© Image Globe / PETER DECONINCK

Le  » plan N  » de la Flandre

Les francophones se sont targués d’un  » plan B  » comme  » Bluff  » ? En Flandre s’échafaude aussi un  » plan B  » comme… Benelux. Le prélude d’un plan  » N  » qui ambitionnerait de ressusciter les Pays-Bas bourguignons, Bruxellois et Wallons compris. Ceci n’est encore qu’une fiction, mais….

Sous couvert d’économies, la piste relève du bon sens. A telle enseigne que la commission de Défense de la Chambre vient de se rallier à l’idée de l’explorer : pourquoi pas une armée sous pavillon du Benelux, qui porterait l’intégration des militaires belges, néerlandais et luxembourgeois, à un état proche de la fusion ? A la pointe de ce combat, la N-VA a tôt fait de baptiser cette puissance militaire encore dans les limbes : « het Leger van de Lage Landen ». « L’armée des Pays-Bas », comme le claironne la formation nationaliste, en français, sur sa nouvelle page Web créée à l’intention de la communauté internationale. Ceci n’est pas un lapsus. La figure de style trahit l’aspiration à projeter l’espace belge dans une autre dimension.

En désespoir de cause, il arrive aux Wallons, voire aux Bruxellois francophones, de tourner leur regard vers la France. La Flandre, aussi, cultive un fantasme d’après-Belgique. Il ne passe pas forcément par la voie d’une indépendance en solitaire, ni par un hypothétique rattachement au voisin néerlandais. Bienvenue dans la galaxie des Pays-Bas, version XXL, qui fait tourner certaines têtes pensantes flamandes. L’objet du désir : les « Lage Landen », un vaste ensemble géopolitique à dominante néerlandaise, qui rassemblerait, pêle-mêle, Flamands, Hollandais, Limbourgeois, Frisons, Picards, Brabançons, Luxembourgeois, ainsi que Bruxellois et Wallons… Toute une constellation plurilingue d’identités diverses, que les aléas de l’Histoire ont séparées. La forme institutionnelle à donner à cette configuration reste à inventer. Certains l’esquissent déjà sur le modèle d’une Suisse à la sauce néerlandaise. Conçue comme la clé de nos maux actuels.

« Une issue « néerlandaise » à la crise fédérale ? » Interrogateur, le titre d’un article paru dans le dernier numéro du mensuel Doorbraak, porte-voix des aspirations flamandes, suggère lourdement cette manière de tourner la page belge. Ses cosignataires ne s’interdisent pas de rêver. Dirk Rochtus, spécialiste en politique allemande au collège universitaire Lessius d’Anvers, et Ward Kennes, député régional… CD&V féru d’histoire et de géopolitique (lire l’interview de Ward Kennes ), ne craignent pas d’exhumer les XVII Provinces du temps de Charles- Quint ainsi que le royaume des Pays-Bas de la première moitié du XIXe siècle, pour convaincre de sortir de nos frontières de 1830. « Les discussions communautaires sans fin entre Flamands et Wallons feraient oublier que la Flandre et la Wallonie ne sont pas seulement des entités fédérées belges mais font aussi partie de l’espace néerlandais. » Cet espace garde des traces visibles, assure le duo. Le Benelux, avec lequel il coïncide grosso modo, lui donne déjà une certaine réalité sur les terrains économique, politique, environnemental, touristique, judiciaire. Au parlement flamand, Ward Kennes a pu un jour vanter les charmes de cette vraie valeur-refuge en ces temps incertains pour la Belgique, sans être contredit par le ministre-président flamand Kris Peeters (CD&V) : « Si la Belgique éclate un jour, une Union du Benelux sera aussi nécessaire, à côté de l’Union européenne, pour donner un cadre à la coopération entre les Etats flamand et wallon. »

Le champ culturel, linguistique, scolaire ne reste pas non plus en friche : il est déjà labouré par divers traités et accords de coopération passés entre la Flandre et les Pays-Bas. La Nederlandse Taalunie en est l’illustration. En somme, il ne resterait qu’à assembler les pièces de ce puzzle pour faire émerger un géant néerlandais, quatrième puissance commerciale au sein de l’Union européenne, capable de jouer dans la cour des plus grands.

Elucubrations de doux rêveurs ? Les idées sont faites pour percoler. Et de telles perspectives ont de quoi faire vibrer certaines fibres nationalistes flamandes. Le Pr Rochtus insiste sur le caractère personnel et académique de sa réflexion. Mais cet ancien cabinettard du ministre N-VA des Relations extérieures Geert Bourgeois n’en a pas moins récemment fait son entrée au conseil du parti de Bart De Wever. Cette même N-VA qui a décroché, et c’est une première, la présidence de la commission des Relations extérieures du Parlement du Benelux : l’heureux élu, le député Marc Hendrickx, ne fait pas mystère de sa volonté d’y imposer aussi la griffe flamande. Et c’est encore le chef de groupe N-VA au parlement flamand, Kris Van Dijck, qui subodorait toute la puissance de frappe que peut représenter le néerlandais dans le monde, en se félicitant récemment de la volonté du gouvernement flamand d’intensifier sa coopération avec les Pays-Bas : « Avec les Pays-Bas, notre territoire linguistique n’est pas si petit que nous le pensons parfois. »

Tout cela reste encore très éloigné d’un modèle politique abouti. Les réticences, les résistances à vaincre restent colossales. Il s’agira de convaincre le partenaire néerlandais de valser plus étroitement à trois. Mais Rochtus et Kennes croient percevoir un frémissement : « Les Pays-Bas ont toujours campé sur leur position de « plus grand des petits Etats européens. » Mais parmi les penseurs et dirigeants néerlandais grandit la prise de conscience qu’une position propre ne sera plus aussi forte qu’auparavant, au sein d’une Union européenne qui s’élargit et parmi les remous de la globalisation. » L’incitation à plus de modestie pousserait le voisin du Nord à se tourner vers les horizons belges et à jouer la carte du Benelux. Dernières nouvelles du front : le 6 juin, un ministre-président flamand effectuait sa première visite officielle au grand-duché de Luxembourg. Avec promesse mutuelle entre chefs de gouvernement de ne pas en rester là. Le député Ward Kennes y voit une heureuse coïncidence, lui qui a fait sienne la devise du stadhouder Guillaume le Taciturne : « Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. »

PIERRE HAVAUX

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