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Le PTB est-il capable d’exercer le pouvoir ?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le PTB veut-il exercer le pouvoir ? En est-il capable ? La première question trouble les pensées de ses dirigeants comme de ses adversaires. La seconde ne se pose nulle part, tant sa réponse est évidente : le Parti des travailleurs de Belgique n’est pas prêt. Mais il se prépare…

La conquête du pouvoir est une grisante aventure, son exercice une grise routine. Et alors que beaucoup s’énervent de voir s’amuser les agitateurs de la formation de la gauche de la gauche, peu s’inquiètent de ne pas la voir former les administrateurs dont elle pourrait, peut-être, un jour avoir grand besoin. Depuis des mois en effet, acteurs et observateurs en Belgique francophone s’interrogent sur la volonté du PTB de monter aux affaires, au niveau communal, régional, voire fédéral. Les réponses de ses souriantes figures de proue, et en particulier de Raoul Hedebouw, semblent témoigner d’une puissante frilosité. Il y a eu le  » pas avant quinze ans « , glissé comme distraitement au milieu d’une interview, et que les responsables socialistes ont avancé comme preuve de l’irresponsabilité de la formation qui les mine. Il y a désormais la nécessité de  » sortir du cadre de l’austérité  » imposée par les traités européens, qui bloque à peu près tout partenaire potentiel. Mais sa hauteur dans les sondages pourrait le soumettre à la tentation du pouvoir. Elle pourrait même, qui sait ?, le rendre incontournable, y compris à lui-même, notamment dans certaines communes.

David Pestieau, directeur de Service d'études du PTB.
David Pestieau, directeur de Service d’études du PTB.© ANTHONY DEHEZ/BELGAIMAGE

Il s’agirait alors de moins se demander si on y va que comment on y va.

Et là…

 » La question du pouvoir est très peu pensée au PTB, et celle de la technique du pouvoir est un impensé presque complet, résume Pascal Delwit, politologue à l’ULB et auteur l’an dernier des Gauches radicales en Europe. Trouver un ministre ou un échevin est une chose, pas toujours nécessairement facile, mais pas la plus difficile. Les entourer d’un back office performant en est une autre, à mon sens beaucoup plus compliquée « , poursuit-il.  » Nous ne manquons pas d’experts, ni de contacts, mais on ne nie pas le problème : techniquement, ça serait très difficile. C’est un défi organisationnel. Il reste encore deux ans, on construit des réseaux et on entretient des contacts « , explique David Pestieau, directeur du service d’études du PTB.

De fait, la première expérience au pouvoir d’un jeune parti est toujours traumatisante. La confrontation des nouveaux venus avec les partenaires et avec la structure de la prise de décision, son apprentissage, somme toute, est presque toujours un échec. Le cas des écologistes, méticuleusement laminés après leur participation aux gouvernements arc-en-ciel de 1999, fera effet d’avertissement. Celui des forces politiques émergentes aujourd’hui en Europe également. En Espagne, les mandatures indignées d’Ada Colau à Barcelone ou de Manuela Carmena à Madrid, ou, en Grèce, celle de Syriza, ont maculé d’incompétence les blanches aspirations au renouveau. Le PTB, pourtant, avoue s’inspirer de ces tentatives. Et de leurs échecs.  » Dès les premiers jours, le gouvernement d’Alexis Tsipras a été confronté à des gens, en particulier dans l’administration, qui lui ont mis des bâtons dans les roues. Il a été trahi par les hauts fonctionnaires ! Et son parti, qui disposait de 3 200 cadres, a choisi d’en affecter 3 000 aux cabinets ministériels, ce qui lui a fait abandonner le travail de terrain. De même, à Barcelone, la mairie a vu une série de ses propositions, sur la réglementation du tourisme ou l’énergie par exemple, refusées par sa tutelle, et consacre une partie de son budget à payer des avocats pour contester ces décisions « , rappelle David Pestieau. Pour éviter ces blocages, il faudra, d’abord,  » politiser les questions techniques, par exemple en les mettant en débat : en Grèce, Yánis Varoufakis, l’économiste devenu ministre des Finances, a attendu de démissionner pour évoquer les sabotages qu’il avait eu à subir. Plus on fait participer les gens, plus c’est transparent, plus il est difficile de contrecarrer la volonté politique « , dit encore le directeur du service d’études du PTB.

Supporters de Podemos, à Barcelone, en Espagne : de l'indignation à la gestion, le fossé est large.
Supporters de Podemos, à Barcelone, en Espagne : de l’indignation à la gestion, le fossé est large.© MATTHIAS OESTERLE/BELGAIMAGE

L’inexpérience et l’inexpertise

Mais il faudra aussi recruter et s’entourer. Or, à la différence de Podemos – et même d’Ecolo en son temps – pourtant, le parti maoïste n’est pas dirigé par des universitaires investis en politique, mais par des militants investis, parfois, d’un diplôme universitaire. Bref, aussi inexpérimentés, mais aussi moins experts. Les formations qu’il dispense à ses militants sont surtout axées sur l’agit-prop, l’agitation et la propagande. Ceux-ci sont initiés aux techniques de l’argumentation politique, à l’histoire et à l’économie politiques, mais pas du tout à la gestion politique. En sortent des gens qui peuvent convaincre de la pertinence d’un choix, mais qui ne pourraient pas nécessairement le mettre en oeuvre.  » C’est aussi pour ça que j’invite les jeunes marxistes que je croise à ne pas étudier que de la sociologie, mais aussi de la gestion, du droit des affaires, etc. « , ajoute David Pestieau.

La première expérience au pouvoir d’un jeune parti est toujours traumatisante

Hormis les cadres, militants encartés, d’éventuels exécutifs PTB devraient aussi rassembler des compagnons de route, des experts prêts à donner un coup de main. Dans les hautes sphères de l’administration, il y en a peu. Il y a quelques jeunes chercheurs dans les universités, mais ils ne sont pas nombreux, et rarement versés dans les questions d’administration du pouvoir.  » On a des contacts avec des hauts fonctionnaires et avec des académiques, mais ils restent limités « , avoue David Pestieau.  » La perspective de porter un vrai projet de rupture nous permettra de juger s’il y a des gens qui sont prêts à vraiment s’engager avec nous. De plus en plus se disent tentés et, dans plusieurs secteurs, on nous regarde différemment « , s’amuse-t-il. Mais les tentés céderont-ils ? Sachant que, comme un parlementaire, un ministre ou un cadre, un éventuel cabinettard devra limiter ses revenus à ceux d’un travailleur ordinaire ?  » Ça nous permet d’éviter les arrivistes « , réplique David Pestieau.

A l’autre côté de l’échiquier politique, au MR, certaines voix s’élèvent, ces derniers jours. Le parti a eu du mal à remplir les cadres dans les cabinets fédéraux. Il lui faudra trouver de nouvelles ressources humaines s’il monte au gouvernement des entités fédérées. C’est un danger, surtout quand on sort de tant d’années d’opposition. Mais ces petites voix sont couvertes par le grave feulement des grands fauves du parti.  » Cette objection n’est jamais prise en compte, dans aucune formation « , balaie Pascal Delwit. Elle ne le sera pas non plus au PTB, où tout problème technique est d’abord politique, et toute capacité déterminée par la volonté.

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