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Le blues des agents de la Stib

Un prix européen récompense la Stib pour l’ « attention toute particulière » qu’elle accorde au bien-être de son personnel. La nouvelle fait grincer des dents au sein de la société, où certains épinglent les conditions de travail.

La Stib, qui fait surtout parler d’elle à l’occasion d’agressions de conducteurs ou de grève du personnel, est à l’honneur ces jours-ci. La société des transports en commun bruxellois a décroché le prix européen des bonnes pratiques décerné par l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail (EU-OSHA). Le communiqué de l’agence indique que la Stib « accorde une attention toute particulière au bien-être et à la sécurité de son personnel, à toutes les étapes du travail ».

« Nous sommes fiers de ce prix, que deux représentants du personnel sont allés chercher à Budapest », indique Françoise Ledune, porte-parole de la Stib. Toutefois, la nouvelle suscite, parmi les agents mis au courant, un brin d’ironie ou de dépit. Les uns évoquent l’insécurité croissante du réseau – 437 cas d’actes de violence physique en 2009, 960 en 2010 et une année 2011 qui a démarré sur les chapeaux de roue -, dénoncée à plusieurs reprises par les syndicats et les conducteurs. D’autres déplorent l’augmentation du rythme des prestations, la déshumanisation des conditions de travail et la priorité absolue donnée par la direction à la rentabilité.

« Tout a été fait, ces dernières années, pour redorer le blason de la Stib, explique un agent : nouvelles rames, nouveaux dépôts, nouveaux kiosques de vente, nouveau siège social high-tech… Le prix européen en question illustre bien cet accent mis sur l’infrastructure : le jury a été impressionné par la conception technique du dépôt de métro Jacques Brel, à Anderlecht, où l’on a multiplié les dispositifs de sécurité et où de grandes verrières font entrer la lumière naturelle. L’outil a été modernisé, mais le facteur humain est négligé par la direction, d’où un malaise de plus en plus répandu parmi les conducteurs, les mécaniciens, les vendeurs et autres employés. »

Des conducteurs dénoncent des cadences et rotations de travail toujours plus stressantes. Pour gagner du temps, la « prise de service » se fait en ligne, via un portail Internet, ce qui limite les occasions de contacts humains. « L’époque où les agents se retrouvaient dans les salles des recettes et de détente des grands dépôts pour discuter et jouer au billard ou aux fléchettes est révolue, déplore un conducteur. Des assistantes sociales y étaient à l’écoute des travailleurs, leur apportaient un réconfort. Leur nombre ayant été réduit, elles n’interviennent plus que sur appel. »
Affiché dans chaque grand dépôt, le taux d’absentéisme des agents fait figure de thermomètre du mécontentement. La Stib est l’organisme bruxellois où l’on relève le niveau d’absentéisme le plus élevé – 8 % du travail non presté, selon certaines sources -, situation qui aurait pour origine les profondes mutations subies par le personnel ces dernières années. « Le taux d’absentéisme des employés est en légère baisse, 3,97 % en 2010, contre 4,2 % en 2009 », affirme pourtant la porte-parole de la Stib. Des chiffres contestés par certains agents, qui relèvent, dans plusieurs services, des taux sensiblement plus élevés. « De plus, ces chiffres ne prennent pas en compte les nombreux conducteurs en « déclassement », assure l’un d’eux. Pour des raisons de stress, de soucis physiques ou autres, ils ne veulent plus conduire et deviennent, définitivement ou provisoirement, des agents de zone, de support, de vente ou d’accompagnement. »

Le grand aquarium

Avec 6 450 équivalents temps plein, la Stib est le plus grand employeur en Région bruxelloise. Parmi ces travailleurs, 2 200 sont conducteurs de tram, de bus ou de métro, tandis que 820 employés sont « logés », depuis le printemps 2009, dans le siège social flambant neuf de la société, le Royal Atrium, planté au coin de la rue Royale et de la rue des Colonies. Dans ce grand aquarium ultramoderne, inondé de lumière, les conditions de travail ne sont certes pas comparables à celles que connaît le personnel d’exploitation dans les dépôts, les stations ou les transports en commun. Pourtant, là aussi, on évoque une forme de pression et de surveillance pesante.

Les bureaux sont « structurés autour d’espaces ouverts, indique le site de la Stib. Les collaborateurs n’occupent pas des postes de travail fixes. Le dynamic office permet une utilisation plus rationnelle de l’espace disponible. » L’Atrium est néanmoins décrit par certains employés comme un « poulailler silencieux », un univers qui génère le blues. « Chacun peut surveiller, à travers les vitres, l’activité de ses collègues, remarque l’un d’eux. Leur tâche terminée, certains se sentent obligés de se montrer toujours affairés, pour ne pas paraître inactifs. Chaque fois qu’on sort du bureau, il faut enfermer son PC dans une armoire et désactiver son téléphone. Le badge est de mise pour se rendre à l’étage de la cantine, aux toilettes ou à la machine à café. Plus question de papoter dans une salle entre collègues sans raison précise. »
Selon une enquête à laquelle ont participé, en septembre 2009, moins d’un tiers des 820 personnes employées dans l’Atrium, le personnel se dit globalement satisfait de son nouvel environnement et de son espace de travail. Seuls points noirs, la climatisation et, dans une moindre mesure, l’accès aux « cocoon », les salles communes. « Les employés les plus anciens ont eu le plus de mal à s’habituer au changement de lieu et à la nouvelle philosophie de travail », reconnaît la porte-parole de la Stib. Avec, à la clé, un « gros travail d’accompagnement ».

« Le réseau de la Stib est le système nerveux de la capitale, conclut un agent. Ne pas prendre suffisamment en compte le bien-être de ceux qui le font fonctionner peut avoir de lourdes conséquences. »

OLIVIER ROGEAU

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