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Le crime dit d’honneur reconnu en droit belge

La cour d’assises du Hainaut a condamné les quatre membres de la famille de Sadia Sheikh à des peines allant de 5 à 25 ans de prison, ce lundi soir à Mons. Me France Blanmailland est intervenue dans le procès, avec Me Marc Preumont, au nom de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. Interview.

Les peines les plus lourdes frappent les parents Sadia Sheikh. Tariq, le père, a été condamné à 25 ans de prison et la mère à 20 ans. Mudusar, le frère de Sadia, qui a tué la jeune femme, a été condamné à 15 ans de réclusion, tandis que Sariya, la soeur, écope, elle, d’une peine de 5 années de rétention.

Le Vif/L’Express a rencontré Me France Blanmailland qui est intervenue dans ce procès, au nom de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes :

Le crime d’honneur à l’égard de Sadia Sheikh a été reconnu par la cour d’assises de Mons sur la base d’un article du code pénal qui fait de la « haine », de « l’hostilité » ou du « mépris » à l’égard d’une caractéristique de la victime (sexe, religion, couleur de peau, etc.) une circonstance aggravante. Ce résultat n’était pas évident.

France Blanmailland : Ce n’est pas tant la haine que le mépris qui joue un rôle dans la mort de Sadia. Les circonstances montrent qu’il y a eu au moins une hostilité à l’égard de la victime. Mudusar Sheikh, le frère de Sadia, a expliqué son geste dans une lettre qu’il a modifiée plusieurs fois au fil des trois mois précédant son acte. Il avait la volonté de donner une leçon, de ramener ses soeurs dans le droit chemin, de laver l’honneur de sa famille. Il écrit avec une vision éducative et militante liée au rôle de la femme. Le verdict ne repose pas sur une incrimination spéciale liée à l’honneur mais sur une « hostilité » inspirée par un motif discriminatoire, sexiste.

Me Michel Bouchat s’est indigné du verdict de culpabilité. Il n’y avait pas de preuve de la participation des autres membres de la famille au geste criminel de Mudusar…

En droit pénal, la preuve est quelque chose de complexe. Il y avait, dans ce dossier, davantage que de vagues présomptions. Plus d’une personne a été impliquée dans l’acte lui-même et dans ses suites. Il y avait une logique familiale. Le jury de la cour d’assises en a été persuadé, sauf pour une prévention à charge de la mère (la coréité, terme juridique qui signifie que le crime n’aurait pu se commettre sans l’intervention de cette personne). Il y a eu ce qu’on appelle un « un 5/7 » : cinq voix contre et sept voix pour. La cour, composée des trois juges professionnels, a rejoint sur ce point la majorité du jury populaire.

Mais l’enquête a-t-elle vraiment pu mettre en évidence des faits de participation concrets ?

Outre les propos relevés par les écoutes et l’aide donnée par sa famille pendant la fuite de Mudusar Sheikh, il n’y a, par exemple, pas d’explication plausible à l’attitude de la jeune soeur de Sadia, Sarya, au domicile familial le jour des faits. Et l’absence des parents du domicile familial est, elle aussi, tout à fait étonnante. Ils sont partis de façon urgente, non justifiée. Toutes les explications de la famille sont à cet égard contredites par les éléments du dossier.

Ce procès aura-t-il, selon vous, un effet dissuasif sur les parents qui chercheraient à contraindre leur fille à un mariage arrangé ?

Certainement. Sous cet angle-là en tout cas, je me réjouis à 100 % de la décision de la cour d’assises. La violence a découlé de la volonté de marier Sadia à tout prix. Je ne dis pas que ces parents ne voulaient pas le bonheur de leur fille, on en a vu de pires. Ils auraient sans doute préféré que, parmi les prétendants qu’ils lui présentaient, elle choisisse celui qui lui déplaisait le moins. Mais, en tout cas, ce type de stratégie matrimoniale est au coeur du dossier et du drame.

N’y avait-il pas une dimension passionnelle au geste de Mudusar. Il n’aurait pas supporté que sa soeur se détache de lui…

Il n’y a pas, dans sa lettre, d’éléments qui permettent de croire à un crime passionnel. Certes, on y trouve le sentiment de trahison qu’il a pu éprouver à l’égard de sa soeur. Sur le plan personnel, il n’était pas indifférent. Mais il invoque surtout le respect des traditions, sa conception de ce que doit être une soeur et une femme pakistanaise. Son texte renvoie plutôt à la chosification d’une jeune fille considérée comme un pion sur l’échiquier familial. L’aspect religieux est quasi-absent, je tiens à le souligner. En écrivant sa lettre, Mudusar se rend compte que son projet fou va faire du tort à l’image des musulmans et de l’Islam, et il en a encore pris largement conscience dans le cadre du procès.

Y avait-il un motif économique au projet de mariage de Sadia avec l’un de ses cousins ?

Le motif économique est déterminant. Lorsque Sadia a eu une relation avec un jeune Pakistanais, la possibilité d’un mariage avec celui-ci n’a jamais été prise en considération. Il fallait qu’elle épouse celui qui contribuerait à accroître l’aura, le pouvoir et le patrimoine de son père au Cachemire. Cet homme est un vrai notable là-bas. Toute sa vie était centrée sur sa région d’origine. Il faisait des affaires ici pour être riche et respecté là-bas.

Entretien: Marie-Cécile Royen

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