre socialiste Willy Demeyer en avertissant, par campagne d’affichage interposée que « Désolé Willy, cette fois-ci je vote à gauche » participerait aussi au succès de son parti à Liège.

Mais Charleroi serait-elle la vitrine du PTB+ si Raoul Hedebouw y avait milité plutôt qu’à Liège ? Si le jeune parti avait dès lors ramassé ses forces en bord de Sambre plutôt que sur les rives de la Meuse ? « Le contexte est différent, nuance Jean Faniel. Même s’il stagne mais ne recule pas, il y a une usure du PS à Liège et dans certaines communes voisines. Alors qu’il est en net progrès à Charleroi et à La Louvière. » Raoul Hedebouw et Damien Robert ont bien sûr un avis différent : Charleroi, prédisent-ils, ne peut que suivre le mouvement, le plan de bataille est déjà dessiné. « Nous sommes présents à Mons, Charleroi, La Louvière, rappelle ainsi Damien Robert. Nous y avons le vent en poupe, les gens sont demandeurs d’un vrai débat sur la gauche. » « Nous avons conscience que nous ne sommes qu’au début de l’histoire, complète Raoul Hedebouw. Depuis le 14 octobre et rien que sur Liège-Ville, nous avons cinq ou six personnes qui veulent rejoindre le PTB+. Il faut maintenant leur donner raison, consolider notre position, travailler et travailler encore, car ça prend du temps de structurer un parti, surtout avec peu de moyens… »

Un conseiller pour Vega

Le contexte économique global, reprend cette fois Jean Faniel, pourrait lui aussi en partie expliquer l’envolée d’un parti hier encore présenté comme radical : « La crise sociale et économique peut pousser certains électeurs à voter plus à gauche que le parti socialiste et Ecolo, précise le chercheur du Crisp. C’est ce qui peut notamment expliquer aussi la percée de Vega à Liège. » Fondée par François Schreuer, l’ex-président d’urbAgora – un groupe de réflexion sur l’urbanisme et la mobilité à Liège -, la coopérative politique Vega s’est constituée en janvier 2012 et est parvenue à présenter une liste complète sur Liège-Ville. A gauche sur l’échiquier, elle présentait un programme susceptible de détourner certains électeurs d’Ecolo : plaidoyer pour des transports en commun efficaces et bon marché, végétalisation des toitures et lutte contre la pollution, promotion des énergies alternatives et de la biodiversité, renforcement de la bonne gouvernance… « De quoi séduire des électeurs pour qui Ecolo est un parti qui s’est institutionnalisé et ressemble maintenant aux autres partis », résume Jean Faniel. Mais que les trois sièges perdus par le MR aient mathématiquement été attribués au PTB et à Véga ne signifie pas qu’il y ait eu un simple transfert de l’un vers les autres : « Il est difficile de dire d’où viennent les voix captées par Vega et le PTB mais, plus largement, il n’est pas sûr du tout que ces deux partis, qui ont percé à Liège, vont chercher leurs voix dans la même frange d’électeurs. Le PTB a une assise populaire, il s’est fait connaître par son travail dans les quartiers tandis que Vega s’adresse a priori à un électorat plus intellectuel, qui a envie de construire autre chose autrement. »

JOËL MATRICHE

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