Le scandale lié à la filiale suisse de la banque britannique HSBC a entraîné un pic des investigations bancaires en 2012. © iStock Photos

Le fisc fouille-t-il dans vos comptes?

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Contrairement aux apparences, l’administration fiscale ne semble pas (encore) faire un usage important de ses nouveaux droits en matière de levée du secret bancaire. Chiffres et explications.

Petite piqûre de rappel. Depuis la loi tant débattue de 2011 permettant la levée du secret bancaire, les agents du fisc peuvent accéder plus facilement aux comptes des contribuables. Auparavant, le secret bancaire n’était néanmoins pas absolu en Belgique puisque certaines administrations des Finances, comme celles qui traitent de la TVA, des droits de succession ainsi que du recouvrement des dettes fiscales des mauvais payeurs, pouvaient déjà s’adresser directement aux banques pour une demande de renseignements.

A partir de 2011, l’Inspection spéciale des impôts (ISI), qui traque les grands fraudeurs, et l’administration générale de la fiscalité (Agefisc), qui calcule l’impôt sur les revenus et effectue des actions de contrôle, se sont vu arroger le droit de s’adresser, elles aussi, aux banques pour obtenir les informations jugées nécessaires à l’établissement de tout impôt concernant un contribuable particulier. Et ce, pour autant que leur demande corresponde à un des trois cas de figure prévus par la loi: ainsi, le fisc doit soit disposer d’indice(s) de fraude fiscale, soit envisager de procéder à une « taxation indiciaire » (c’est-à-dire sur la base d’indices d’aisance supérieure aux revenus déclarés du contribuable), soit répondre à une demande de renseignements provenant d’un autre Etat.

Pour que la loi de 2011 produise pleinement ses effets, il fallait mettre en place le fameux registre des comptes bancaires, encore appelé point de contact central (PCC), au sein de la Banque nationale. Ce registre héberge les numéros de comptes bancaires existant en Belgique, toutes banques confondues, ainsi que les noms des titulaires de ces comptes, mais pas les soldes ni les mouvements de comptes. Ce nouvel outil n’en est pas moins pratique puisqu’avant son existence, le fisc devait envoyer une demande à toutes les banques du pays – soit une centaine – en cas de soupçon de fraude. Désormais, une seule consultation suffit. Mais il a fallu attendre avril 2014 pour que ce registre soit opérationnel, en raison de résistances politiques et bancaires.

Le Recouvrement en première ligne

Bref, c’est surtout depuis 2014 qu’on peut se faire une idée de l’utilisation par le fisc de la levée du secret bancaire. Alors, qu’en est-il? Il faut distinguer les consultations du point de contact central et les enquêtes en banque, les deux procédures ne donnant pas accès au même type d’informations. A priori, la consultation du registre de la BNB a rencontré un franc succès depuis sa mise en place effective à la mi-2014: on a enregistré 2.677 consultations pour cette (demi-) année-là et déjà 6.880 consultations en 2015 (statistiques jusque septembre). On pourrait en déduire que le SPF Finances, dans son ensemble, profite allègrement de son nouveau moyen d’enquête auprès du PCC.

Mais, pour s’en assurer, décortiquons les chiffres par administration. L’ISI a effectué 187 consultations, en 2014, l’Agefisc 229, la même année. En matière de TVA et de succession, l’accès au PCC n’est pas prévu. Reste donc le Recouvrement dont les receveurs ont régulièrement besoin d’interroger les banques pour établir la situation patrimoniale d’un contribuable débiteur. Mais, pour cette administration, il est impossible d’avoir les statistiques d’accès au registre bancaire central. Le SPF Finances nous dit ne pas disposer de chiffres. La BNB explique ne tenir qu’un comptage global des demandes d’infos au PCC. On peut néanmoins raisonnablement estimer que le gros des consultations provient du Recouvrement.

Concernant les véritables enquêtes en banque, autrement dit les demandes de renseignements du fisc à un établissement particulier sur le solde et les mouvements de compte d’un contribuable, les chiffres sont beaucoup moins impressionnants. Les investigations bancaires ont même tendance à diminuer ces dernières années. Surtout au niveau de l’ISI: 179 enquêtes en 2014, contre 203 en 2013 et 652 en 2012. Cette année, on en compte 117 jusque fin juillet, ce qui ne laisse pas augurer d’un véritable changement de tendance. Quant au pic de 652 en 2012, il correspond à la période « chaude » du dossier HSBC qui a permis à l’ISI de conclure un accord avec des centaines de clients belges de la banque suisse. Parallèlement, les enquêtes en banque en matière de TVA et surtout de succession (132 en 2012, 58 en 2014) ont drastiquement diminué, et ce alors qu’on sait que les droits de succession continuent de faire l’objet d’une fraude importante.

Juste un changement d’usage?

Et le recouvrement? Ici encore, aucune statistique disponible. Le seul chiffre dont on dispose provient d’un sondage ponctuel de la Fédération des banques belges (Febelfin), selon lequel le Recouvrement a réalisé 12 000 enquêtes en banque en 2012. A l’époque, sans point de contact, les receveurs devaient interroger les banques une par une. Depuis 2014, ils ont progressivement pris le pli de passer d’abord par le PCC. Ce changement d’usage expliquerait, en fait, le chiffre important du nombre de consultations du registre de la BNB, dont la grande majorité peut être attribuée au Recouvrement. Conclusion: l’importance du nombre de consultations du PCC serait principalement due à cette conversion procédurale. L’absence de statistiques ne permet évidemment pas de confirmer l’hypothèse à 100%. Mais, selon plusieurs experts consultés, c’est l’explication la plus plausible.

Reste à voir le nombre final de consultations du PCC par l’Agefisc, au 31 décembre prochain. Il y en a eu 516 jusqu’en juillet. C’est mieux qu’en 2014: on n’en comptait que 229. On sait que sur les 92 conseillers de cette administration qui ont un accès au registre de la BNB, seuls 12 ont introduit une demande l’année dernière… Selon nos informations, début septembre 2015, ont été publiés sur le site intranet du SPF Finances de nouveaux modèles de contrôles en matière indiciaire contenant, pour la première fois, des instructions précises sur la consultation du PCC. Cela devrait motiver les troupes de l’Agefisc.

Enfin, la question des renseignements fournis par le PCC devrait bientôt refaire surface avec la mise en place de l’échange automatique d’informations fiscales entre Etats. En effet, la nature des informations prévues dans ce grand troc entre administrations européennes est différente de celle des infos produites par le point de contact. Les données communiquées par les pays étrangers pour des comptes qu’y détiennent des Belges seront plus précises que celles du PCC car elles comprendront, entre autres, le solde à la fin de l’année civile et les mouvements de compte (produit de la vente/rachat d’actifs financiers, montant des intérêts, dividendes, etc.)

La Belgique devra en faire de même vis-à-vis de ses partenaires européens. Ne faudra-t-il pas alors modifier les données transmises au PCC, pour simplifier la procédure? Et si on le fait pour les étrangers ayant un compte en Belgique, ne faudra-t-il pas le faire aussi pour les Belges ayant un compte en Belgique? L’arme fiscale du PCC serait alors plus redoutable.

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