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Le fisc a-t-il perdu la partie ?

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Les dossiers de grande fraude fiscale tournent de plus en plus au fiasco pour l’Etat. Des centaines de millions d’euros sont en jeu. L’heure est au bilan.

Près de deux milliards d’euros. Voilà ce qu’ont coûté à l’Etat les trois principaux dossiers de grande fraude fiscale des années 1990, impliquant des banques et de riches industriels, pour lesquels les décisions judiciaires tombent encore aujourd’hui : les dossiers KB-Lux, QFIE (quotité forfaitaire d’impôt étranger) et sociétés de liquidités. Deux milliards, c’est davantage que le financement du plan Marshall 2.vert pour redresser la Wallonie. C’est deux tiers de la dette abyssale de la SNCB ou le coût annuel de 200 000 chômeurs.

L’Etat n’a pas récupéré grand-chose de cette somme colossale, en tout cas pour les dossiers ayant abouti devant un juge.

En ce qui concerne la fraude aux sociétés de liquidités (ou cash companies), le directeur de l’Inspection spéciale des impôts (ISI) de la région de Gand, sans doute le meilleur spécialiste de ce type de dossier, vient de donner le clap de fin. Pour Karel Anthonissen, la bataille est bel et bien perdue : après avoir dû s’incliner dans le méga-procès du prince de Croÿ (44 inculpés et une fraude estimée à 80 millions d’euros), l’Etat a essuyé une nouvelle défaite dans un dossier important, celui de la société d’investissement cotée en bourse Wereldhave. Cinquante millions d’euros d’impôts étaient en jeu. La justice pénale a acquitté la sicafi en mai dernier, en qualifiant néanmoins ses directeurs de « téméraires ». Le fisc a tenté de récupérer les 50 millions devant un tribunal civil. Il vient de se faire débouter.

Le mécanisme des cash companies vise à éluder l’impôt dû lors de la cession des actifs d’une société à une autre, via un réinvestissement fictif du montant de la vente par l’acheteur, sachant qu’un réinvestissement est exonéré d’impôt. La fraude a concerné plus de 400 sociétés, principalement en Flandre. Dans les années 1990, elle a permis d’éluder 1,15 milliard d’impôts.

Le fisc a-t-il perdu la guerre contre la grande fraude ? Le secrétaire d’Etat à la lutte contre la fraude fiscale et sociale ne le croit pas. « Bien sûr, les échecs devant la justice sont très médiatisés, dit John Crombez (SP.A). A côté de cela, des accords sont pris avec l’ISI, mais la clause de confidentialité qui accompagnent ces accords ne permet pas de les rendre publics. Au niveau des QFIE, le fisc peut encore gagner. Cela dépendra de ce que la Cour de cassation prendra comme arrêt pour trancher les différences de jurisprudence entre tribunaux néerlandophones et francophones. »

Un des témoins de la Commission d’enquête parlementaire sur la grande fraude, qui s’était penchée sur les difficultés de faire aboutir les enquêtes, émet un avis plus nuancé : « L’Etat n’a pas perdu la guerre contre les mécanismes de QFIE, si on considère que ces mécanismes ne sont plus possibles et que plus de la moitié des contribuables ont marqué leur accord sur les taxations établies, analyse cet ancien membre des services anti-fraude. Cela dit, le fisc est bien en train de perdre le contentieux judiciaire pour la QFIE « Italie » et « Corée », d’autant qu’il n’y a pas d’arrêt de la cour de cassation quant aux aspects de fond. Quant aux sociétés de liquidités, l’évolution des dossiers au niveau pénal et fiscal appelle une évaluation urgente. »

Sur la question d’une évaluation de l’administration fiscale, John Crombez ne nous a pas répondu. On verra après les élections.

Par Thierry Denoël

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