Gérald Papy

Le « mystère Reynders » et l’écume de la politique

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Focalisée jusqu’alors sur une opposition stérile entre la N-VA et le PS, la campagne électorale a viré cette semaine à une joute intra-francophone entre les libéraux et les socialistes. L’électeur n’y a pas nécessairement gagné en profondeur de vues.

En associant implicitement les « enlèvements et disparitions d’enfants » à la gestion socialiste des années 1990, Didier Reynders a-t-il commis un dérapage incontrôlé ou, au contraire, plus ou moins contrôlé, à l’instar de la stratégie des « boules puantes » dont la France est le théâtre à l’approche de chaque échéance électorale ? La mauvaise compréhension de ses propos (il voulait parler de la « guerre des polices » consécutive à l’affaire Dutroux) avancée par le ministre des Affaires étrangères n’a pas éloigné, loin de là, le soupçon de préméditation dont beaucoup soupçonnent ce vieux briscard de la politique belge.

Dans toutes les hypothèses, le propos du Ucclois est indécent, démontre plus de proximité avec un Laurent Louis qu’avec son maître à penser Jean Gol et risque de le poursuivre bien au-delà du 25 mai. Qu’il émane d’un homme rompu aux négociations feutrées entre grands argentiers européens et, depuis deux ans, aux impératifs de la diplomatie internationale accroît encore un peu plus les interrogations sur ce que l’on peut appeler le « mystère Reynders ».

Pour autant, il serait bien hasardeux de décréter que cette sortie aura un quelconque impact sur l’avenir immédiat du MR. Contrairement à 2009 quand les libéraux francophones avaient payé cher la sentence « le PS est devenu infréquentable » assénée par leur président de parti de l’époque, le contexte de ces élections expose moins le Mouvement réformateur à un isolement. L’évolution de l’électorat de la capitale pourrait le rendre incontournable à Bruxelles. Et la droitisation de la scène politique en Flandre exclut quasiment la constitution d’un gouvernement fédéral de centre-gauche.

Car, tel est l’ADN de la Belgique. Passés les anathèmes, qui relèvent du déni démocratique, excluant tel ou tel acteur, passés les inévitables accès de tensions comme en témoigne encore notre débat à couteaux tirés entre Charles Michel et Paul Magnette (voir en page 28), la realpolitik reprend vite le dessus. L’impératif du compromis transforme les ennemis d’hier en partenaires consentants, à défaut d’être enthousiastes.

Le risque est pourtant grand que cette ritournelle finisse par lasser. Car deux tendances lourdes, pour une large part ignorées par les politiques, imprègnent désormais la société. Les réseaux sociaux ont aiguisé la sagacité de nombreux citoyens : le discours politique n’est plus parole d’Evangile. Et l’individualisme forcené en éloigne d’autres de l’intérêt collectif et donc de la chose publique. A force de se perdre dans l’écume de la politique (petites phrases assassines ou confrontations monothématiques opposant, par exemple, le libéralisme émancipateur de la N-VA à l’étatisme conservateur du PS), les dirigeants s’exposent à détourner des vrais enjeux des électeurs soit incrédules, soit en voie de démobilisation et dès lors, plus réceptifs aux slogans simplistes. Au profit de partis qui, précisément, s’écartent le plus de nos valeurs démocratiques.

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