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Le parfum corsé de la note Vande Lanotte

Si la note Vande Lanotte s’inspire des propositions de Bart De Wever et d’Elio Di Rupo, elle rappelle aussi un autre document : le rapport rédigé en janvier 2008 par Guy Verhofstadt. Un texte descendu en flammes, à l’époque, par les francophones… Chronique d’une reculade annoncée.

La note Vande Lanotte. Cela sonne joliment. Et cela pèse lourd. Soixante pages. Des transferts de compétences de l’Etat fédéral vers les Régions et les Communautés pour 15 milliards d’euros. L’aube d’une nouvelle Belgique ? Ou un carburant pourri qui va aggraver la déliquescence du pays ?

Le document rédigé par le socialiste ostendais s’inspire très largement des propositions déjà déposées, au terme de leur mission royale, par le préformateur Elio Di Rupo (le 3 septembre) et le clarificateur Bart De Wever (le 17 octobre). Mais la petite musique de Johan Vande Lanotte possède aussi sa propre tonalité.

Par son ampleur, par son ambition, la note VDL rappelle un autre texte, celui déposé par Guy Verhofstadt le 8 janvier 2008. Souvenons-nous : à l’époque, la Belgique s’enfonçait dans une crise interminable (eh oui). Appelé à la rescousse, l’ancien Premier ministre avait rempilé pour un troisième mandat à la tête du gouvernement. A l’issue de sa mission de formation, le libéral flamand avait remis au roi un rapport de 18 pages, dense et original. « C’est le seul document que je connaisse émanant d’un responsable politique qui présente une vision à la fois globale et structurée du futur Etat fédéral belge », avait applaudi Gérard Deprez (MR), dans La Libre Belgique

Un enthousiasme rare du côté francophones. La note Verhofstadt ? « Totalement déséquilibrée », fustigeait Elio Di Rupo. « Une soupe qui a exclusivement le parfum des exigences flamandes », renchérissait le ministre-président bruxellois, Charles Picqué. « La meilleure chose à faire, c’est de ne pas trop la commenter », lâchait Marcel Cheron, l’expert institutionnel d’Ecolo, ironique comme à son habitude. Joëlle Milquet, la chef de file du CDH, dénonçait quant à elle « un condensé des revendications flamandes, qui touche aux tabous francophones sans même oser aborder les tabous flamands ».

Presque trois ans jour pour jour après celle de Verhofstadt, la note Vande Lanotte se trouve aujourd’hui au centre des débats. Ouverts, pragmatiques, les deux hommes n’en sont pas moins les porte-parole d’une Flandre lasse d’entretenir un système fédéral perçu comme un hamac douillet où se prélassent les francophones. Cela doit changer, exigent-ils. A examiner les cinq grands chapitres de la note Vande Lanotte, on constate que son contenu était largement annoncé dans le rapport Verhofstadt.

TRANSFERT DE COMPÉTENCES Vande Lanotte entend régionaliser la politique de l’emploi, en raison des différences qui existent entre les marchés du travail, dans le nord et le sud de la Belgique. Une politique adaptée aux réalités régionales doit permettre de mieux combattre le chômage. Un bonus financier sera d’ailleurs versé aux Régions qui présentent de bons chiffres, afin de les motiver à combattre énergiquement le chômage. Dans sa note, Verhofstadt prévoyait déjà un « bonus d’insertion » : un supplément alloué aux Régions, en fonction du nombre de demandeurs d’emploi placés ou formés.

La note Vande Lanotte propose une large décentralisation de la justice. Les gouvernements flamand, wallon et bruxellois auront leur ministre de la Justice, notamment compétent pour l’application des peines et le droit de la jeunesse. Vande Lanotte envisage aussi de transférer les allocations familiales vers les Régions, bien que leur financement reste fédéral ; il veut également scinder une partie des soins de santé (la politique à l’égard des personnes âgées et des handicapés, entre autres). Deux évolutions déjà préconisées par Guy Verhofstadt en janvier 2008.

LOI DE FINANCEMENT En organisant la solidarité entre Régions riches et Régions pauvres, la loi de financement sous-tend toute l’architecture de notre système fédéral. La réformer, c’est réformer « ni plus, ni moins que la Belgique tout entière », selon la formule d’Elio Di Rupo. On devine donc pourquoi le sujet a provoqué tant de crispations depuis juin dernier.

La réforme de la loi de financement proposée par Vande Lanotte veut concilier responsabilité et solidarité. Elle accroit l’autonomie fiscale des Régions, mais ne bouleverse pas fondamentalement les mécanismes de financement actuels, comme certains francophones le craignaient (et comme certains néerlandophones le demandaient).

BRUXELLES Revendication centrale des francophones, le refinancement de la Région bruxelloise a été repris par Vande Lanotte. Mais là où les francophones demandaient 500 millions d’euros par an, sa note n’en accorde que 370 millions. Cette somme représente une double compensation. Un : pour les 348 000 navetteurs qui utilisent les infrastructures bruxelloises, tout en payant leurs impôts en Wallonie ou en Flandre. Deux : pour le manque à gagner lié aux fonctionnaires internationaux qui habitent dans la capitale, mais bénéficient de larges exonérations fiscales.

Vande Lanotte envisage aussi la création d’une « communauté urbaine », qui dépasserait les frontières de la Région bruxelloise, un peu sur le modèle de Lille. Une pilule plutôt amère pour la N-VA : cette nouvelle structure risque d’affaiblir le caractère flamand de la périphérie bruxelloise.

En 2008, déjà, Verhofstadt reconnaissait comme « fondée » la demande en faveur d’un refinancement de Bruxelles, et plaidait pour le développement d’une « véritable Région urbaine bruxelloise ». Par contre, il n’évoquait pas ce qui constitue l’une des originalités de la note Vande Lanotte : autoriser des listes bilingues aux élections régionales bruxelloises. Cette idée, notamment soutenue par le CDH et Ecolo, mais aussi par Pascal Smet (SP.A), se heurtait jusqu’à présent à un large refus du côté néerlandophone.

BHV Splits BHV nu ! Le leitmotiv flamand, seriné depuis plus de trois décennies, est repris par Vande Lanotte. Tout comme celui de Verhofstadt, son texte prévoit une coupure nette entre la circonscription électorale du Brabant flamand et celle de Bruxelles. Autrement dit : les habitants francophones de Zaventem, Grimbergen ou Beersel ne pourront plus voter pour Olivier Maingain, Joëlle Milquet et les autres candidats bruxellois. Seuls les habitants des six communes à facilités (Wemmel, Drogenbos, Linkebeek, Kraainem, Wezembeek-Oppem et Rhode-Saint-Genèse) conserveront le droit de voter à Bruxelles.

La circulaire Peeters est par ailleurs assouplie. Pour recevoir leurs documents administratifs en français, les habitants des communes à facilités devront en émettre la demande expresse tous les trois ans, et non plus chaque année.

RENOUVEAU POLITIQUE Ce sont les propositions les plus surprenantes émises par Vande Lanotte. Tiens, tiens : les idées les plus originales du rapport Verhofstadt portaient, déjà, sur la refonte du Parlement et du système électoral. Vande Lanotte propose qu’à partir de 2014 plus aucun sénateur ne soit élu directement. Le Sénat sera dorénavant composé de parlementaires siégeant déjà à la Communauté française ou à la Communauté flamande. « Dans tous les pays fédéraux, la pratique démontre que s’impose un Sénat ou une deuxième chambre constituant l’émanation des différentes entités fédérées », indiquait la note Verhofstadt.

Les députés fédéraux seront par ailleurs élus pour cinq ans, et non plus pour quatre ans, afin que les élections fédérales coïncident avec les scrutins européens et régionaux (une autre idée défendue par Verhofstadt).

QU’EN PENSER ?

1. La note Vande Lanotte ne contient rien de vraiment scandaleux pour les francophones. La nouvelle Belgique qu’elle s’attache à décrire reste fédérale. Même s’il règne sur nos institutions un parfum de confédéralisme de plus en plus prononcé.

2. L’inconfort de la position francophone n’a jamais été si grand. En janvier 2008, Di Rupo, Milquet et consorts pouvaient encore se payer le luxe de rouler des mécaniques. Aujourd’hui, ils sont le dos au mur, « à genoux dans la neige » (dixit le SP.A Frank Vandenbroucke). Prêts à toutes les concessions ? Peut-être pas. Mais, pour eux, le prix à payer pour préserver la Belgique – et ses mécanismes de solidarité – risque d’être très élevé.

3. La note Verhofstadt proposait de refédéraliser les normes de bruit et la coopération au développement. Deux transferts symboliques, mais qui montraient que la réforme de l’Etat ne fonctionne pas à sens unique : plutôt que de détricoter toujours plus l’échelon fédéral, elle peut parfois servir à le renforcer. Rien de cela dans la note Vande Lanotte. Verhofstadt proposait par ailleurs de créer une circonscription fédérale, une piste que Vande Lanotte n’a jamais envisagée, semble-t-il. Des détails ? Oui, des détails. Mais ils changent tout. Verhofstadt, même s’il défendait un point de vue flamand, avait encore l’ambition de redonner du punch à la Belgique. Vande Lanotte, lui, s’emploie à limiter la casse. Mais est-ce sa faute s’il a dû rédiger sa note dans la foulée d’un big bang qui a déréglé notre climat politique pour longtemps ? Ses propositions ne sont que la conséquence d’un scrutin historique, quasi révolutionnaire, qui a propulsé les nationalistes flamands au rang de première force politique du pays.

FRANÇOIS BRABANT

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