« Le gouvernement Michel aura-t-il l’audace d’économiser et investir? »

« A man’s gotta do what a man’s gotta do. » Généralement, la citation est attribuée à John Wayne, le cowboy légendaire du grand écran, même si certains cinéphiles affirment qu’il ne l’a jamais prononcée. Mais peu importe, disons que c’est une question de bon sens. On verra vite si les dirigeants d’Europe et de notre pays en possèdent.

Pendant des années, l’Europe a martelé qu’il fallait faire des économies. Ce mantra est suivi en Belgique aussi. En partie parce que l’Europe l’y oblige, mais aussi parce qu’il est difficile de faire autrement quand on voit le fond des caisses de l’état. Peu à peu, on semble changer le fusil d’épaule. Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, a fait comprendre lors d’une réunion des 27 commissaires, à Knokke, que l’Europe doit assouplir les règles. Pour Juncker, il n’est plus nécessaire d’intégrer l’enseignement et les investissements dans le calcul qui détermine le déficit budgétaire.

On assiste à la même évolution auprès du gouvernement Michel: il a commencé en voulant mettre de l’ordre dans les finances publiques. À présent, on dit que la Belgique ne souhaite pas nuire à la discipline budgétaire, mais le premier ministre Charles Michel (MR) plaide tout de même en faveur d’une certaine souplesse, afin de permettre les investissements stratégiques. « Aujourd’hui, il faut réaliser d’importants investissements pour l’avenir », déclare le premier ministre, « en mobilité, en énergie, en nouvelles technologies et en sécurité. » Le premier ministre dira bientôt ce que chacun affirme : le gouvernement n’aspire plus à l’équilibre budgétaire qu’il s’est imposé lui-même d’ici 2018.

Depuis 25 ans, la Belgique investit trop peu en nouvelles routes, en éclairage, en pistes cyclables, en écoulement des eaux, etc.

Depuis 25 ans, la Belgique investit trop peu en nouvelles routes et dans leur entretien, en éclairage, en pistes cyclables, en écoulement des eaux, etc. Entre 1971 et 1990, 3,1% de notre PIB était consacré aux infrastructures ; pour la période 2010-2014, ce chiffre est descendu à 1,7%. D’après l’expert en budget louvaniste Wim Moesen, un pays civilisé dépense 3% de son PIB en investissements publics. Du coup, nous nous retrouvons avec une infrastructure inférieure. Et ce n’est pas la seule raison pour laquelle les investissements en infrastructure sont nécessaires. Ils contribueraient aussi à la croissance économique, estimée cette année à seulement 1,4% et l’année prochaine même à 1,2%. L’économiste Paul De Grauwe l’a déjà dit : aujourd’hui la Belgique peut emprunter à un taux très bon marché, et si elle investit cet argent intelligemment, elle l’amortira facilement.

Le danger c’est que les politiques aient une vision assez opportuniste de la notion d' »investissements ». On l’a vu quand la présidente de l’Open VLD, Gwendolyn Rutten, a déclaré que la baisse de l’impôt sur les sociétés de 34 à 20% ne devait pas être budgétairement neutre, car elle peut être considérée comme un « investissement ». Une telle attitude nuit aux finances publiques, certainement quand elles sont déjà écrasées par une dette colossale. Un déficit budgétaire se défend uniquement s’il sert à investir en infrastructure et autres domaines qui rapportent de la croissance économique, et non à baisser l’un ou l’autre impôt.

Une baisse de l’impôt sur les sociétés doit être financée par d’autres impôts ou en économisant sur les dépenses. La Belgique, y compris la Flandre, possède un taux de dépenses publiques parmi les plus élevés d’Europe. Et il ne faut pas chercher plus d’impôts, mais essayer de limiter les dépenses non seulement pour payer une baisse de l’impôt sur les sociétés par exemple (d’après le projet du ministre des Finances Johan Van Overtveldt (N-VA), c’est d’ailleurs possible en instaurant des changements à l’intérieur de l’impôt sur les sociétés), mais surtout pour améliorer notre budget de 0,6% du PIB par an, car on ne peut continuer éternellement à dépenser plus que ce qu’on gagne.

Le gouvernement Michel doit, non seulement, réaliser les investissements publics indispensables, il doit également faire en sorte que le budget pour les dépenses courantes, qui comprend tous les coûts de fonctionnement et de personnel et tous les transferts tels que les pensions et les indemnités de chômage, soit en équilibre. Il doit décider comment financer tout ça, non seulement maintenant, mais les années à venir aussi. Ce serait un exploit, mais a man’s gotta do what a man’s gotta do. Économiser et investir exige du courage, de la discipline et de la persévérance. On verra vite si les partis et les ministres du gouvernement Michel en possèdent.

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