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Le gouvernement en affaires quoi ?

A force de voir que la Belgique fonctionne sans réel gouvernement, les Belges pourraient en conclure qu’il ne sert pas à grand-chose. Dangereux raccourci. Mais comment ce pays tourne-t-il malgré tout ?

A force de voir que la Belgique fonctionne sans réel gouvernement, les Belges pourraient en conclure qu’il ne sert pas à grand-chose. Dangereux raccourci. Mais comment ce pays tourne-t-il malgré tout ?

Il ne faut pas se fier aux apparences : l’absence d’un gouvernement en pleine possession de ses moyens est d’ores et déjà embarrassante et le sera davantage encore au fil du temps qui passe. En attendant, le pays n’est pas paralysé. En voici les principales raisons.

La Belgique fonctionne de façon autoportante : d’autres piliers que le politique tiennent le pays debout, parmi lesquels les mutuelles, les syndicats, les organisations patronales, les réseaux d’enseignement, etc. « C’est un système démocratique très riche en grandes organisations, résume Benoît Rihoux, professeur en sciences politiques à l’UCL. Il est certes bloqué actuellement, mais il est rassurant. »

Les entités fédérées (Régions et Communautés) fonctionnent. Or elles contrôlent environ un tiers des compétences globales du pays.

Le gouvernement est encore porté par des mesures prises avant sa chute. « Cet effet de latence ne sera pas éternel, prévient Olivier Paye, directeur du Centre de recherche en science politique aux Facultés universitaires Saint-Louis (FUSL), à Bruxelles. Quand on verra que l’accord interprofessionnel ne peut pas entrer en vigueur parce que l’exécutif est encore en affaires courantes, alors la population percevra le problème. »

Pour l’instant, la population n’est pas touchée dans sa vie quotidienne par l’absence d’un gouvernement de plein exercice. « Les gens savent-ils seulement que le gouvernement est en affaires courantes ? interroge, avec un brin d’ironie, Marc Jacquemin, docteur en sociologie à l’ULg. Pour eux, l’Etat et l’administration fonctionnent, la question est donc très abstraite. En revanche, la fonction du gouvernement, qui consiste à poser des choix politiques, est, elle, discréditée, mais c’est la plus lointaine des préoccupations des gens. Ceux-ci sont de moins en moins concernés par les grands choix idéologiques. La société se dépolitise… »

La Belgique est en crise presque continue depuis les années 1960. Les gouvernements ont toujours été fragiles. La population s’y est habituée. En outre, avec l’approfondissement de la régionalisation, quand on parle d’un gouvernement, en Belgique, on ne sait pas duquel. « En France, l’Etat signifie quelque chose. En Belgique, pas », résume Marc Jacquemin.

Alors que la Belgique traverse une crise politique majeure depuis des mois, elle n’est touchée par aucun autre séisme comme une crise financière grave, la mort de soldats à l’étranger ou une inondation catastrophique. Dans une telle situation, la population ressentirait davantage l’absence de gouvernement. Mais dans ce cas, le gouvernement, même en affaires courantes, interviendrait.

Depuis des années, le gouvernement fédéral est de plus en plus cantonné dans un rôle de gestionnaire technique des affaires, au détriment des grands arbitrages politiques. « Sur les matières socio-économiques, on retrouve en outre une orientation idéologique de social-libéralisme dans tous les partis, même s’il y a des nuances », ajoute Olivier Paye.

Le Parlement fonctionne toujours. Certes, sa mission de contrôle sur le gouvernement est quasi réduite à néant. « Mais le citoyen a peu connaissance du travail de contrôle du Parlement », indique Benoît Rihoux. En outre, ce contrôle est un peu fictif, du fait de la logique de vote par partis. « Les parlementaires n’investissent toutefois pas leur rôle, car rien ne les empêche de déposer des propositions de loi, rappelle Olivier Paye. On a presque oublié que c’était possible parce que 80 % des lois sont d’origine gouvernementale. »

Dans tous les cas, le monde politique ne sortira pas grandi de cette crise. « Elle aura un mauvais impact sur l’image des institutions en général, anticipe Benoît Rihoux, et ne favorisera pas la confiance. » Selon les chiffres Eurostat, moins de 30 % des Belges avaient confiance dans les partis politiques, avant la crise.

Laurence Van Ruymbeke

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