© NATHALIE DELEPINE

Laurent Delahousse : « Je n’écris pas mon histoire comme une carrière »

Cuisinier émérite, Laurent Delahousse est aussi passé maître dans l’art de faire mijoter à feu doux ses invités du 20 Heures, le week-end, sur France 2. Ses journaux télévisés, mitonnés avec Jean-Michel Carpentier, alternent l’épicé et le sucré-salé, car rien n’est péremptoire chez ce présentateur vedette, travaillé par le doute et ancré dans la pudeur du chti qu’il n’a jamais cessé d’être. Derrière les mèches blondes qui l’ont fait icône, il y a un journaliste et ses scrupules, un homme et ses fragilités. Avare de confidences, Laurent Delahousse confie au Vif/L’Express sa vision de la télévision à l’ère du « toujours plus vite », mais revient aussi sur son transfert avorté à TF 1, et dévoile son nouveau projet : une série de fiction sur la vie politique française de ces dernières années.

Le Vif/L’Express : Après une saison dense, sur fond d’élection présidentielle, qu’est-ce qui vous motive pour celle qui s’ouvre ?

Laurent Delahousse : On sort en effet d’un cycle extrêmement intense et il nous faut trouver un nouvel élan, mais nous sommes, à France 2, sur une belle dynamique. En matière d’information comme en politique, aujourd’hui, cent jours, c’est un siècle : l’actualité se régénère, se ressource, prolifère à une vitesse jamais connue jusqu’ici. Toute la question est de savoir comment faire évoluer un journal comme celui de 20 heures, qui doit rester un rendez-vous de référence, sans subir ce rythme effréné ni succomber à la tentation d’aller toujours plus vite. L’hyperinflation journalistique, l’hystérisation d’une époque prise de vertige, notamment en raison du poids des réseaux sociaux, nous oblige à toujours plus de responsabilité. Et pourtant, dans le même temps, ce journal de 20 heures, que j’anime depuis six ans, a profondément changé. J’observe un retour à des valeurs essentielles : la rigueur, le sens, la pédagogie. Faut-il uniquement répondre aux attentes des téléspectateurs ? Non, même si je ne peux pas ignorer les 7 millions de personnes qui nous regardent le week-end. Il faut donc trouver le juste équilibre, comment fabriquer un journal avec nos seuls référents journalistiques, sans céder à la pression de ceux qui nous regardent.

On ne s’adresse pas au même public si l’on présente le 20 Heures de TF 1 ou celui de France 2 : il y a forcément la tentation de fabriquer une information « marketée ».

Où vous voyez du marketing, je préfère voir une forme de responsabilité. Je connais le public qui me regarde, mais il n’interfère pas dans la vision que je me fais de mon métier et dans la perception que j’ai de l’histoire de France 2. Il est possible que la rédaction de TF 1 s’inscrive parfois dans une autre logique, qui est celle d’une entreprise commerciale avec des objectifs différents – et ce n’est pas une critique dans ma bouche, car je respecte le travail de cette rédaction. Avec ma conception du métier, il m’arrive souvent de douter, d’hésiter, de m’interroger tout au long des 270 minutes de direct que je fais chaque semaine, mais j’assume nos choix sans jamais les subir. Ce qui ne veut pas dire que le journal de 20 heures doit être un sanctuaire où tout serait figé : je crois que, sous l’impulsion de Thierry Thuillier, le directeur de l’information de France Télévisions, nous avons su prouver que nous étions capables d’imprimer une différence, bref d’imprimer une modernité.

Avec la globalisation de l’information, la notion de service public garde-t-elle un sens ?

Oui, pour tous ceux qui partagent une histoire avec ses entreprises. Au risque de paraître pontifiant, je dirais que l’indépendance, la liberté, l’éthique sont constitutives de l’ADN du service public. Mais je suis passé par des rédactions du privé, à RTL ou LCI, où j’ai observé le même degré de conscience et la même rigueur.

Si le service public veut marquer sa différence, il lui faut des moyens. Qu’attendez-vous de l’Etat ?

Qu’il soutienne ses entreprises, parce que le service public est le lieu où la créativité, en matière de culture, de fiction ou d’information, doit trouver sa pleine mesure. Le service public, c’est une question : pouvez-vous imaginer un paysage télévisuel sans C dans l’air, Des paroles et des actes, Des racines et des ailes, Apocalypse, de grandes fictions françaises ? Allez, j’ose, en souriant, ajouter : sans notre 13 h 15 ni Un jour un destin ? Et la réponse, c’est cela, l’utilité, la nécessité du « Service public ».

Durant le quinquennat Sarkozy et la présidentielle, avez-vous subi des pressions politiques, directes ou indirectes ?

Jamais. Je dis bien : jamais. Ni pressions ni recommandations. Il y a une forme de fantasme à toujours imaginer que les politiques interviennent sur celles et ceux qui fabriquent l’information. Dans les différentes enquêtes d’opinion réalisées à mon sujet, deux mots reviennent souvent : indépendance et liberté. J’en suis fier et, là-dessus, je ne céderai pas. Même si cela m’oblige à vivre en dehors du système et de ses réseaux, ce qui est peut-être un tort, car ils peuvent être bien utiles parfois. Je puise dans cette forme de solitude professionnelle mon adrénaline quotidienne. Compte tenu de mon éventail d’activités à France 2, où je navigue entre un journal de 20 heures, adossé à une rédaction puissante, des interviews longues et des documentaires, j’ai le sentiment d’être un privilégié.

Comment fait-on pour échapper à son image?

On ne peut pas tromper les gens. La télévision est une loupe qui n’est pas aussi déformante que cela. Une idée reçue veut que nous portions tous le masque du présentateur « iconique » : Je l’ai eu au début et pense l’avoir perdu au fil des années. Pour cela, j’ai adopté un précepte : la générosité. Seul un minimum d’empathie vous permet d’échapper à cette bulle. La personnalisation du journal de 20 heures est quelque chose que j’assume depuis peu, depuis que je suis en adéquation avec moi-même. Et c’est en cela que l’écriture du journal des éditions du week-end a sans doute quelque chose de particulier. Mais je réfute les termes d' »héroïsation » ou de « starisation » ! Même si dire que le présentateur du journal de 20 heures de France 2 n’est pas un élément fédérateur serait un mensonge.

La disparition tragique de Jean-Luc Delarue a-t-elle modifié cette perception ?

Je n’ai pas attendu ce drame pour saisir la fragilité de la notoriété. J’essaie en permanence, dans ma vie, de trouver mon équilibre dans mes déséquilibres. Jean-Luc Delarue, que j’ai aperçu ou entraperçu, a connu la difficulté, que chacun peut rencontrer, d’écrire son histoire quand celle-ci est sur-exposée. Et il n’était pas le seul dans ce métier à tutoyer cette difficulté, jusqu’au mal-être. J’ai toujours eu parfaitement conscience de l’extraordinaire précarité, de l’extrême violence aussi, de ma situation. Et j’ai le plus grand mal à accepter les regards, souvent déformants, que la presse porte sur moi. Un article chasse l’autre, dont il est souvent le copié-collé. Cela illustre l’emballement de ce métier et l’urgence dans laquelle nous l’exerçons, sans le moindre recul : il n’y a plus de place pour la distance ni pour le silence. Je me souviens, lors d’un 13 h 15, le dimanche, d’un agriculteur qui raclait en silence son assiette : comment mieux dire son désarroi face à la crise ? Les magazines de reportages n’acceptent plus les silences, il faut remplir, remplir d’images, de commentaires, jusqu’à combler cette terrible angoisse de toute une génération de journalistes : le silence. Quelle tristesse ! Regardez bien, écoutez, les silences et un plan fixe, parfois, vous donnent l’essentiel. Journalistes et politiques ont épousé le même rythme effréné que nous imposent les réseaux sociaux et leur flot de rumeurs et d’informations non vérifiées. Nous vivons ainsi sur des temps très courts. Le danger est que cette urgence devienne la matrice de l’information. La technologie bouleverse nos habitudes de consommation de l’actualité. Le journaliste doit à la fois appuyer sur la pédale de frein et sur celle de l’accélérateur.

Claude Sérillon et Bruno Masure hier, PPDA et Laurence Ferrari plus récemment : tous ont entretenu une forme d’addiction avec ce fauteuil du 20 Heures : et vous ?

C’est venu progressivement chez moi, mais je pense, en effet, qu’occuper ce poste induit une forme d’addiction, en raison notamment de l’adrénaline que procure la fabrication de ce journal. Il y a dans cet exercice quelque chose de passionnel. Après mes tout premiers journaux, sur LCI, Patrick Poivre d’Arvor et Guillaume Durand m’avaient dit : « Ne te trompe pas : c’est ton truc ! » En revanche, au contraire de mes prédécesseurs, je ne fais pas que cela. L’autre différence, c’est cette porte que je laisse toujours entrouverte vers l’extérieur : je ne sais pas de quoi demain sera fait. Cette porte, ce sont des documentaires et également, depuis peu, l’écriture d’une fiction politique pour la télévision. Je voudrais raconter le roman de ces cinq dernières années, de cette longue séquence de la vie politique de notre pays, à travers le cheminement de ses différents acteurs. Les Français aiment la politique, bien plus qu’on ne le pense. Ils aiment ses secrets, ses coulisses et ses personnages. Il y a là matière à un formidable récit. Je ne suis pas parvenu pour l’instant à convaincre France 2 de la pertinence d’une grande session d’information le dimanche, de 19 h 30 à 21 heures, mais j’espère aller au bout de ce projet de série.

Votre cohabitation, parfois rugueuse, avec David Pujadas fait-elle partie de votre adrénaline ?

A titre personnel, David n’est ni un concurrent ni un adversaire. Nous sommes professionnellement et humainement différents et, surtout, je pense, complémentaires. Son journal ne ressemble pas au mien, notamment parce que les Français, le week-end, ne regardent pas la télévision de la même manière.

Que s’est-il passé pour que vous ne soyez pas parti à TF 1 ?

Rien de très original. On vient vous voir, on vous parle, on discute l’espace de quelques semaines et puis vous décidez. J’ai considéré que j’étais plus en adéquation avec France 2. Ce fut mon choix à ce moment-là. Et aujourd’hui, je n’ai aucun regret. C’est la vie. Tout le reste relève des fantasmes que suscite ce poste. Et rien ne m’interdira demain de reparler avec TF 1, comme de discuter avec Canal +, Arte ou France 5. Je revendique de ne pas écrire mon histoire comme une carrière. Il n’y a pas forcément le 20 Heures de la semaine après celui du week-end ou TF 1 après France 2. Cela met un peu d’optimisme dans mon pessimisme fondamental.

Quelle interview vous reste-t-il à accrocher ?

Il y en a plusieurs. Dominique Strauss-Kahn, pour l’écouter se raconter et le questionner longuement. Nicolas Sarkozy, pour évoquer le passé, le présent et, s’il le veut, l’avenir. J’adore ce type d’exercice. J’aurais voulu être dans la voiture de François Hollande quand il quitte la place de la Bastille le 6 mai au soir, et avec Nicolas Sarkozy, juste avant, au sortir de son discours d’adieux à la Mutualité. Etre au plus près de l’Histoire en marche.

Y a-t-il dans votre panthéon un journaliste référent ?

Quelques figures, mais ni Pygmalion ni mentor. Bernard Rapp, Yves Mourousi, Poivre et d’autres ont marqué ce métier, mais c’était un autre temps, dont je ne suis pas nostalgique. Certaines figures, moins célèbres, m’ont mis le pied à l’étrier, et je ne les oublie pas. Vous avez devant vous quelqu’un pétri de doutes, pour qui le collectif n’est pas un vain mot.

Laurent Delahousse dans vingt ans ?

Photographe ? Cinéaste ? Heureux, apaisé, j’espère…

PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE BARBIER ET RENAUD REVEL

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