Thierry Fiorilli

Le coup du roi

Thierry Fiorilli Journaliste

Ce lundi 24 décembre, Albert II prononcera son 58e discours en près de vingt ans de fonction à la tête de l’Etat. Pas mal, pour un roi qui ne devait être que de transition. Cinquante-huit interventions, entre prestation de serment (c’était le 9 août 1993), allocutions du 21-Juillet, discours aux autorités de la Nation et voeux de Noël.

A quelques rares exceptions près, les 57 textes déjà prononcés par le frère de Baudouin (et que nous décortiquons dans un dossier spécial) reprennent des thèmes ne prêtant guère à polémique : la solidarité, la lutte contre le chômage, la justice sous toutes ses formes, la formation aux langues, le multiculturalisme, les valeurs familiales…

Ces textes ont tous été rédigés par le même homme, le très austère, très catholique et très écouté Jacques van Ypersele de Strihou, déjà la plume de Baudouin durant ses dix dernières années de règne, et ils ont tous été approuvés (donc remaniés le cas échéant) par l’un des cinq Premiers ministres – ou un de leurs représentants – qu’a côtoyés jusqu’ici Albert II : trois chrétiens-démocrates (Jean-Luc Dehaene, Yves Leterme et Herman Van Rompuy), un libéral (Guy Verhofstadt) et un socialiste (Elio Di Rupo). Bref, il apparaît assez logique que les discours royaux, dans ces circonstances, ne soient qu’appels à la concorde, la paix, la convivialité, la tolérance et la générosité. Amen.

A y regarder de plus près, pourtant, et même s’il ne faisait là que tenir l’aspect le plus important de son rôle – son seul et unique rôle, même, en somme : il est « le roi des Belges » -, Albert II a verrouillé, par un tour de vis ici, par un serrement de boulon-là, la vocation essentielle (la seule et l’unique ?) des gouvernements belges depuis vingt bonnes années : retarder l’éclatement de la Belgique. Il pourfend ainsi dans ses discours, sans relâche, « l’égoïsme individuel et collectif », met en garde contre « les sous-nationalismes », « le séparatisme explicite ou feutré » (ou « larvé »), exhorte « les hommes et les femmes politiques à se montrer constructifs et à trouver rapidement une solution équilibrée aux problèmes », demande « aux citoyens de favoriser une meilleure entente entre communautés », déplore ce qui « risque de développer une forme de poujadisme qui est dangereuse et néfaste pour la démocratie », etc.

Autrement dit : il tente de tenir à distance hier le Vlaams Blok/Belang, désormais la N-VA (première formation du nord du pays). Sans jamais les nommer. Comme on ferme les portes du château fort, au nez et à la barbe de l’ennemi, sans même lui jeter un regard.

Alors que les crises communautaires se sont succédé, que les appétits autonomistes flamands se sont aiguisés, que les compétences fédérales se sont rabougries et que la Belgique s’est de plus en plus assimilée à cette improbable « non-Nation située nulle part », ce petit roi de hasard, qui a dû longtemps considérer son accession au trône comme un coup du sort, s’est transformé en authentique chef d’Etat. Au point, mine de rien, et sans quitter le cadre strictement balisé de son champ d’action, de « faire de la politique », puisqu’il s’est permis de relayer la voix de celles et ceux (majoritaires tant en Wallonie, à Bruxelles qu’en Flandre, si l’on en croit les sondages d’opinion) qui ne veulent pas de l’éclatement belge.

Il ne changera pas pour autant le destin de son pays. Mais il aura au moins donné un sens à sa fonction. Joli coup.

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