Thierry Fiorilli

« Le citoyen se rend toujours davantage compte que l’homme politique n’appartient en fait qu’à une caste »

Thierry Fiorilli Journaliste

C’est le courriel d’un lecteur, adressé ce 21 février après-midi : « En incendiant Publifin, vous avez aussi mis le feu au décor. Ces insupportables abus installés dans les moeurs politiques, comme l’argent dans le coeur des hommes devaient évidemment être dénoncés. Exercice vertueux du métier de journaliste…. »

Mais la curée ainsi déclenchée me fout les boules. Ces tribunaux révolutionnaires qui amèneront quelques décollations brutales et expiatoires m’irritent. Les juges comme les bourreaux ne s’en sortiront pas non plus indemnes. Les radicaux du « peuple » veulent du sang. Les autres les comprennent. Se lavent les mains. J’ai entendu récemment de brillants opportunistes de mes amis (si, j’en ai…), affirmés apolitiques, oser devant moi qu’une petite cure de droite autoritaire ferait du bien aux affaires. Des gentils pourtant. Des universalistes aussi. Brrr. Je crois finalement préférer le gris au brun.  »

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En quelques lignes, deux mois d’événements résumés. La révélation, sur notre site Internet, le 20 décembre dernier, du scandale Publifin (des élus locaux payés pour ne pas assister à des comités de secteur inutiles) ; le séisme qui secoue les trois grands partis traditionnels francophones (PS, MR et CDH), partant de la province de Liège pour gagner la Région wallonne ; le déballage des cumuls de mandats rémunérés, publics ou non, de plusieurs femmes et hommes politiques ; la mise au jour de systèmes d’embauche de proches ; la répercussion jusqu’en Flandre et au coeur de la N-VA ; les propositions en pagaille de mesures de bonne gouvernance, d’éthique et de transparence ; la colère de l’opinion publique ; la récupération par ceux que l’avènement du trumpisme avait déjà grisés… Bref, en 60 jours, comme la preuve que politiques = pourris. Tous. Du conseiller communal au président de la Chambre, via l’échevin, le bourgmestre, le conseiller provincial, le député, le ministre régional. Et leurs secrétaires, leurs chefs de cabinets, leurs chauffeurs, leurs enfants, leurs frères et soeurs. Leurs conjoints, comme l’illustre l’affaire Fillon.

Ou comment, en deux mois, un scoop s’est transformé en guérilla  » antipolitique  » dévastatrice. Jusque et y compris pour ce qui apparaissait, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, comme l’unique modèle désormais envisageable dans nos contrées. La démocratie.

Pour le linguiste italien Raffaele Simone, le processus d’écroulement est déjà en cours. Notamment parce que le citoyen se rend toujours davantage compte que sa voix ne pèse rien. Que l’élu, normalement représentant du citoyen, n’appartient en fait qu’à une caste, qu’il n’agit qu’en fonction de la ligne imposée par son parti, ne dépend que de celui qui dresse les listes électorales et distribue les rôles et les mandats. Et ne considère plus la politique comme un engagement mais comme un métier. Ce qui le force à courir le jeton de présence ou la rémunération rapide et parallèle comme l’artiste et le sportif professionnel courent après le cachet.

Pour autant, dans l’entretien qu’il nous accordait le 9 décembre dernier, Raffaele Simone ne se résignait pas :  » Ce qui serait souhaitable, c’est que nous sachions réinvestir l’énergie civique que forme la protestation antipolitique aux fins d’une consolidation de la démocratie. Les protestations des citoyens ne témoignent pas d’un désintérêt pour la politique, mais d’un rejet franc et massif de la politique telle que conçue par les politiciens, tenus pour sourds et aveugles. La rage, comme la peur, est un facteur fondamental de la politique vue du côté des citoyens. Cela signifie, selon moi, que l’énergie politique n’est pas épuisée et qu’elle s’est seulement dispersée : elle est à la recherche d’une cause fédératrice.  »

Puisse-t-elle, cette cause, ne pas être brune.

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