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Le pouvoir fantôme de Charleroi

Le Vif

Souverain de 4 000 fonctionnaires, Copernic de la bonne gestion à Charleroi, Olivier Jusniaux est devenu le plus puissant secrétaire communal du pays. Portrait d’un technocrate de l’ombre au pouvoir exponentiel.

Par Christophe Leroy

A 41 ans, Olivier Jusniaux détient un pouvoir considérable. Désigné directeur général et secrétaire communal de Charleroi en juin 2012, cet artisan de l’ombre du Parti socialiste dicte ses règles au sommet d’une administration titanesque, minée par les scandales du passé. Véritable PDG de la fonction publique, il est là pour « mettre fin au régime des petits barons », comme le résume un échevin. Une mission pour laquelle il se comporterait en dictateur arrogant, selon ses ennemis.

Aux grands maux carolos, les grands remèdes : le salut de la plus grande ville wallonne ne passera en effet que par une révolution copernicienne dans son mode de gestion. Et c’est Olivier Jusniaux qui en sera le chef d’orchestre, avec la bénédiction de Paul Magnette. « Notre ville était confrontée à un grave problème dans les rapports entre le politique et l’administration, analyse le bourgmestre socialiste. J’ai voulu m’inspirer du mode de fonctionnement que j’ai connu à l’Etat fédéral, où les rôles sont parfaitement définis. »

Le défi est colossal, tant la méfiance et la défiance rythment le quotidien des 4 000 fonctionnaires que compte la Ville de Charleroi. Tel un gestionnaire de crise, Olivier Jusniaux se donne trois ans pour entrevoir l’espoir d’une résurrection de l’outil administratif, et trois années de plus pour la faire aboutir. « Nous sommes confrontés à des actes de sabotage que je n’ai vus nulle part ailleurs dans ma carrière. J’aimerais tellement que l’on nous laisse au moins une chance, plutôt que de devoir perdre notre temps à nous justifier. Si j’échoue, j’en assumerai les conséquences. »

Secrétaire du CPAS de Charleroi de 2008 à 2012, il n’était pas candidat à cette nouvelle fonction, synonyme d’une surexposition médiatique et parfois judiciaire. Vu le peu de candidats et l’urgence du poste à pourvoir, après trois demandes insistantes – d’abord de Jean-Jacques Viseur (CDH) peu avant de céder son maïorat, puis du collège communal -, Olivier Jusniaux accepte finalement d’endosser ce rôle de chevalier blanc dans l’antichambre des pouvoirs locaux. Mais pas à n’importe quel prix. Il reprend à son compte les compétences échevinales de l’informatique et du charroi des véhicules publics. Il se pose en guichet unique de l’administration et rappelle à l’ordre les protagonistes qui ne jouent pas le jeu. Si bien que les échevins n’osent plus répondre en son nom lorsqu’une question porte sur un enjeu propre à la fonction publique. Olivier Jusniaux est informé de la moindre demande émanant du politique, à travers le système des « notes vertes » hérité du fédéral. Il se constitue surtout un cabinet de quatorze personnes, principalement des hauts fonctionnaires et des universitaires aux spécialités diverses.

Efficace dans la discrétion, le personnage perçoit le pouvoir de l’ombre comme un vecteur de changement. Après des études en sciences politiques et en droit international à l’ULB, il intègre l’Institut Emile Vandervelde (IEV), le centre d’études du PS, en 1999. Expert méticuleux dans les matières sociales, de l’emploi et de la formation, il prépare des notes stratégiques pour Philippe Busquin, puis Elio Di Rupo. En 2004, il devient durant deux ans et demi l’un des chefs de cabinet de Marie Arena, alors ministre-présidente de la Communauté française, avant de retourner à l’IEV pour négocier la régionalisation de l’emploi.

Les vieux dinosaures de la politique carolo n’apprécient pas ce nouveau « donneur de leçons ». Début 2013, Jusniaux va lui-même s’engouffrer dans les déboires médiatico-judiciaires lorsque la fameuse affaire des iPhone apparaît au grand jour. En marge du débat sur l’opportunité d’une commande à 70 000 euros de cent iPhone 4S, destinés aux élus et aux hauts fonctionnaires carolos, la justice soupçonne le secrétaire communal d’avoir contourné les procédures légales. L’enquête suit toujours son cours. « Cette affaire est venue ternir l’image du personnage sans reproche », ricane un ancien élu socialiste.

Olivier Jusniaux, lui, tente de faire abstraction de ce cynisme, rétorque que l’erreur d’un agent est humaine lorsque l’on signe entre 80 000 et 100 000 documents administratifs par an. « Je ne m’attendais pas à ce que la polémique prenne une telle ampleur. Tout est parti de cette forme de bien-pensance qui veut que Charleroi, parce que l’on y serait miséreux, n’aurait pas le droit d’acquérir des outils modernes », s’agace le directeur général.

Malgré les soupçons, malgré les coups bas, ce technocrate doté d’une incontestable vision assure que son travail commence à porter ses fruits. Dans un an, la Ville décidera de reconduire ou non la mission que s’est attribuée Olivier Jusniaux. L’homme a carte blanche, mais peut jeter l’éponge à tout moment. « C’est un boulot usant, parfois ingrat. Je le fais avec passion et certainement pas pour le salaire ou la gloriole, quoi qu’en disent certains, confie-t-il en fin d’entretien. On peut me critiquer, mais je sais que je marche dans les clous. Le plus dur à encaisser, ce sont les attaques qui tentent de mettre en doute mon intégrité et mon corps de valeur. C’est insupportable. »

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