Piet Vermeylen, ministre de l'Intérieur, en 1954 : il prendra le risque de diffuser les chiffres du recensement linguistique de... 1947. © belgaimage

Le 10 juin 1954, les chiffres secrets du recensement linguistique

C’est un secret d’Etat à la belge. Une information que tout le monde devine, mais que l’on s’efforce de garder secrète. Une bombe que l’on conserve au frigo avec le ridicule espoir que le temps seul finira par la désamorcer. En ce beau mois de juin, enfin, le gouvernement passe à l’action. Il dévoile les chiffres du dernier recensement linguistique. Mais comment expliquer que pour ce faire, pas moins de sept années aient été nécessaires ?

Retour en arrière. Dès 1878, une loi crée trois régions administratives. Cette séparation se voit confirmée en 1921. Dorénavant, la Belgique compte une région de langue française, une région de langue néerlandaise et une région bilingue. Le législateur n’emploie pas le terme  » frontière « . Le mot, pourtant, entre rapidement dans l’usage terminologique national.

Particularité : la  » frontière  » est mobile, susceptible de se mouvoir au gré des recensements. Mais au fil des décennies, la Flandre se met à craindre ces derniers. La raison est simple : toujours un peu plus, les données confirment la francisation de Bruxelles et de ses alentours. Le risque est donc grand de voir se réduire la taille de la région de langue néerlandaise… Révélateur : au milieu du xviiie siècle, près de 90 % des Bruxellois déclarent parler le flamand. Un siècle plus tard, à la suite du rattachement de nos provinces à la France et à la révolution industrielle wallonne, seuls 40 % des Bruxellois se considèrent encore comme flamands. Le processus est lancé : en 1930, ils ne sont plus que 34 %.

En 1940, la guerre empêche l’organisation d’un recensement en bonne et due forme. Il faut attendre 1947 pour que les Belges soient à nouveau sondés. En 1949, des résultats préliminaires sont dévoilés. Cela suffit à mettre le feu aux poudres : plusieurs communes situées le long de la frontière linguistique et autour de Bruxelles se sont largement francophonisées. Sans attendre, de nombreux Flamands introduisent des recours. En invoquant le fait que les résultats auraient été falsifiés.

Le temps passe et les ministres, lâchement, le laissent s’écouler. Publier les résultats ? Modifier le tracé de la frontière linguistique ? Trop touchy ! Personne ne s’y risque. Avant 1954. En s’alliant au pouvoir, libéraux et socialistes affichent enfin leur intention de diffuser les chiffres de 1947. Le 10 juin 1954, Piet Vermeylen, ministre de l’Intérieur, s’y risque. Mais au même moment, il fait voter une loi étonnante, qui tempère les conséquences du recensement en traitant du cas individuel de certaines communes. Un bon compromis ? Peut-être. A moins qu’il s’agisse d’un manque de cohérence. Le ver est dans le fruit : la question de la crédibilité du recensement est clairement posée. La machine de guerre flamande n’a plus qu’à se mettre en branle. Objectif : supprimer le recensement. Sous prétexte que c’est aux hommes à s’adapter à leur lieu de vie, et non pas l’inverse. En 1963, le Nord aura gain de cause. Une fois pour toutes, la frontière linguistique sera gravée dans le marbre. Et plus jamais il n’y aura de recensement linguistique en Belgique.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire