Thierry Fiorilli

Le modèle belge qui vaut de l’or

Thierry Fiorilli Journaliste

Il y a erreur. Erreur d’interprétation, depuis le début de l’envolée des Diables rouges, l’an dernier. A la liesse qu’ils suscitent, aux espoirs qu’ils portent et aux foules qu’ils rassemblent, on oppose la réalité communautaire, la prédominance incontestée de la N-VA en Flandre, la situation socio-économique et, sentence suprême, le fait que « si l’avenir d’un pays est fonction d’un penalty inscrit ou raté, ça en dit long sur son état de santé et son pronostic vital. »

Personne ne peut contester tout ça. Et personne ne peut, aujourd’hui, raisonnablement affirmer que la qualification belge pour la Coupe du monde au Brésil, en juin prochain, va pousser d’office une proportion importante d’électeurs de la N-VA à, tout compte fait, ne pas voter, juste avant le Mondial, pour le parti de Bart De Wever. D’ailleurs, politologues et sociologues exhibent systématiquement deux exemples passés, pour détruire les ponts que certains bâtissent entre joie du supporter et choix de l’électeur : le sacre mondial en 1998 de l’équipe « black-blanc-beur » de France, suivi quatre ans plus tard par l’accession de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour des présidentielles ; et la folle épopée belge au Mexique, en 1986 (quarts de finale, grands-places prises d’assaut, retour triomphal), juste avant trois grandes réformes de l’Etat (de 1988 à 2001) qui ont fédéralisé un pays si uni jusque-là derrière ses footballeurs.

L’engouement – « l’émotion », disent les experts lorsqu’ils regardent une réalité avec condescendance – autour de la bande à Wilmots ne serait dès lors que feu de paille. Une heureuse parenthèse ou un cache-misère inespéré, un peu contrariant pour la N-VA, mais rien de plus. Parce que « les gens ont besoin de rêver, surtout dans un contexte de crise, et ce depuis toujours et n’importe où, mais leurs héros ne modifieront pas la réalité de leur quotidien. » Autrement dit, ce n’est pas parce qu’Eden Hazard brandirait la Coupe du monde qu’ArcelorMittal ou Ford réembaucherait à Seraing et à Genk, ni que les nationalistes se feraient belgicains, ni que le gouvernement enclencherait la relance et que les fins de mois ne seraient que miel et lait pour tous les habitants de notre petit pays.

Imparable

Sauf qu’il y a erreur. Parce qu’on abord mal le débat. La question n’est pas de décoder l’euphorie croissante autour du succès des Diables. On a vécu, bien avant, des phénomènes similaires autour d’Eddy Merckx, Justine Henin, Kim Clijsters voire Philippe Gilbert. Non, la question est de décoder le succès des Diables : il a été voulu et construit, dans un secteur hautement concurrentiel, qui exige une discipline de fer – individuelle et collective -, un encadrement archi-professionnel, une stratégie commerciale implacable, la faculté de satisfaire les demandes du public au-delà de ses propres attentes et la capacité à gérer imprévus et difficultés avec calme et lucidité. De quoi garantir la gloire à d’authentiques talents et porter au nirvana leurs fans. De quoi donc transformer le Belge de brave individu, « génial et surréaliste, tout en autodérision », en collectivité « bankable ». Qui vaut de l’or. Et se sent capable désormais de relever tous les défis.

Vu sous cet angle, le parcours jusqu’ici sans faute d’un groupe d’une centaine de personnes (joueurs évoluant presque tous à l’étranger, entraîneurs, soigneurs, sponsors, dirigeants de l’Union belge…), en si peu de temps, avec déjà les structures pour former les conquérants qui prendront la relève demain et au-delà, ce parcours signifie qu’un modèle « belge » ambitieux est viable. Economiquement parlant. Et ouvert sur le grand large. Pas recroquevillé sur son clocher.

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