La vieille loge "La Bonne Amitié"du GOB, à Namur. Elle a notamment initié Pierre Van Humbeek, ministre de l'Instruction publique en 1878. © FRANÇOIS NUSSBAUMER

Le pouvoir perdu des francs-maçons

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Toute-puissante au XIXe siècle et au début du XXe, la franc-maçonnerie pèse (beaucoup) moins aujourd’hui. Son influence se limiterait à la diffusion des valeurs des frères et des soeurs dans la sphère publique, celles d’une liberté de conscience absolue, de tolérance et de laïcité. Les nouveaux venus, eux, viendraient d’abord y chercher la fraternité.

C’est une injonction qui a fait tousser dans les loges. A la Une du Morgen, le 26 juin dernier, l’éditorialiste Joël De Ceulaer exhorte le maïeur socialiste de Gand à faire son coming out maçonnique.  » Etes-vous franc-maçon ? Que mijotez-vous en loge ? Qui en est ? Dites-nous tout !  » Daniël Termont, hyperpopulaire en Flandre et volontiers loué pour ses valeurs morales, est alors soupçonné d’avoir violé l’éthique dans ses relations avec Jeroen Piqueur, patron de la banque faillie Optima, qui l’invitait à de luxueuses fêtes. Le journaliste flamand concluait en demandant aux politiques, magistrats et journalistes d’arrêter de se cacher et de déclarer leur appartenance à une loge.

Depuis, l’enquête, achevée en octobre, a estimé que Daniël Termont n’avait commis aucune faute déontologique. Mais les propos ont fait bondir Jacky Goris, ancien grand maître du Grand Orient de Belgique (GOB), la plus importante obédience. Sur un mode plutôt outré :  » Cher Joël, votre ton était presque hystérique et évoque une manière de s’exprimer proche de l’extrême droite qui me fait peur, car elle rappelle les années 1930.  »

Marc Menschaert, l'actuel grand maître du GO, définit le pouvoir des maçons comme une
Marc Menschaert, l’actuel grand maître du GO, définit le pouvoir des maçons comme une  » influence individuelle « .© DEBBY TERMONIA

En mai, une autre saillie avait provoqué des haut-le-coeur parmi les maçons. Alors que les libéraux et les socialistes réclament d’inscrire la laïcité dans la Constitution, Wouter Beke, président du CD&V, s’émeut dans une interview au magazine Knack :  » Soyons clairs, nous sommes confrontés à un agenda des loges. Tout à coup, un Etat laïque à la française doit être introduit en Belgique !  » Cette fois, c’est Marc Menschaert, le grand maître actuel du GO, qui assure, énergiquement :  » Il n’y a jamais d’instruction verticale en maçonnerie !  »

Las, le succès médiatique remporté par cette  » non-histoire  » braque à nouveau les projecteurs sur l’influence réelle ou supposée des frères sur la vie politique, économique et sociale belge. Le fantasme collectif continue d’alimenter les esprits à intervalles réguliers, entretenu surtout par ceux qui n’en sont pas. Ainsi, du côté francophone, le gouverneur de la province de Liège, Hervé Jamar (MR), alors tout juste nommé ministre du Budget, déclare, quand il est questionné sur la franc-maçonnerie, avoir été approché à plusieurs reprises :  » J’estime que les pouvoirs réels doivent rester réels, et que les pouvoirs parallèles doivent cesser d’être des pouvoirs. Je refuse d’avoir un réseau occulte – aussi pacifiste soit-il.  »

Les liens entre le monde politique et la maçonnerie sont bien réels. Elio Di Rupo, Daniel Bacquelaine, Olivier Chastel et Sigfried Bracke sont
Les liens entre le monde politique et la maçonnerie sont bien réels. Elio Di Rupo, Daniel Bacquelaine, Olivier Chastel et Sigfried Bracke sont « passés sous le bandeau ».© E. HERCHAFT, T. DIRVEN/REPORTERS – E. ELLEBOOG,D. TELEMANS/ID PHOTO AGENCY

Le soupçon puise aussi son terreau dans la maçonnerie elle-même. Les frères clament haut et fort qu’ils n’ont rien à cacher mais cultivent le culte de la discrétion. Ce qui sème le doute, intrigue, énerve parfois. Les mêmes ressentent aussi une certaine fierté à compter parmi eux des gens de renom, nourrissant encore cette suspicion de puissance occulte, où  » les petites gens  » n’ont pas leur place.

Politique : un vrai déclin, après une vraie influence

Tout n’est pas faux pourtant. Même s’ils ne sont pas aussi intimes qu’on l’imagine, les liens entre le monde politique et la franc-maçonnerie sont incontestables. Des élus à la Chambre et au Sénat, ou exerçant des mandats régionaux ou communaux, des membres de cabinets ministériels ou des instances des partis ont bel et bien  » reçu la lumière « . A commencer – pour ne citer que ceux qui en font part au grand jour, fussent-ils des  » maçons dormants « , parmi lesquels on ne compte aucun élu CDH – par Elio Di Rupo, président du PS, Willy Demeyer (PS), bourgmestre de Liège, Christophe Lacroix (PS), ministre wallon du Budget, Daniel Bacquelaine (MR), ministre des Pensions, Olivier Chastel, président du MR, Louis Michel (MR), député européen, Siegfried Bracke (N-VA), président de la Chambre et passé sous le bandeau lorsqu’il était proche des idées de gauche.

Le soupçon puise aussi son terreau dans la maçonnerie elle-même

Mais selon un ministre initié,  » la proportion de frères et soeurs en politique est devenue plus faible qu’avant, particulièrement dans la nouvelle génération « . Et ils  » n’occuperaient pas forcément des postes clés « . Un fait confirmé par Jimmy Koppen, historien et chercheur à la VUB, auteur de De paradox van vrijmetselarij (éd. Houtekiet) :  » Les personnages les plus éminents, qui ont aujourd’hui le pouvoir en Flandre, n’appartiennent pas à la maçonnerie. Qu’il s’agisse du recteur de la KULeuven, du directeur de l’enseignement catholique ou des dirigeants syndicaux : aucun n’a franchi les colonnes du temple… De ce côté-ci, il n’y a pas de liens organisés avec la maçonnerie.  » Alors, pourquoi le CD&V aurait-il vu trois points là où il n’y a rien à signaler ?  » C’est d’autant plus idiot que personne en Flandre ne croit à une influence exercée en coulisse par les réseaux maçons « , poursuit Jimmy Koppen.

Ce qui, tout compte fait, est assez éloigné de ce que les frères ont connu par le passé. Au XIXe siècle, sous le coup d’une vigoureuse domination catholique, on assiste à la montée en puissance d’un sentiment libéral et anticlérical. Dès 1833, avec l’adoption de mesures favorables à l’enseignement catholique et alors que les partis politiques n’existent pas, les loges, d’abord réticentes, vont progressivement devenir des structures politiques. En 1841, le premier parti politique, l’Alliance libérale de Bruxelles, se crée aux frais de la maçonnerie, très attachée à l’indépendance du pouvoir civil par rapport à l’Eglise et à l’école publique. La loge est alors un bureau de recrutement électoral et d’écolage aux hautes fonctions publiques. Le GO, qui est de loin l’obédience phare, joue le rôle de laboratoire d’idées pour le législateur. Les hommes politiques ne font pas mystère de leur appartenance, comme le libéral Pierre Van Humbeeck (premier ministre de l’Instruction publique en 1878) ou le socialiste Achille Van Acker (ministre du Travail en 1944, puis Premier ministre en 1945). On sait  » qui en est  » et la maçonnerie n’est pas considérée comme une force occulte.  » Jusque dans l’entre-deux-guerres, et peut-être jusqu’en 1958, le pouvoir politique de la franc-maçonnerie a été réel « , expose Jean-Philippe Schreiber, professeur d’histoire à l’ULB. Depuis, les temps ont bien changé.  » Même si l’image qu’on en a demeure marquée par le XIXe et le début du XXe, qui représentent l’apogée des loges, on ne peut plus lui appliquer cette grille de lecture.  »

L’ère est révolue. Son influence n’a cessé de décliner. La querelle constante entre catholiques et libéraux s’est adoucie par phases jusque dans les années 1950. L’ouverture du Parti libéral aux catholiques, en 1961, a affaibli le poids des maçons dans les rangs libéraux. Tout comme au PS plus tard. La diversification du champ politique et la déconfessionnalisation des partis ont considérablement diminué le poids des frères. Et dilué leurs actions, tandis que, dans le même temps, d’autres mouvements contestataires, féministes, antiracistes, multiculturalistes, nés dans les années 1970, lui font directement concurrence sur le plan des idées, que ce soient la laïcité ou la liberté, avec une expertise plus performante que celle des loges.

Nés dans la marmite

Dans les rangs politiques, la plupart ont été  » adoptés « , c’est-à-dire qu’ils sont nés dans une famille maçonne, ou ont été reçus au début de l’âge adulte, repérés durant leurs cursus universitaire ou au début d’une carrière prometteuse. Autrement dit, très souvent avant leur entrée en politique. Parmi les plus jeunes – Charles Michel (MR) ou Paul Magnette (PS) -, bien que fils d’initiés ayant été approchés, tiennent dur comme fer à préciser qu’ils  » n’en sont pas « .  » Contrairement à ce qu’on croit, les politiques n’ont pas nécessairement bonne presse en loge. Les ateliers sont très sourcilleux et beaucoup redoutent une instrumentalisation « , observe Jiri Pragman, initié au GO et auteur de nombreux ouvrages sur la maçonnerie.  » Aujourd’hui, je ne suis plus sûr de pouvoir y entrer tant la méfiance à notre égard est vive « , résume un ministre socialiste, maçon depuis vingt-un ans au sein d’une loge mixte du Droit humain (DH).

Comme partout, les querelles et les rivalités font des étincelles entre frères de partis politiques opposés (ici, un temple du GO à Bruxelles).
Comme partout, les querelles et les rivalités font des étincelles entre frères de partis politiques opposés (ici, un temple du GO à Bruxelles).© FRANÇOIS NUSSBAUMER

Une méfiance d’autant plus grande que l’apport des politiques à la maçonnerie se révèle faible aujourd’hui. Ils sont des frères et des soeurs peu assidus aux travaux, leur emploi du temps étant souvent incompatible avec les tenues en loges, organisées au rythme d’un soir par semaine ou par quinzaine. Eux assurent y adhérer sans autre motivation que les idéaux maçonniques. Mais, de facto, ils savent qu’ils vont y croiser des personnalités de tous niveaux qu’ils n’approcheraient pas aussi facilement ailleurs. Ils constituent leurs réseaux, qui sont autant de vecteurs d’influence, mais donnent peu en échange.  » C’est un endroit où l’on nous sollicite aussi. Après certaines tenues, je rentrais parfois avec une dizaine de cartes de visite de personnes qui m’avaient demandé un coup de pouce pour leur fille ou leur époux « , répond ce parlementaire socialiste.

La spécificité française et l’épisode arc-en-ciel

Mais si les liens entre le monde politique et la franc-maçonnerie sont réels, sont-ils pour autant efficaces ? A l’inverse de la France, les invités politiques sont rares.  » Il y a d’autres endroits pour aller les écouter. Ce n’est d’aucune utilité en loge et induit par ailleurs un sentiment antimaçon « , indique Jiri Pragman. Et concrètement,  » soit le/la politique planche comme maçon(ne) devant d’autres maçons, soit il/elle est profane et intervient ès qualité, en dehors de toute période suspecte sur le plan politique, pour donner un éclairage sur un thème, par exemple sur la récente crise des migrants « .

La proportion de frères et soeurs en politique est devenue plus faible qu’avant

Les obédiences ne reçoivent donc aucun candidat à quelque élection que ce soit. De même, elles ne remettent pas de rapports, d’études ou de cahiers de doléances aux gouvernements. Pas plus qu’elles n’appellent à s’exprimer et à manifester, parce que les maçons ont des opinions diverses. Leur engagement se situe tant à gauche qu’à droite.  » Nous ne nous immisçons pas dans la controverse politique. Nous ne faisons pas de politique politicienne « , signale Pierre Klees, ancien grand maître du GO de 1997 à 1999 et acteur éminent de la vie économique belge.  » C’est une spécificité française, très parisienne et très Grand Orient de France, où il s’agit de veiller au strict respect de la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, à laquelle les maçons français sont viscéralement attachés.  »

Une efficacité d’autant plus fantasmée que les frères de bords politiques opposés, bien que maillons de la chaîne, ne s’entendent pas nécessairement. Comme partout, les querelles, les rivalités et les jalousies font des étincelles en loge. D’ailleurs, on constate que d’un atelier à l’autre, l’un accueille davantage de libéraux, l’autre de préférence des socialistes. Les quatre cinquièmes des frères affiliés au GO ne fréquentent que leur propre atelier et rendent peu visite aux autres loges. Chaque atelier vit sa vie, un peu dans son coin.

L’épisode de la coalition arc-en-ciel (1999- 2003), qui voit les sociaux-chrétiens renvoyés dans l’opposition, porterait, selon certaines sources, l’influence maçonnique. Or, Philippe Busquin, alors président du PS, n’est pas membre, et Louis Michel, président du PRL, ne l’est pas encore (NDLR : il est initié au Juste Milieu au sein du GO en 2001).

Jimmy Koppen, historien (VUB) :
Jimmy Koppen, historien (VUB) :  » Aucune personne influente en Flandre n’est initiée. « © SDP

Guy Verhofstadt, futur Premier ministre de cette alliance, et Herman De Croo, futur président de la Chambre, ne le sont pas davantage. En revanche, les libres penseurs se sont alliés pour faire passer leur programme dans un pays encore conservateur : l’euthanasie et le mariage homosexuel, par exemple. Et pour cela, il fallait évincer les catholiques. La coalition arc-en-ciel semble s’être nouée sur les idées.  » En être  » ne suffit pas à asseoir une majorité et gouverner ensemble. Ainsi en 2004, Elio Di Rupo, président du PS, n’hésite pas à s’unir en Wallonie, à Bruxelles et à la Communauté française avec le CDH de Joëlle Milquet et à lâcher le MR, la formation de son  » frère  » Louis Michel.

Face à la réalité politique, la maçonnerie ne pèse presque rien. La loge n’est pas le lieu où se scellent des accords. Mais elle favorise les relations privilégiées.  » Ça met du liant, c’est sûr « , raconte un ancien directeur de cabinet ministériel libéral qui appartient à  » la famille « . Selon l’interlocuteur, l’idée d’une alliance laïque, qui circule dans les rangs socialistes comme dans ceux des libéraux- réformateurs, serait  » teintée d’une volonté maçonnique « . Rien de tel, d’après nos informations. A trois ans des élections régionales, qui peut présumer des relations et des tensions entre les formations ?

Aucune autre ville en Belgique n'a vécu une
Aucune autre ville en Belgique n’a vécu une « maçonnisation » à l’image de celle qu’a connue Bruxelles (ici, saint Michel terrassant le dragon, soit la victoire de la science sur les ténèbres).© WWW.BRIDGEMANIMAGES.COM

La franc-maçonnerie ne constitue pas plus une force politique décisive dans les hémicycles. La fraternelle parlementaire qui rassemble des députés maçons serait à l’agonie.  » Elle ressemble à une pièce de Feydeau. Les portes claquent, le dîner est délicieux et les convives sont plus ou moins vieux et suffisants « , rapporte l’un d’entre eux.  » Au moment des votes, la discipline de groupe l’emporte sur cette appartenance.  »

Les bastions de recrutement

Les obédiences ne reçoivent aucun candidat à quelque élection que ce soit

Pour autant, il ne faudrait pas conclure que les loges n’accueillent plus que des hommes et des femmes de second plan, membres anonymes d’associations à but humaniste. On y trouve plus de fonctionnaires, plutôt gradés, plus de professions libérales, plus de politiques, plus de cadres. Une vérité que les représentants officiels des obédiences n’aiment pas dire, par peur de se faire taxer d’élitisme ou de cooptation sur des critères sociaux mais qui, au regard de l’histoire, apparaît comme une évidence. En trois siècles d’existence, les francs-maçons se sont toujours recrutés parmi ceux-là. Le très gros des troupes maçonnes sont des enseignants (un tiers des effectifs), des professeurs, des médecins, des avocats, des magistrats, des policiers gradés, des syndicalistes et des fonctionnaires.  » Il s’agit de lieux où l’on défend des valeurs républicaines « , détaille Pierre Klees. Les bastions de recrutement, de l’administration aux entreprises en passant par les hôpitaux, vivent dans un concubinage plus ou moins proche avec la puissance publique, où l’appartenance peut être un accélérateur de carrière. Et cette persistance de fiefs inexpugnables donne tout de même une assise à l’institution, quand le monde des entreprises privées et des affaires semblent toujours lui y échapper.  » Ce monde-là fonctionne déjà en réseaux et en organisations professionnelles « , avance un économiste dans une banque privée belge.  » Dans ce secteur, il y a peu de fraternité et très peu de maçons qui se dévoilent. On n’en parle pas.  »

Jean-Philippe Schreiber (à dr.), historien (ULB) :
Jean-Philippe Schreiber (à dr.), historien (ULB) : « Son influence n’a cessé de décliner. »© DIDIER LEBRUN/PHOTO NEWS

L’influence, enfin, semble surtout locale ou régionale. Ainsi à Bruxelles : aucune autre ville n’a connu une telle  » maçonnisation « , ni dans son ampleur ni dans sa durée. A l’exception de François-Xavier de Donnea (MR) et Michel Demaret (PSC), tous ses maïeurs  » en sont « , jusqu’à l’actuel, Yvan Mayeur. La plupart n’en font d’ailleurs pas mystère, à l’inverse de leurs collègues dans d’autres lieux. Dans la capitale, la franc-maçonnerie reste solidement implantée, surtout dans la politique qui défend la santé et son accès pour tous, l’enseignement public et l’école pour tous. Avec, dès lors, aujourd’hui encore, deux bastions intouchables : l’enseignement et les hôpitaux. Conséquence : il est toujours impensable qu’un non-initié se voit confier la mission de présider un hôpital public bruxellois. La Région est par ailleurs restée un centre de gravité maçonnique : plus d’un tiers des loges y résident et le GO compte à lui seul près de 40 % de ses membres à Bruxelles. Et puis, il y a bien sûr la création de l’Université libre de Bruxelles, dont la fondation fut, ici, véritablement pilotée par le GO. L’influence se serait-elle là aussi réduite ? Le nouveau recteur de l’ULB, Yvon Englert, n’est pas maçon, à l’inverse de son prédécesseur, Didier Viviers, alors que la légende veut qu’il faille être PS et frère pour occuper le poste.

Un pouvoir individuel

Reste que la vision selon laquelle la maçonnerie pèse sur les gouvernements et les orientations politiques n’a plus cours. Quelques données permettent d’en accréditer la thèse. Les marchés publics sont de plus en plus contrôlés, tout comme les procédures de recrutement des fonctionnaires. De quoi limiter les  » tentatives d’arrangement « . Le pouvoir que l’on peut prêter aujourd’hui aux maçons est décrit par Marc Menschaert, le grand maître actuel du GO, comme un  » pouvoir individuel  » :  » On attend des frères et soeurs qu’ils se comportent selon nos valeurs et servent de relais pour les diffuser.  » Il ne s’agit pas d’une influence structurée, mais d’une influence intellectuelle et morale, qui a façonné les mentalités des décideurs qui en font partie, ou du moins les entrepreneurs, au sens large du terme, jusqu’à créer une sorte d’osmose. Il y a ainsi des valeurs qui transcendent les rivalités politiques. Il en est des questions éthiques. Les grands maîtres sondés par Le Vif/L’Express le reconnaissent volontiers. Il y avait convergence avec leur utopie et la défense des mêmes combats, pour l’avortement, la contraception et son accès facilité, l’union pour tous, l’euthanasie…

C'est sous l'influence de Théodore Verhaegen que les frères s'impliquent dans la bataille politique.
C’est sous l’influence de Théodore Verhaegen que les frères s’impliquent dans la bataille politique.© PIERRE HAVRENNE/BELGAIMAGE

 » Certains idéaux transcendent les partis sans qu’il y ait un complot maçonnique « , relativise Marc Menschaert. Et de pointer la collaboration, sur des questions anticipatrices, avec des non-maçons, issus des mouvements laïques et féministes, qui n’ont guère fréquenté des ateliers. Sans ces concordances d’idées, point d’avancées.

Certains responsables politiques continuent pourtant d’utiliser leur pouvoir pour favoriser leurs frères, surtout du côté francophone, selon le chercheur Jimmy Koppen.  » Evidemment, des solidarités se créent, des relations professionnelles, réplique un membre du GO, qui préfère garder l’anonymat. Mais ni plus activement ni plus efficacement qu’au sein d’un réseau d’anciens d’une même université ou d’un quelconque Rotary Club. De toute façon, ceux qui ne sont là que pour nourrir leur carnet d’adresses ne restent que deux ou trois ans.  » Alors, jamais de coup de pouce entre maçons ?  » C’est surtout de l’ordre de la solidarité. Dans le cadre du travail, on remarque assez vite qui l’est ou ne l’est pas, note ce fonctionnaire, membre du Droit humain (DH). On se rend des petits services, on fait avancer les dossiers urgents, on avance le nom d’un frère.  »

En définitive, ce qui donnerait encore et enfin une assise à la maçonnerie, c’est sa force numérique, qui ne cesse de croître. Partout, dans toutes les obédiences, les effectifs augmentent, pour atteindre 26 712 membres aujourd’hui, en Belgique. Cette vague d’adhésion a commencé il y a plusieurs années et ne ralentit pas, tandis que dans le monde, les maçons n’attirent plus. Chez nous, elle concerne pour beaucoup des quadragénaires, des cadres moyens, des professions libérales. Venus chercher une recherche symbolique et une vie fraternelle, finalement bien loin des débats politiques et de la politique à l’ancienne.

Yvon Englert, recteur de l'ULB. Il n'est pas franc-maçon.
Yvon Englert, recteur de l’ULB. Il n’est pas franc-maçon.© LAURIE DIEFFEMBACQ/BELGAIMAGE

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire