Olivier Mouton

Le pandagate, reflet d’un fédéralisme de méfiance

Olivier Mouton Journaliste

On l’appelle le « Pandagate » et c’est la dernière histoire belge en date. Elle fait rire aux éclats, consterne à l’infini ou provoque l’indignation. Mais elle est aussi le reflet d’un fédéralisme belge qui se cherchera sans doute toujours un point d’équilibre.

Petit rappel de la saga qui affole le pays en cette rentrée politique. Le Premier ministre Elio Di Rupo, en visite officielle en Chine, annonce avec délectation que deux pandas géants seront prêtés par Pékin au parc Pairi Daiza, à Brugelette, dans son Hainaut chéri. Et non au zoo d’Anvers. Les deux institutions mènent depuis des deux mois des démarches pour conclure ce dossier. Espèce en voie de disparition, symbole par excellence de la lutte contre un écosystème en perdition, le panda est d’autant plus cher qu’il est rare. Immédiatement, la N-VA s’indigne de ce choix par trop communautaire à ses yeux. Le ministre-président flamand Kris Peeters (CD&V) annonce qu’il demandera des explications au Premier ministre. Les remous communautaires classiques.
Le débat s’enflamme sur les réseaux sociaux. Avec une bonne dose d’humour belge à la clé. « Pour les pandas: ni la Flandre ni la Wallonie, je propose un parc bruxellois pour mettre tout le monde d’accord ou alors la Cage aux Ours? », s’amuse la ministre Ecolo Evelyne Huytebroeck. D’autres suggèrent mini-Europe ou « une zone pour pandas dans le nouveau stade à côté de la piste (avec un panda flamand et un wallon) ». Une autre écologiste, Zakia Khattabi, présidente du groupe Ecolo au Sénat, s’attaque à un autre registre: « M’attends à ce que Maggie De Block renvoie les pandas illico d’où ils viennent ». Catherine Fonck, cheffe de groupe CDH à la Chambre, opte pour le linguistique: « Quand Anvers se rendra compte que ces gentils pandas ne parlent pas le néerlandais, le pandagate sera réglé. »

D’autres relativisent ce sujet brûlant, ce buzz porté par les nouveaux médias. « Un pacte de relance à ficeler, des budgets délicats pour les régions, la guerre en Syrie…Et la N-VA politise… une histoire de pandas », clame l’un. « Les pandas semblent plus importants que l’anniversaire du coup d’Etat au Chili », raille Jean-Michel De Waele, doyen de la faculté des sciences politiques et sociales de l’ULB. « La place des animaux, c’est leur environnement naturel. Libérez les pandas! », scande le journaliste Alain Gerlache.

A l’étranger, faut-il le dire, on se demande quelle mouche a piqué des Belges que l’on disait pacifiés. Si le sujet prête évidemment à sourire, il n’en représente pas moins un enjeu réel. Qui est en outre révélateur de notre fédéralisme en recherche d’harmonie.

Un enjeu réel? Le zoo d’Anvers et Pari Daiza attirent tous les deux plus d’un million de visiteurs chaque année et constituent des pôles d’attraction majeurs pour leur région respective. La présence des pandas géants pourrait doper ces chiffres de quelque 20% si l’on en croit l’exemple d’un autre zoo qui en accueille, celui de Memphis aux Etats-Unis. En clair, derrière cette histoire d’animaux mignons se cache une histoire de gros sous et, tout aussi importante, d’image de marque d’une région « qui gagne ».
Si la polémique prend de telles proportions, c’est aussi – évidemment! – parce que les nationalistes flamands sont prêts à tout en cette année préélectorale pour déstabiliser le Premier ministre francophone socialiste Elio Di Rupo. L’aubaine est d’autant plus belle que leur leader, Bart De Wever, est bourgmestre d’Anvers: « sa » ville serait « lésée » dans l’affaire et l’on sait combien celui-ci aime jouer les Calimero. Le ministre-président flamand Kris Peeters, lui, ne peut rester à la traîne son grand rival pour le scrutin du 25 mai 2014. Il sait que la réputation de la Région qu’il dirige est en jeu.Or, stratégiquement, il compte rester à sa place: il vient de déclarer qu’il se verrait plutôt ministre-président flamand lors de la prochaine législature que Premier ministre fédéral. Le combat des chefs flamando-flamand a débuté. Il sera cinglant.

De façon plus structurelle, et par-delà le positionnement des uns et des autres, ce dossier illustre la quête d’équilibre permanente de notre fédéralisme. Avec la sixième réforme de l’Etat, plus que jamais, le centre de gravité du pays est déplacé vers les Régions et Communautés. Pour que le système fonctionne, pour éviter les rivalités stériles et les crises sporadiques, celles-ci devront collaborer entre elles, ce qui reste souvent un voeu pieu. Le dossier des pandas démontre que nous vivons encore et toujours dans un fédéralisme de méfiance où l’on ne se parle pas assez, où l’on ne croit pas assez aux bonnes intentions de l’autre et où l’on joue un jeu politique dicté par son positionnement électoral et communautaire.

A force de se crêper le chignon et d’en rire, on en oublierait presque qu’il s’agit d’une bonne nouvelle pour le Pairi Daiza de l’énergique Eric Domb, ancien patron des patrons wallons, et pour le pays tout entier. Mais ce n’est peut être pas le plus important du pandagate…

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