Luc Delfosse

Le dernier roi

Luc Delfosse Auteur, journaliste

Albert Félix Humbert Théodore Christian Eugène Marie de Belgique, dit Albert II, c’est au fond l’histoire d’un fou rire qui s’étiole, d’une gaieté qui s’étrangle, d’un règne qui vire peu à peu au cauchemar politique et existentiel. D’une gentille partie de campagne qui tourne à la catastrophe dans un marécage.

Albert, il y a vingt ans… moins un mois, c’est d’abord le sixième Roi que l’on n’attend pas. Le « frère de », à qui Jean-Luc Dehaene, le Premier ministre de l’époque qui veut sur le trône un homme plus mûr, plus expérimenté, dit à Motril où Baudouin est mort inopinément et où tout le gratin est accouru : « Monsieur, c’est à vous. » Philippe, l’éternel prétendant, le toujours célibataire, le jeune homme que l’on dit (au mieux) si gauche ou (au pire) un peu niais, était évidemment donné pour monarque depuis que l’on avait appris le décès de son oncle. Ah ! Baudouin, son mentor, son « lanceur »… Voilà des années qu’il préparait urbi et orbi Philippe au « métier ». Il aura donc encore poireauté pendant vingt ans… moins un mois – quel cursus ! – , l’héritier présomptif si l’on prend bien sûr ce mercredi 3 juillet pour date pivot de l’abdication.

C’est le deuxième renoncement royal dans l’histoire du royaume. S’il n’a pas le côté passionné et insurrectionnel de la démission de Léopold III, le père d’Albert, ce pas de côté a lieu dans un climat au moins aussi mortifère pour le pays que celui qui… régnait en 1950. Cette fois pas de cris, pas d’affrontements ni de foules furieuses ni de morts sous les balles des gendarmes. Non ! rien que ces… sondages lugubres à force de charrier tant de populisme, qui se suivent et se ressemblent. Qui annoncent que l’an prochain, au lendemain de la « mère des élections », sauf accident de son président-fondateur – et encore… -, la NVA sifflera pour que l’on danse à l’enterrement du pays.

L’enterrement vraiment ? Oh disons la réduction, façon Jivaros, du noyau commun, du coeur, de l’Etat fédéral jusqu’à en arriver à ce que l’on appelle improprement le confédéralisme. Mais on se comprend : demain, la Belgique ne sera plus qu’une vague concrétion de Régions disposant d’une phénoménale autonomie. Et la solidarité ? Fume ou à peu près!

Le scénario est inscrit dans les astres. Comme on peut très nettement lire dans les étoiles que le septième Roi verra son rôle réduit à la portion congrue. Philippe règnera mais il ne sera jamais qu’une image, un symbole, un « souverain » croupion pour parler crument. Albert qui s’en va aujourd’hui aura donc été le dernier « vrai » Roi des Belges, officiellement sans trop de pouvoir mais au rôle déterminant dans la coulisse comme on l’a vu lors de la dernière et interminable crise en date.

On sent bien aujourd’hui que le Premier ministre et les partis traditionnels parient sans trop croire sur ce que l’on pourrait au fond appeler un « effet Disney », un immense dégagement de sympathie lors du couronnement. Couplé à… une amorce de reprise économique l’an prochain, il pourrait contribuer à freiner un tantinet le triomphe annoncé des troupes de Bart De Wever.

Pari fou, insensé, aveugle? Sans doute. Mais voyez les derniers événements ! Le coup de boutoir, la goutte d’eau, le détail qui tue ou qui bouleverse le cours des choses arrive toujours là où on ne l’attend pas. Toujours ! Cette fois, c’est une fille aux grand yeux qui cherche un père, un vieil homme qui autrefois aimait tant rire.

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