Gérald Papy

Le foot, art et passion

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La planète foot a rendez-vous, à partir de ce 12 juin, dans un de ses temples, le Brésil. Planète foot ? Les propos méprisants de Michel Platini, le patron des instances européennes, à l’encontre du peuple des favelas, et les accusations de corruption à l’encontre de la Fifa pour l’attribution de l’édition 2022 au Qatar ont donné de l’élite du foot l’image d’un cénacle de dirigeants égocentriques, déconnectés de la réalité et soucieux uniquement de leur pactole financier.

Ne soyons pas naïfs. Le sport a considérablement évolué depuis l’organisation de la première Coupe du monde, en 1930, en Uruguay. A l’image de la société. L’événement sportif le plus regardé au monde, avant même les Jeux olympiques, est en soi un enjeu économique colossal qui attire des droits de retransmission télé et des revenus publicitaires de même acabit. Hors Mondial, les intérêts financiers du football ont conduit à une sélection par l’argent des acteurs qui comptent et à une course effrénée à la rentabilité, au point qu’aujourd’hui, des clubs comme le Paris Saint-Germain ou Manchester City remportent leur championnat respectif quasi sans aucun joueur des nations dont ils sont les porte-drapeau.

Il serait idiot de nier que cette révolution comporte un certain nombre de dérives, corruption, dopage et même perversion de la discipline. Joueur sénégalais de la formation anglaise de Chelsea, Demba Ba dénonçait sur les antennes de la RTBF-radio les nouveaux comportements de ses plus jeunes collègues : « Beaucoup de jeunes aujourd’hui veulent être footballeurs ; ils ne veulent plus jouer au football ». Mannequins, bolides et villas feraient plus fantasmer désormais que les bicyclettes et les petits ponts…

Néanmoins, ravaler le Mondial 2014 à sa seule dimension lucrative et festive, selon la formule « platinienne », fait particulièrement injure aux Brésiliens. Dans un précieux petit livre sur la tradition et la vénération du dribble au Brésil, Eloge de l’esquive (éd. Grasset, 111 p.), le journaliste Olivier Guez raconte combien le football a servi d’ascenseur social pour les noirs et les métis brésiliens. « Le foot se tropicalise parce qu’au même moment, le Brésil entreprend sa révolution culturelle. Il assume peu à peu son habit d’arlequin en découvrant la dimension africaine de son identité ». Nous sommes au début des années 1920. En 1888, le Brésil était encore un Etat esclavagiste, le dernier de la planète.

C’est ce métissage qui va propulser le Brésil au firmament du football mondial. Son équipe nationale fournira les plus illustres des « dribbleurs fous », blancs, noirs et métis : Garrincha, Rivelino, Jairzinho, Pelé, Zico, Ronaldo, Ronaldinho, Denilson, Robinho, aujourd’hui Neymar. C’est pour ces stars « qui veulent encore jouer au foot », leurs prouesses techniques, leur génie créatif élevé au rang d’art que nous aimons le football, là où d’autres ne voient que 22 guignols courant derrière un ballon. Mais aussi parce que, ainsi que l’épingle Olivier Guez, « le foot, comme la chanson, les arts et la culture pop au Brésil, est démocratique, ouvert à tous, même aux plus marginaux. Ce qui compte, c’est que tu sois bon. Ton milieu d’origine et la couleur de ta peau n’ont plus aucune importance ». Ok, les piteux lendemains de victoire (au Mondial 1998) du groupe black-blanc-beur français ont montré les limites de cette exemplarité idéalisée. Mais jamais dans l’histoire contemporaine, les équipes d’Allemagne et de… Belgique n’ont été aussi solides que depuis qu’elles unissent leurs forces et leurs différences. Un bon présage. Même s’il ne garantit aucun trophée, au moins permet-il de rêver.

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