Carte blanche

« Le Pacte d’excellence … sans le sou ! »

Emmanuel Depret, ex enseignant en haute école et papa de trois enfants scolarisés, s’interroge sur les moyens alloués au Pacte d’excellence suite à l’article paru dans Le Vif de cette semaine.

À nouveau, je m’interroge quant aux (très faibles) moyens alloués (230 millions d’euros en 2017) par rapport au nombre d’élèves (0,879 million en fondamental et secondaire en 2015), soit 261 euros par élève (!), pour atteindre les objectifs fixés par le Pacte d’excellence :

D’une part, imposer aux élèves un tronc commun, sans options (ce qui réduira les coûts dans l’enseignement, mais quid de certains cours et dès lors des enseignants ?), jusqu’à la 3ème secondaire, mais avec une priorité à l’individualisation via la remédiation, la consolidation des connaissances, et le dépassement de soi (par qui et comment ?), et en conséquence réduire le taux de redoublement (et donc à nouveau diminuer les coûts de financement public générés par les doubleurs) de moitié d’ici à 2030, et d’autre part, augmenter la formation des enseignants (avec quel argent ? Comment les motiver ?) et leur faire subir une évaluation annuelle diligentée par les directeurs d’école, encore à devenir, via également des formations (avec quel argent ? Comment les motiver ?), de bons « top managers » (lesquels seront seuls dans le poste de commandement ?).

Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec ce que j’ai connu dans une université canadienne voilà … 15 ans.

Après avoir obtenu 3 diplômes universitaires en droit dans une université belge, j’ai étudié la Common law (c-à-d. le droit anglo-saxon) dans une université canadienne sise dans la province du New-Brunswick (province côtière à l’océan atlantique, vivant principalement de l’agriculture et de la pêche).

Petite université, elle avait, par la participation annuelle de ses meilleurs étudiants à des concours nationaux, réussi à se hisser dans le top 10 du classement national des universités canadiennes. À comparer avec nos pôles d’universités belges, non classés sur le territoire national …

De septembre 2001 à fin avril 2002, j’ai donc participé aux cours délivrés de la première à la troisième année en droit, par des professeurs canadiens, dont la majorité d’entre eux étaient sous contrat de travail à durée déterminée d’une année, renouvelable. Les rares professeurs, réputés au sein de l’université et en dehors des murs de celle-ci, bénéficiaient, quant à eux, d’un contrat de travail de trois à cinq ans, renouvelable. À comparer avec nos professeurs ou chargés de cours belges, sous contrat de travail à durée indéterminée, voire nommés …

Une fois l’ensemble des cours délivrés, mais toujours avant l’examen, le professeur faisait l’objet, obligatoirement, d’une évaluation anonyme de la part de tous ses étudiants. L’objectif lui imposé était de les faire réussir, mais aussi implicitement et nécessairement, vu les évaluations, de leur plaire, et donc de développer outre des connaissances, des compétences pédagogiques, sous peine de ne pas garder son poste l’année suivante. À comparer avec les éventuelles évaluations des professeurs ou chargés de cours dans les universités belges, et les conséquences concrètes de celles-ci …

Les classes de cours comprenaient un maximum de 30 étudiants. À comparer avec nos auditoires belges de 300 à 650 étudiants …

Quant à la motivation des étudiants canadiens, la majorité des 30 étudiants, financés par des prêts d’études (et non des bourses, très rares en pratique), avaient déjà obtenu un diplôme universitaire dans une matière autre que juridique, et poursuivaient une formation juridique dans l’espoir d’exercer le métier d’avocat, très lucratif au Canada. Le retour sur investissements s’imposait en effet, ne fut-ce que pour pouvoir honorer à la sortie de la formation les traites des prêts d’études. À comparer avec les centaines d’étudiants belges, primo-arrivants en 1ère année en droit, financés par leurs parents pour la grande majorité d’entre eux, et avec les centaines d’avocats vivant sous le seuil de pauvreté à Bruxelles (un sur deux) ou à Liège (un sur trois) …

Quant au nerf de la guerre, mes 8 mois d’études au Canada, financés par une Fondation belge, avaient coûté 15.000 euros (inscription + syllabus + logement + nourriture + tickets d’avion). À comparer avec les +/- 800 euros de droits d’inscription à payer en première année en droit dans une université belge …

Quant à la motivation à exercer le métier d’enseignant au Canada, l’une de mes professeures, à l’époque Doyenne de la faculté de droit, m’avait expliqué avoir exercé antérieurement la profession d’avocate, mais avoir dû se résoudre à quitter ce métier en raison d’une diminution de sa clientèle et donc de son chiffre d’affaires, alors que ses primes d’assurance (notamment en responsabilité professionnelle) augmentaient sans cesse. L’exercice du métier d’enseignant n’était donc pas son premier choix.

Il m’avait également été dit que devient enseignant au Canada celui qui ne peut se « faire de l’argent » ailleurs.

J’ai gardé des contacts avec plusieurs anciens étudiants canadiens, devenus des amis. Aucun d’entre eux n’est enseignant, alors même que l’un d’eux avait pourtant poursuivi quatre années de formation en pédagogie après avoir obtenu son premier diplôme universitaire. À comparer avec les années de formation pédagogique des enseignants belges …

En conclusion, il faut donc savoir ce que l’on veut en Belgique, notamment au sud du Pays.

Il est certain que sans un véritable budget alloué à l’enseignement, ce nécessaire et beau projet d’une École de la réussite sera mort-né ou mort peu après sa naissance.

Il est certain selon moi que sans un véritable budget alloué à l’enseignement, ce nécessaire et beau projet d’une École de la réussite sera mort-né ou mort peu après sa naissance. Si le projet a été rédigé par la société civile, il ne faut cependant pas perdre de vue que c’est le politique qui décidera du budget à lui allouer in fine, et donc de la priorité à accorder à celui-ci.

J’en tremble déjà.

La Fédération Wallonie Bruxelles (est-elle encore « Fédération » vu le paysage politique actuel ?) n’est-elle pas désargentée de manière chronique ? Sera-t-elle financée à nouveau suite aux prochaines élections fédérales, notamment par la vente au nord du Pays de nouveaux actifs communautaires ?

Un lobbying sera-t-il exercé par la société civile sur le politique ? La Nation, qui détient tous les pouvoirs, contrôlera-t-elle ses représentants ? Je ne peux que l’espérer. J’ose croire ne pas être le seul …

Emmanuel Depret

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