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Le dangereux marais bruxellois

La zone de police Bruxelles-Ixelles prise en défaut de préparation, des casseurs en liberté, la police d’Anvers appelée en renfort : les incidents du 11 novembre à la Bourse ont fait subir au bourgmestre Philippe Close (PS) sa première épreuve en tant que responsable du maintien de l’ordre. Les nouvelles échauffourées de la Monnaie, le 15 novembre, promettent un hiver chaud.

Hier, de nouvelles échauffourrées se sont produites à la Monnaie: des adolescents réunis à l’appel d’un « influenceur » français, Vargass92 (de son vrai nom Cyril Schreiner, plus de 600 000 suiveurs sur les réseaux sociaux), ont commis des déprédations dans la ville. Mais cette fois-ci, la police était présente avec son team d’arrestation (31 individus interpellés, dont quatre restent en détention). Catastrophiques pour l’image de Bruxelles, les incidents n’ont duré qu’une demi-heure et sont restés très localisés. Le bourgmestre Philippe Close (PS) a promis la plus grande fermeté, mais il n’a pas encore dit comment il allait, avec ses confrères de la Région bruxelloise, répondre aux critiques qui s’abattent sur la capitale depuis la soirée d’émeute du boulevard Lemonnier, le samedi 11 novembre, après le match Maroc-Côte d’Ivoire. Rudi Vervoort, président de la Région de Bruxelles-Capitale n’a pas non plus pris la parole, trop heureux, peut-être, de laisser l’arrogante Ville de Bruxelles se dépêtrer toute seule de ses difficultés. Et elles sont nombreuses. Les Plaisirs d’Hiver vont être placés sous haute surveillance, autant par crainte d’un attentat que des accrochages entre policiers et bandes de casseurs.

Le dangereux marais bruxellois
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Le malaise est énorme après les scènes d’émeute et de pillage qui ont suivi le match de qualification pour la Coupe du monde. « Malgré les précédents de 2004 et de 2008, où des supporters marocains s’étaient déjà échauffés et où il y avait eu de la casse, aucun dispositif n’avait été prévu pour ce match-ci, qui aurait dû être classé à risque », relève le journaliste Hassan El Bouharrouti, qui a suivi les événements pour la télévision marocaine. « Je suis arrivé à la gare du Midi à 17h30, tout allait bien. Après la rencontre, tout le monde était excité. En 2004, on a eu la même ambiance, de même que lors du match de 2008 entre le Maroc et l’Algérie. A la gare du Midi, des gens sont montés sur le toit d’un pauvre camionneur flamand, un bus De Lijn a été arrêté… J’ai décidé de me rendre à la Bourse. Sur le chemin, je n’ai pas vu un seul combi, pas un seul policier. A la Bourse, les gens repoussés par l’autopompe refluaient vers Anneessens et c’est là que les vitrines ont commencé à voler en éclats. Pourquoi s’en prendre aux magasins ? Les voyous ont gâché la soirée et l’image de la communauté », conclut le journaliste belgo-marocain.

De fait, à peine un peloton de 40 hommes, sans autre appui qu’une autopompe, avait été disposé à la Bourse, lieu névralgique de rassemblement populaire à Bruxelles. Aucun Gold Commander désigné ce soir-là pour diriger les opérations depuis le « bunker » du Heysel, où les caméras de surveillance donnent, en temps de crise, une image globale de la situation. En revanche, un Gold était bien prévu pour la manifestation du lendemain contre la politique migratoire du gouvernement fédéral. Un oubli. Un bête oubli.

Les responsables bruxellois se sont piteusement arrangés pour donner une version light de leur impréparation: le bourgmestre aurait mentionné en passant au chef de corps que la soirée du match serait festive, celui-ci a pensé à des éclats sonores… Les policiers avaient déjà été mobilisés pour les événements prévus la veille et le lendemain, rien pour le match du 11 novembre, sinon, en routine, un peloton de policiers et une autopompe. Le reste, en pointillés, c’est la faute aux autres: le manque d’effectifs et l’absence d’une analyse de risque émanant de la police fédérale. Or la zone de Bruxelles-Ixelles dispose de ses propres Renseignements généraux et, la veille du match, les réseaux sociaux bruissaient d’une mobilisation des supporters.

En déplacement privé à Paris pour assister à un match de rugby, le bourgmestre Philippe Close (PS) n’avait pas remis le trousseau de clés de l’autorité administrative à un membre du collège. Ses ordres, quand il a été averti des échauffourées, ont transité par sa cheffe de cabinet. Sur le terrain, enfin, l’officier responsable du peloton a improvisé une manoeuvre aujourd’hui très critiquée. D’initiative ou couvert par l’autorité administrative, c’est-à-dire, le bourgmestre? Sur le coup de 20 heures, cet officier a envoyé deux sections, soit la moitié de ses troupes, pour reprendre le contrôle de l’espace public, place de la Bourse, et forcément, il a refoulé les supporters vers les boulevards. « Dans un tel cas de figure, juge un syndicaliste policier, il aurait mieux valu attendre que la foule se dilue d’elle-même. » Cette intervention a mis le feu aux poudres, les supporters se sont rebellés, les policiers ont reculé et les casseurs se sont défoulés.

En principe, la technique de « gestion négociée de l’espace public » a fait ses preuves à Bruxelles où se tiennent chaque année 900 manifestations et 3 500 événements. Elle permet d’éviter la confrontation directe entre les gardiens de l’ordre et les citoyens, mais, ce soir-là, comme lors de la manifestation nationale du 6 novembre 2014 à l’appel des syndicats ou celle des hooligans, le 27 mars 2016, après les attentats, la prévention et la négociation se sont brisées devant la volonté d’en découdre de certains. « Demain on va tout cramé à lemonier maroc City gang !! Russie 2k18 », avait écrit sur sa page Facebook le rappeur du groupe bruxellois Benlabel, la veille du match Côte d’Ivoire – Maroc. Trois jours après les événements, il a été interpellé. Il devra se présenter devant le tribunal correctionnel, le 5 janvier prochain, pour « menaces écrites » et « utilisation de moyens de communication électronique pour commettre des dommages ». Il proteste de ses bonnes intentions.

Bref, mais violent

Pendant que la police bruxelloise reculait devant une foule d’environ 300 personnes, les casseurs pilleurs en profitaient pour semer la terreur entre le boulevard Lemonnier et la place Anneessens. Les émeutiers ont eu la dévastation sélective : « Tous les magasins n’ont pas été attaqués. Ce qui donne à penser qu’il s’agissait d’habitués des lieux, membres des clans de la drogue qui tiennent le haut du pavé dans ce quartier, remarque le premier échevin, Alain Courtois (MR). Des commerçants en ont reconnu certains. D’autres venaient probablement de Forest et de Molenbeek. Tous les efforts d’embellissement qu’on a fait en leur faveur, ça ne les intéresse pas », constate-t-il amèrement. Les scènes d’émeute et de pillage n’ont pas duré longtemps, entre 20h30 et 21h15, selon une source policière. A 21h30, la razzia était terminée, les pillards évaporés. Pour un autre observateur syndical, les incidents ont commencé dès 19h30 et la situation n’est revenue à la normale, y compris le nettoyage de la ville, qu’entre 22h30 et 23 heures.

Le dangereux marais bruxellois
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Anvers appelé en renfort

Le choc avec les quelque 60 hommes de la réserve générale de la police fédérale (Direction de la sécurité publique) a été bref, mais violent : sur 22 policiers blessés, 17 appartenaient à la police fédérale. Leur équipement de Robocop ne les a pas totalement protégés. Aujourd’hui, ils ont tous regagné leur foyer. Un seul « civil » a été blessé : un bilan plus qu’honorable. Il y avait entre 80 et 120 membres des forces de l’ordre présents sur place au cours de la soirée, mais avec un commandement et une organisation manifestement déficiente. La zone de police voisine, celle du Nord (Schaerbeek), a été appelée à la rescousse par « PolBru », ainsi que celle d’Anvers, ce qui devient politiquement sensible: les politiques bruxellois auraient voulu passer ce fait sous silence. Quand la trentaine de policiers anversois sont arrivés, vers 22h15, le calme était revenu. Les zones de police bruxelloises auraient pu se mobiliser pour « filtrer » les supporters sur le chemin du retour. Rien de tel n’a été entrepris. La communication avec les pompiers n’a pas été non plus optimale. Ceux-ci se seraient avancés sur le lieu d’un incendie de voiture sans couverture, malgré les objurgations policières.

Les critiques n’ont pas tardé à pleuvoir. D’abord, du ministre de l’Intérieur, Jan Jambon (N-VA), qui a demandé un rapport à l’Inspection générale de la police fédérale et de la police locale. Des syndicats ensuite, en ordre dispersé. La presse flamande a rebondi. Des jeunes d’origine maghrébine, comme Sammy Mahdi, le président des jeunes CD&V, ont crié leur exaspération. Le bourgmestre de Bruxelles, Philippe Close (PS), s’est hâté de couvrir sa police et Alain Courtois a promis d’indemniser les commerçants vandalisés. Trois jours après les événements, Alain Courtois avouait qu’il ne savait toujours pas quel était le schéma de commandement ce jour-là – un 11 novembre – « qui était de garde et qui a pris les décisions ». Enfoncées dans le marécage bruxellois, les organisations syndicales n’avaient pas d’informations plus fiables que les remontées de leurs membres, au lendemain des événements. Ce jeudi, le collège échevinal de Bruxelles se réunit pour faire le point. Le rapport de l’Inspection générale est attendu pour demain, vendredi 17. Une concertation sociale avec les organisations syndicales, en présence d’un représentant du ministre de l’Intérieur, voire celui-ci en personne, aura lieu le 28 novembre prochain. Y aura-t-il de vrais changements dans la gestion de la sécurité à Bruxelles ? Tout le pays retient son souffle.

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