Giovanni Cosentino

Le Pacte d’excellence ou comment produire de la réussite sur commande

Giovanni Cosentino Licencié en sciences physiques - Professeur de physique à l’Athénée royal de Mons 1

Le métier d’enseignant fait partie de ces métiers pour lesquels, malgré toute l’expérience et les compétences que l’on peut avoir accumulées au cours du temps, il est impossible de pouvoir garantir que le travail fourni sera productif.

De même qu’un médecin ne peut vous garantir la guérison, un enseignant ne peut vous garantir la réussite d’un examen. Même après 30 ou 40 ans de métier, un professeur, fût-il réellement excellent, restera toujours modeste, car il sait très bien que, jour après jour, la bataille qu’il mène n’est jamais totalement gagnée et qu’il doit constamment se remettre en question. C’est pourquoi il ne lui viendra jamais à l’idée – au risque de se ridiculiser – de dire à ses élèves que ses qualités pédagogiques sont exceptionnelles et que cela va constituer pour eux une garantie de réussite.

Mais ce qu’un enseignant ne fera jamais, une (ex)ministre de l’enseignement a osé le faire : prétendre, sans l’ombre d’une hésitation, qu’elle allait faire de notre enseignement « un enseignement d’excellence » ! Il faut avoir une fameuse dose de culot, pour ainsi s’autoproclamer « génératrice d’excellence » et affirmer que la qualité peut s’imposer par décret. Cette ministre a donc mis sur pied, il y a un an, douze groupes de travail auxquels elle a confié la délicate mission d’imaginer un ensemble de mesures (le fameux Pacte pour un enseignement d’excellence) destinées à sortir notre enseignement de sa médiocrité supposée. Parce qu’il ne faudrait tout de même pas oublier que chaque fois que dans ce pays des politiciens se mettent en tête d’améliorer la qualité de notre enseignement, ils se croient obligés de dénigrer tout ce qui a existé avant eux et inventent donc, pour l’occasion, des formules-choc qui suggèrent que, grâce à eux, une petite révolution va avoir lieu.

C’est ainsi que, dans les années nonante, on nous avait abreuvés, jusqu’à la nausée, de ce slogan bassement démagogique et totalement stupide : « l’école de la réussite ». Comme si l’école « d’avant » avait été une école de l’échec, bien évidemment voulue telle par les méchants professeurs dont tout le monde sait que le seul but dans la vie est de faire échouer leurs élèves. Heureusement que les politiciens sont là pour, de temps en temps, les remettre sur le droit chemin ! Aujourd’hui, on voudrait nous faire croire que les idées géniales qui vont naître dans les cerveaux de quelques spécialistes, convenablement triés sur le volet vont, une fois de plus, changer la donne et nous assurer enfin un enseignement idéal, source de réussite et d’épanouissement pour tous. Vous l’aurez deviné, la réalité est tout autre.

La réalité, c’est que l’échec scolaire (entendez : le redoublement) coûte cher. Plusieurs centaines de millions par an, nous dit-on. Alors il faut trouver des solutions pour faire des économies, mais bien évidemment pas n’importe comment. Il serait bien maladroit, pour nos politiciens, de dire que l’on va diminuer les frais de fonctionnement, encore et toujours. Cela passerait mal. Alors, pour que la manoeuvre passe (presque) inaperçue, la solution qu’ils ont trouvée est tout simplement de…gommer l’échec. Le Pacte pour un enseignement d’excellence prévoit ainsi que, jusqu’à l’âge de 15 ans, le redoublement de l’élève doit être évité. En fait, le texte dit qu’il devrait être « exceptionnel », mais que signifie ce terme ? A partir de combien d’échecs pourra-t-on considérer que le cas de l’élève est exceptionnel ? Cela, le texte ne le dit pas. Mais là n’est pas le plus interpellant. En effet, le Pacte prévoit aussi (dans son chapitre intitulé « Gouvernance, enseignants et directions ») que les chefs d’établissements devront s’engager – il s’agit bien d’une contrainte, je n’invente rien – à concevoir et honorer un « plan de pilotage », c’est-à-dire, en fait, un plan de réussite. Non, vous ne rêvez pas, il s’agit bien d’obliger les enseignants et les directeurs d’école à s’engager à atteindre, parmi d’autres objectifs, des taux élevés de réussite (sans toutefois préciser lesquels). Le texte dit bien que pour les « directions qui montrent une incapacité ou une mauvaise volonté manifeste de mettre en oeuvre le plan de pilotage ou certains de ses objectifs (…) un processus de suivi rapproché peut être mis en place (…) Enfin, en dernier ressort, des sanctions peuvent être prononcées en termes de réduction, voire de suppression, des moyens de fonctionnement et d’encadrement (condition de financement des établissements). » En lisant ces lignes, on voudrait se rassurer et se dire qu’il ne s’agit que d’un cauchemar et qu’il suffira de se réveiller pour y mettre un terme, mais non, il s’agit bien de mettre la pression sur les acteurs de l’enseignement pour qu’ils se débrouillent, par tous les moyens, pour que leur école ne soit pas « en écart de performance par rapport à la moyenne des autres établissements » (Ah, que l’expression est bien trouvée !)

Dans ce chapitre sur la gouvernance des écoles, et qui compte 16 pages, le mot « responsabilisation » (ou son corollaire : responsabilité) apparaît 37 fois, histoire de bien enfoncer le clou. En fait (par pudeur ?), les auteurs du texte du pacte n’ont pas osé reconnaître que par « responsabilisation », ils voulaient dire, bien sûr, « culpabilisation » (des directeurs d’écoles et des enseignants). Et, poussant l’hypocrisie jusqu’à ses limites extrêmes, le texte précise qu’en contrepartie de cette « responsabilisation », les écoles pourront jouir d’une plus grande « autonomie ». Traduisez : « Utilisez toutes les stratégies pédagogiques que vous voulez, débrouillez-vous, mais arrangez-vous pour faire réussir vos élèves ».

Soyons sérieux. Enseigner est un vrai métier, un métier difficile et que l’on n’aura jamais fini d’apprendre. Et malgré toute son expérience, sa compétence et ses qualités pédagogiques, un enseignant ne pourra jamais vous assurer qu’il « produira de la réussite ». Dans son travail, en effet, de nombreux facteurs sur lesquels il n’a pas de prise entrent en jeu : le passé de l’élève, son milieu socio-économique et familial, son implication personnelle dans le travail, etc. Les résultats scolaires d’un élève sont tributaires d’une collection de paramètres les plus divers qui impliquent la société tout entière et il est absurde, et donc injuste, de vouloir faire endosser par les seuls enseignants la responsabilité de la réussite. Les élèves ne pourront jamais être assimilés à des automobiles sortant d’une chaîne de montage et dont le bon fonctionnement pourrait être garanti par le constructeur auquel on pourrait reprocher une éventuelle imperfection. Ce sont des êtres infiniment complexes (bien plus complexes qu’une automobile) et dont il est pratiquement impossible de prévoir ce qu’ils deviendront plus tard. Tout ce que l’on peut faire, c’est de les accompagner du mieux possible dans leur évolution. La prétendue « école de la réussite » n’était qu’un leurre, et voilà que l’on nous sort aujourd’hui une formule encore plus fallacieuse que la précédente, en voulant nous faire croire qu’il suffira d’exercer une série de contraintes culpabilisatrices sur les enseignants pour produire de l’ « excellence ». C’est tout simplement odieux. Le Pacte pour un enseignement d’excellence, que l’on voudrait nous présenter comme un vaste chantier salvateur, a toutes les chances, comme d’autres tentatives maladroites que nous avons connues par le passé, de se révéler, s’il est adopté, au mieux comme une lamentable perte de temps et au pire comme un des plus grands gâchis de l’histoire de notre enseignement. Car qui voudra encore enseigner dans les conditions qui sont prévues par les propositions qui figurent actuellement dans le projet du pacte ?

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