Le ministre-président bruxellois Rudi Vervoort (PS) entretient un curieux mélange des genres dans sa commune d'Evere. © DR

Le bal du bourgmestre d’Evere ou la confusion entre intérêts privés et publics

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Depuis des années, le bal du bourgmestre d’Evere s’organise dans la plus totale confusion entre intérêts privés et publics, entretenue par Rudi Vervoort, mayeur PS empêché et ministre-président bruxellois. Il promet désormais de modifier la formule pour 2018.

La 20e édition du bal du bourgmestre, qui aura lieu en mars 2018 à Evere, invitera sans doute le sempiternel Boney M Show pour chauffer l’ambiance dans la salle du complexe sportif. Mais un changement de taille sera intervenu entre-temps : ce n’est plus une association de fait, structure privée donc, qui l’organisera, alors que les 19 premiers bals avaient vu le jour grâce à cette formule particulière. A Evere, ce n’est en effet pas l’administration communale elle-même qui gérait cet événement. Curieux ? Plusieurs autres communes procèdent de la même manière : l’organisation d’un bal ne rencontre en rien l’intérêt communal, seule balise qui doit théoriquement guider l’action d’un collège.

Mais ce qui frappe, à Evere, c’est la confusion des genres. Le bal  » privé  » du bourgmestre profite en effet largement de l’infrastructure communale pour exister. Car l’association de fait en question est animée par la secrétaire du bourgmestre.  » En dehors de ses heures de travail « , assure-t-on. Le bal fait aussi l’objet d’une annonce dans le journal communal. Les indépendants et commerçants éverois reçoivent un courrier à en-tête de la commune les priant de soutenir financièrement l’événement. Ce courrier s’achève sur un  » Rudi Vervoort, bourgmestre « , précédé de sa signature manuscrite.  » C’est une erreur et cela ne peut pas se reproduire, affirme Georgy Manalis, directeur de cabinet des bourgmestre et échevins d’Evere. Il n’était pas au courant. Il n’y a de notre côté aucune volonté d’entretenir la confusion.  »

Pas au courant ? Rudi Vervoort signe-t-il ses courriers sans les lire auparavant ? Le secrétariat du bourgmestre s’affiche comme expéditeur du courrier adressé aux indépendants. L’invitation envoyée aux commerçants pour leur proposer une insertion publicitaire dans le programme du bal s’étale sous l’appellation  » bal Rudi Vervoort  » et non  » bal du bourgmestre « . Le numéro de compte sur lequel les sponsors de l’événement peuvent effectuer leurs versements porte le nom du bourgmestre empêché. Et le courrier commence par ces mots explicites :  » J’ai le grand plaisir de vous informer qu’afin de fêter la 19e édition du bal annuel que j’organise…  » Enfin, le numéro de téléphone qui figure sur les affiches pour enregistrer les réservations est un numéro de l’administration communale.

Pourquoi, puisqu’il s’agit d’une association de fait privée ? Et à quel titre un bourgmestre, même empêché, se pique-t-il de faire la pub d’une association privée ?  » Il y a là un mélange évident de deux institutions, relève Geoffrey Grandjean, politologue à l’ULg. Aucune distinction claire n’est faite entre la commune et cette association de fait qui n’est pas la commune. Et Rudi Vervoort utilise manifestement ses fonctions au sein de l’institution communale pour valoriser une structure privée « .  » Il y a bien utilisation de services et de biens publics à ses fins personnelles « , renchérit Jacques Verhaegen, coprésident de Ecolo-Groen Evere.

Affichage problématique

Le bal est encore au centre d’une intense campagne d’affichage dans les abribus et sur les panneaux publicitaires dispersés sur le territoire. Or, la convention qui lie Evere et l’entreprise Clear Channel depuis 1999 prévoit que cette dernière mette les petits panneaux d’affichage installés dans les abribus ainsi que le verso de 19 grands panneaux publicitaires à disposition de la commune pour qu’y soient diffusées des informations communales : marché de Noël, campagnes de ramassage d’encombrants, etc. Le bal intéresse certainement les Everois. Mais il s’agit une fois encore d’un projet privé.  » C’est la seule initiative privée qui bénéficie de cet affichage, reconnaît Georgy Manalis, Et c’est effectivement problématique.  »

L’administration communale se dit dès lors en réflexion par rapport au bal.  » Les moeurs politiques ont changé, souligne Georgy Manalis. On ne peut plus poursuivre avec la formule actuelle. Le danger de confusion et de manque de clarté est trop grand.  » L’an prochain, le bal devra être organisé soit entièrement par la commune, soit par une asbl créée pour la cause. Dans ce dernier cas, celle-ci sera tenue de publier ses comptes et de tenir une assemblée générale par an, ce qui assurera davantage de transparence à la procédure qu’aujourd’hui, alors que le bal est organisé par une association dont nul ou presque ne sait rien.

Les huit membres du personnel de la commune qui travaillent, sur base volontaire, le soir du bal, sont payés par la commune, qui refacture ce coût à l’association de fait. De la même manière, les membres de la régie communale, qui recouvrent d’autres panneaux publicitaires d’affiches de promotion, sont également payés par l’organisateur. Le recours à des panneaux en carton est certes autorisé pour toute asbl éveroise après acceptation de la demande par le collège communal.  » Mais concrètement, on n’a pour ainsi dire jamais vu d’autres campagnes d’affichage que celles du PS local (bal, Guinguette rouge, etc.) « , signale un Everois. L’association de fait débourse encore elle-même quelque 950 euros (HTVA) pour que Clear Channel installe, durant les dix jours qui précèdent le bal, une gigantesque remorque publicitaire sur le boulevard Léopold III.

Il est impossible de se plonger dans les comptes de cette association de fait : ils ne sont pas publiés et ne sont pas tenus de l’être.  » Ils sont à l’équilibre « , certifie Georgy Manalis. Côté recettes, il faut compter les entrées (15 euros), les recettes du bar, celles du sponsoring et les soutiens financiers offerts par les Everois qui le souhaitent. Côté dépenses : la rémunération de l’artiste qui anime la soirée, les frais Horeca et le DJ.  » Une asbl permettrait effectivement d’avoir une vision transparente du budget « , note Jérôme Sohier, directeur du Centre de droit public de l’ULB.

 » Jusqu’ici, en tout cas, malgré nos multiples interpellations et mises en garde, rien n’a changé dans les manières de faire du PS local, déplore la locale Ecolo-Groen. Il ne s’agit en effet pas que de l’histoire d’un seul homme : la rose du PS est apposée sur tous les documents. Cela atteste bien de l’accord du PS local sur tous ces faits « .

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire