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« Le politique se sent coincé de toute part »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Il y a vingt ans, Louis Michel (MR) lançait les « Assises de la démocratie ». Pour plus de transparence et de moralité en politique. Un chantier aux allures de RER…

Le monde politique s’illustre encore tristement en ce moment…

Je n’ai pas envie de dire du mal de la classe politique, elle s’en charge très bien elle-même. Disons que je m’étonne un peu que l’on s’étonne. Et notamment la presse, qui semble découvrir ce que beaucoup de journalistes savaient : qu’un parti, de par sa position dominante sur l’échiquier politique wallon, a organisé une redistribution en interne du pouvoir. Même si j’admets que l’opacité du système mis en place rendait l’investigation difficile.

Publifin n’est pas la marque déposée du seul PS. Le MR a aussi apporté sa pierre à l’édifice…

Je ne suis pas en train de dédouaner une infime minorité d’administrateurs MR de leurs responsabilités pour s’être laissé entraîner par la facilité du système et l’estompement de la norme. Mais je n’accepte pas que tout le monde soit mis dans le même bain. Tout est question de niveau d’implication. Je rappelle au passage, et cela date maintenant, qu’un tout jeune ministre libéral wallon des Affaires intérieures, un certain Charles Michel, a tenté de mettre de l’ordre dans le paysage wallon des intercommunales. Ce qui lui a valu d’être proprement dézingué et au MR de ne plus être considéré comme un partenaire de gouvernement adéquat (NDLR : le MR est dans l’opposition en Région wallonne depuis 2004).

Publifin, Kazakhgate : énièmes illustrations du rapport problématique que le monde politique n’en finit pas d’entretenir avec l’argent ?

Sur ce plan, le monde politique n’est statistiquement pas différent du commun des mortels.

Excepté le devoir d’exemplarité qu’on est en droit d’exiger des représentants de la nation…

C’est exact. Mais tout le monde doit être un exemple à son niveau. Y compris les magistrats lorsqu’ils attaquent le politique, comme je l’entends parfois. De grâce, ne mélangeons pas tout.

C’est le cas ?

Publifin, c’est de l’argent public géré par un mécanisme d’économie privée, sans que les porteurs de ce genre d’activités n’aient le moindre compte à rendre. Ce sont les gens qui crient haro sur le libéralisme et le capitalisme qui ont mis en place des structures opaques et nébuleuses. Et ce sont les mêmes qui créent des sociétés privées dans le but de payer moins d’impôts ou de les éluder. Quelle incohérence chez certains parlementaires socialistes d’agir de la sorte !

On connaît la chanson : le monde politique doit se ressaisir. Comment ?

Il faut, bien entendu, des mesures fortes en matière de gouvernance publique. Mais je ne suis pas sûr que certaines pistes lancées aujourd’hui soient les plus indiquées. Limiter le parlementaire à un mandat rémunéré 4 800 euros net par mois ? Vous obtiendrez un Parlement coupé de la réalité, peuplé de fonctionnaires et d’enseignants mais déserté par le monde de l’entreprise et les avocats. Ce genre de mesure éloignera de la politique des tas de gens qui ont la motivation, le talent, l’intelligence et la formation pour accomplir un job où ils pourront tout simplement gagner davantage. Quel entrepreneur acceptera de sacrifier ses week-ends, ses soirées, ses vacances, pour gagner 4 800 euros net par mois ? N’improvisons pas des lois dans l’urgence émotionnelle.

L’urgence émotionnelle, n’est-ce pas le lot quotidien de l’homme politique d’aujourd’hui ?

Ce sont toujours les mêmes qui s’illustrent quand il s’agit de surfer sur l’émotion. L’impact des réseaux sociaux peut être terrifiant. Le politique se sent coincé de toutes parts. Il est tétanisé, il finira bientôt par ne plus savoir ce qu’il peut encore faire, dire, avec qui il peut encore parler. Les acteurs politiques de ma génération, comme Louis Tobback (NDLR : lire aussi page 28) ou André Cools, avaient un franc-parler. Nous disions notre colère, nous libérions notre ressenti et nos indignations. Nous sommes entrés dans l’ère de la prudence extrême, qui conduit au bafouillage convenu.

Cette incapacité du monde politique à assainir ses pratiques les plus discutables sans être chaque fois pris la main dans le sac, c’est lamentable, non ?

« Tous les mêmes » ? Non ! Ce sont les écarts de certains qui plombent la classe politique depuis des décennies. Attention aussi à ce que le moralisme et la bien-pensance ne mènent à un maccarthysme (NDLR : campagne de persécution des sympathisants communistes menée dans les années 1950 aux Etats-Unis) et ne vienne casser la démocratie. Le risque est réel. Ne donnons pas non plus l’impression que les « apolitiques », issus de la société civile, sont neutres par définition. Ou plus vertueux que les élus du peuple.

Plus de transparence, est-ce trop demander ?

Vous voulez un moyen de donner réellement aux citoyens le pouvoir de sanctionner le politique ? Supprimons la case de tête et l’intégralité de son effet dévolutif, retirons ainsi la confection des listes électorales aux appareils des partis : les places seront attribuées aux candidats par ordre alphabétique ou par tirage au sort. Celui qui aura le plus de voix sera élu. Et les femmes n’auront plus d’excuses de ne pas être 50 % au Parlement. J’attends toujours la mise en oeuvre de cette proposition déposée en son temps par le PRL. Un seul parti ne l’a jamais voulu : le PS. Voilà qui faciliterait pourtant le renouvellement de la classe politique. Car ce discours, je l’entends aussi : place aux jeunes, flinguons les vieux…

Le politique perd pied. N’a-t-il pas aussi perdu la main ?

Le politique ne peut plus faire correspondre son action aux tendances lourdes de la population. Il est quasiment condamné à être derrière la troupe, il court après les rêves disparates des citoyens. Il cherche à s’identifier aux rêves les plus partagés, qui ne sont pas nécessairement les plus réalistes ni ceux qui correspondent le mieux à l’intérêt général. Le politique doit être devant le peuple, pour lui indiquer le cap. Par exemple, pour légiférer sur l’usage abusif des réseaux sociaux par rapport au respect de la vie privée. Le peuple vous suit ou ne vous suit pas : dans ce dernier cas, il vous sanctionne.

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