© Image Globe

Laurent Louis, le député calomniateur

Elu au Parlement sur un coup de chance, le député Laurent Louis est connu pour ses outrances verbales. La presse choisit le plus souvent de l’ignorer. Mais l’ex-représentant unique du Parti populaire a franchi la ligne rouge en versant dans la dénonciation calomnieuse. Jean-Denis Lejeune vient de l’attaquer en justice. D’autres suivront-ils ?

Update : Laurent Louis a mis ses menaces à exécution, du moins en partie. Ce jeudi après-midi, le député a mis en ligne sur son blog le rapport d’autopsie de Julie et Mélissa, précisant que les photos étaient à la disposition, sur rendez-vous, de toute personne qui lui en ferait la demande. En matinées, le député avait exhibé ces photos devant des journalistes venus assister à une conférence de presse sur « l’institutionnalisation de la pédophilie en Blegique ». Le site web en question est désormais inaccessible, sans doute à cause des nombreuses réclamations d’internautes auprès de son hébergeur.

Il ne change pas de disque. Simplement, il monte le son. Jusqu’à en péter les plombs. Laurent Louis, député fédéral, président-fondateur d’un parti plus que groupusculaire, est persuadé de tenir une bombe. Un mail anonyme, publié sur son blog le 12 avril, qui dénonce des centaines de personnalités, dont certaines décédées. Représentants de la noblesse, capitaines d’industrie, magistrats, politiques, hauts fonctionnaires, toubibs et jusqu’au roi Albert II : autant de pourris, pédophiles, « mangeurs de chair humaine », « chasseurs de gibier humain » et on en passe.

D’où sort cette liste ? D’un délirant « Robert de la pédocriminalité » plus étoffé encore. Diffusé le 4 avril sur un obscur blog complotiste, cet inventaire à la pervers amalgame la plupart des affaires judiciaires que la Belgique a connues depuis 20 ans, de l’assassinat d’André Cools à « Dodo la Saumure » en passant bien sûr par l’affaire Dutroux. Si ce n’est que la plupart des protagonistes y sont décrits comme « pédo », avec ou sans point d’interrogation, sans autre forme d’explication.

L’auteur du billet blog se présente sur Facebook comme un Français originaire de Nîmes, « animateur vedette à la Castellane ». L’homme fait partie du réseau de soutien de l’Anversois Marcel Vervloesem, un « chasseur de pédophiles » né avec l’affaire Dutroux… et condamné en 2008 pour abus sexuels sur mineurs. Soupçonné cette fois du viol de son neveu, Vervloesem, 59 ans, est retourné derrière les barreaux à la fin janvier. Depuis, ses réseaux s’activent en sa faveur. Cette incarcération n’est pas étrangère à la soudaine propagation de cette liste abracadabrante qui circule depuis des années. Même les plus obstinés partisans de la théorie du complot dédaignent ce texte bourré d’erreurs manifestes, sans parler des accusations invraisemblables.

Laurent Louis n’a pas hésité : ni une ni deux, il balance le mail sur son blog. « Comme l’auteur anonyme, j’estime qu’il est temps de nettoyer notre pays de ceux qui le salissent et le déshonorent », clame-t-il en préambule. La conclusion s’impose à lui : « Magouilles, corruption et pédophilie, les ingrédients de la politique belge ? » Le point d’interrogation lui permet de se défausser à peu des frais sur le dénonciateur : « J’ai voulu livrer le document à l’état brut, sans chercher à rectifier l’une ou l’autre erreur factuelle », précise au Vif L’Express le parlementaire. Vous avez dit légèreté ?

Sitôt publiée, cette liste lui a valu dans la presse une volée de bois vert. Laurent Louis a aussitôt répliqué par un second billet dans lequel il persiste et signe. Il en rajoute même une couche en livrant des détails sordides sur l’autopsie de Julie et Mélissa, dont il disposerait des photos. Tout à sa vindicte contre les « pourris », il s’en prend vivement aux parents des victimes de Marc Dutroux : « N’est-on pas en droit de se demander si, volontairement, l’État n’a pas tenté de les détourner de leurs objectifs en proposant à l’un de diriger Child Focus ou à l’autre de devenir sénateur ? Étonnant aussi de savoir qu’un des parents est aujourd’hui employé par le CDH, le parti de Melchior Wathelet père, ancien ministre de la Justice qui libéra Dutroux et qui, depuis, n’a cessé de monter en grade. »

Jean-Denis Lejeune, puisqu’il s’agit de lui, a annoncé mercredi un dépôt de plainte avec constitution de partie civile pour calomnie et diffamation. « C’est insultant, jamais personne ne pourra acheter mon intégrité », a-t-il déclaré au Soir. Sur les sites web de L’Avenir et de La DH, le père de Julie ajoute que Laurent Louis aurait essayé de l’intimider. « Via une connaissance commune, il m’a transmis le message suivant : si je porte plainte, il publie les photos d’autopsie des petites. » Laurent Louis n’a pas démenti ces menaces, transmises au juge d’instruction.

Faut-il parler de cette liste ? Oui

Merci l’apparentement provincial. Élu en 2010 avec à peine 1 345 voix, le candidat brabançon du Parti populaire de Mischaël Modrikamen a décroché la timbale. Depuis, l’ex-militant MR nivellois de 32 ans a fait du chemin : rapidement exclu du PP, il s’est reconverti en président-fondateur d’un Mouvement libéral démocrate (MLD), rebaptisé onze mois plus tard Mouvement pour la Liberté et la Démocratie » (re-MLD). Combien de division ? « Je n’ai pas les chiffres des militants en tête… » Son ambition : percer aux élections communales et provinciales. Du moins à Nivelles et dans le Brabant wallon.

Mais comment faire parler de soi lorsqu’on ne représente rien ni personne ? Lassée de ses outrances, la presse dédaigne les illuminations dont il abreuve son blog à longueur de journée. Par exemple : abattre les prisonniers qui tentent de s’évader. À la Chambre, il passe au mieux pour un hurluberlu. Ses seuls admirateurs se dénichent dans une partie de la communauté congolaise, où ses harangues contre le régime de Kabila séduisent. Aussi a-t-il choisi la voie populiste du « tous pourris ».

En janvier, sa première salve visait le Premier ministre Elio Di Rupo, taxé de pédophilie. Sans l’ombre d’une preuve, bien sûr. L’attaque frontale fait un flop. Le « représentant du Peuple », comme il se qualifie, a donc enclenché la vitesse supérieure. Calomnions, calomnions, il se trouvera toujours l’un ou l’autre faible d’esprit pour applaudir.

Laurent Louis n’abuse pas que de son blog ou de la tribune parlementaire pour déverser son fiel. Sur Twitter et Facebook, les internautes que sa logorrhée amuse l’ont surnommé « Laul », jeu de mots entre ses initiales et l’acronyme anglais LOL (« mort de rire »). Mais depuis son dernier dérapage, les commentaires affligés et les insultes ont supplanté les moqueries.

D’autres répugnent à parler du personnage, estimant que cela revient à faire sa publicité. C’est oublier que sur Internet, le silence n’enterre rien. Même dans plusieurs années, par une simple recherche dans Google, des centaines de personnes risquent de découvrir leur nom associé à celui de Dutroux sur le site web d’un élu de la Nation. Une « autorité ». Que fait la justice ? Rien. La calomnie et la diffamation ne peuvent être poursuivies que sur la base d’une plainte.

Le monde politique, lui, a choisi jusqu’ici de jouer l’autruche. « On ne va pas lui offrir une tribune au palais de Justice », justifie-t-on. Président de la Chambre, André Flahaut (PS) a vainement tenté de rappeler le trublion à ses devoirs de correction. Impossible de faire plus : « Agir, c’est passer pour protecteur des ‘pourris’. » Laurent Louis n’attend que cela : « Plus on me discrédite, plus j’ai de soutiens. » Infernal.

E.R. et P.Hx

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire