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Le PS et le PTB, ou l’histoire du vieux cardinal et du petit prophète

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

L’émergence du PTB soumet le PS d’Elio Di Rupo à une rude épreuve. Au nom de la pureté du socialisme.

« L’histoire du christianisme primitif offre des points de contact remarquables avec le mouvement ouvrier moderne », écrivait le vieil Engels, éternel acolyte de Marx, en 1894. Le socialisme est en effet une manière de religion sans Dieu. Et tout parti qui s’en réclame est une secte qui a parfois réussi. Jusqu’à s’installer en Eglise, avec ses rites et ses codes, son catéchisme et ses sacrements, ses fidèles et ses hérétiques, ses papes et ses antipapes, et avec son paradis de demain comme récompense des sacerdoces d’aujourd’hui.

Depuis toujours l’Eglise fondée par Pierre puis corrompue par le faste du pouvoir temporel, elle-même établie sur la dénonciation d’un clergé pharisien gâté-pourri – rappelez-vous Jésus et les marchands du Temple -, a dû affronter d’innombrables hérésies réclamant un retour à l’originelle pureté, absorbées parfois à coups de conciliants conciles, expulsées parfois à coups de pérennes anathèmes, exterminées parfois à coups de coûteux holocaustes.

Depuis toujours les grands partis socialistes établis ont eu à se coltiner des pressions, des contestations et des scissions de camarades idéalistes aux mains propres. Le grand politiste Maurice Duverger appelait « sinistrisme » ce mouvement presque perpétuel. La gauche belge ne fait pas exception à cette loi historique. Des libéraux progressistes déçus de la mollesse de leur parti sur les questions sociales ont fondé le Parti ouvrier belge. Des socialistes déçus de la mollesse de leur parti sur les questions sociales ont fondé le Parti communiste belge. Paul Magnette qui, depuis plusieurs années, martèle que la social-démocratie a toujours été aiguillonnée sur sa gauche par de plus petites formations intégralistes, a donc raison là-dessus.

L’émergence du PTB, dont AMADA-TPO avait, dans les années 1970, tout de la secte ouvrière, met ainsi à mal le magistère du PS sur la gauche francophone. Psalmodiant sa litanie du pouvoir qui corrompt, le jeune prophète Hedebouw recrute. Il semble si sincère. Surtout lorsqu’il raille le coeur qui saigne du purpurin cardinal de Mons. Le premier porte la parole d’un petit parti socialiste d’opposition où entrent toujours plus de jeunes. Le second dirige un grand Parti socialiste de gouvernement d’où sortent des militants vieillis. Les deux rejouent la dialectique des premiers chrétiens, celle éternelle de la secte des idéalistes contre l’Eglise des cyniques.

Voyons comment cette dernière encaisse. Et ce que fulmine son pape.

Sa Doctrine est en rénovation. Di Rupo a lancé des « chantiers des idées », que certains, au PS, trouvent trop lents et pas assez novateurs. Leur lenteur est étudiée : il faudra attendre encore deux ans et demi avant la plus proche eucharistie électorale. Rien ne sert aujourd’hui de faire croire à l’imminence du Jugement dernier. L’absence alléguée de novation, elle, est inévitable : les thèmes forts que porteront les socialistes seront…socialistes, plus que jamais. En sortiront de fort égalitaires revendications d’impôt sur la fortune et de réduction du temps de travail. Le PTB, avec sa taxe des millionnaires et sa semaine de trente heures, oriente les débats. Il faut venir rappeler qu’il y a longtemps que le PS a inscrit ces exigences à son programme : plusieurs décennies, même. D’ailleurs, dit un ministre-président wallon socialiste spécialisé dans l’histoire de la pensée politique « le PTB propose la même chose que le PS ». Ce qu’il faudra faire oublier, c’est que si ces exigences sont depuis si longtemps au programme d’un PS aujourd’hui dans l’opposition fédérale, c’est que ces exigences n’ont jamais été adoptées par un gouvernement fédéral où le PS est pourtant resté si longtemps.

Ses évêques, au sommet de la hiérarchie socialiste, divergent peut-être sur les termes à employer, le plus hétérodoxe étant le plus loquace, Paul Magnette. Mais le schisme n’aura jamais lieu. Aucun notable n’a encore réclamé de rapprochement avec le PTB autrement que pour forcer celui-ci à se mouiller. C’est la ligne Di Rupo. Et aucun n’a fait défection dans son haut-clergé. Seule l’ancienne députée bruxelloise Sfia Bouarfa a appelé à voter PTB-GO, un peu dans la veine d’un Ernest Glinne isolé qui, au tournant du siècle, était entré chez Ecolo.

Son bas-clergé et ses messalisants, selon encore Paul Magnette, désireraient vraiment, eux, le rapprochement. A hauteur de « deux tiers de nos militants », dit-il, ressentant la poussée à gauche. En 2013, une thèse de doctorat de l’ULB constatait que ceux qui abjuraient le PS étaient ceux qui le trouvaient le plus à droite. « Les membres qui se sentent plus à gauche que le Parti socialiste ont plus de chances de quitter la formation que d’autres membres », écrivait alors la chercheuse Anissa Amjahad. Mécaniquement, cela devrait consolider l’orientation centriste de la social-démocratie francophone. Ce n’est pas trop le cas. « Que deviennent ces membres ? S’investissent-ils dans des formations d’extrême gauche ou dans d’autres types de mouvements politiques ? » se demandait encore Anissa Amjahad. Ce n’est pas trop le cas non plus. « Sur Liège et le Hainaut, on a accueilli ces dernières années quelques centaines d’anciens membres du PS », se réjouit-on néanmoins au PTB.

Ses croyants restent encore fidèles à la vieille cathédrale, alors que la nouvelle chapelle se rengorge de faire venir ses brebis égarées par troupeaux. En 2014, c’est au profit du MR que le PS a perdu le plus d’électeurs wallons (53 200, selon le Centre d’étude de la vie politique de l’ULB). Mais il en a tout de même cédé 35 000 au PTB. Celui-ci en cherche toujours plus sur ce chemin-là, et les derniers sondages ne semblent pas devoir contrecarrer cette volonté.

Ce phénomène protestataire concerne toute l’Europe du socialisme ou à peu près, des îles britanniques (Corbyn contre Miliband, c’était ça) à la péninsule ibérique (Podemos contre le PSOE, c’est ça aussi), comme la Réforme a secoué toute l’Europe du christianisme.

Face à la Réforme protestante, qui se dressait contre la corruption des indulgences, l’Eglise avait choisi la Contre-Réforme.

Les Pays-Bas du Sud d’alors, soit la Belgique de maintenant, l’avaient appliquée dans le fer et le sang. Elio Di Rupo, lui, tend la main.

Avec la bonne foi du jésuite qu’il n’est pas.

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