Lampedusa : le miroir de nos limites

A Lampedusa, pour une fois, les grands chiffres abstraits sont illustrés par l’alignement interminable de cercueils.

C’est le même pays, l’Italie. Un concentré de toutes nos contradictions. Un miroir de nos limites. Un jour, une ministre d’origine congolaise, Cécile Kyenge, y subit des jets de bananes, suscitant une indignation à peu près générale. Elle, sans perdre sa dignité : « L’Italie n’est pas un pays raciste ». Le jour suivant, un deuil national est décrété en mémoire aux migrants clandestins disparus au large de l’île de Lampedusa. On ne peut s’empêcher, car on y aime les enfants, de distinguer leurs cercueils avec une peluche. C’est le choc des images, la perception instantanée que tous ces naufragés avaient des parents, des amis qui les attendaient par-delà la Méditerranée et qu’il faut suppléer leur absence par des gestes d’affection. Pour une fois, les grands chiffres (plus de 18 000 immigrés seraient morts aux frontières de l’Europe depuis 1988, dont environ 8 500 disparus en mer) sont illustrés par l’alignement interminable de cercueils. Le goutte-à-goutte des rafiots qui se renversent dans la Méditerranée passe, lui, inaperçu, sauf dans les pays de départ, où la souffrance sociale et le ressentiment ne font que croître.

Y a-t-il une issue à ces drames répétés, à cette pression migratoire non souhaitée qui perturbe et divise les Européens, à commencer par ceux, en Italie, Grèce et Espagne, qui se trouvent en première ligne ? De toute évidence, le Conseil des ministres européens des Affaires intérieures, qui se réunit ce mardi, ne peut pas rester les bras croisés. Mais que faire ? En termes géostratégiques, l’Europe ne va pas soudainement opter pour une politique de « frontières ouvertes ». Son système de protection sociale, chahuté par la crise économique, n’y survivrait pas et, avec lui, son modèle démocratique et ses élites politico-administratives que les Européens, à tort ou à raison, ont déjà tendance à rendre responsables d’une forme d’insécurité existentielle.

Par la voix de sa secrétaire d’Etat à l’Asile et la migration, Maggie De Block (Open VLD), la Belgique a laissé entendre sa position, qui reflète assez bien l’état d’esprit de l’opinion publique : il faut prévenir ces départs catastrophiques et lutter contre les trafiquants qui les organisent. A quoi il faudrait ajouter, même si cela n’est pas diplomatiquement correct, « avec le soutien ou dans l’indifférence de certains gouvernements du Sud ». Car si la France est moins visée que d’autres par ces débarquement illégaux, elle le doit aussi à une politique étrangère dissuasive et à ses services de renseignement qui permettent d’intervenir en amont. Si l’Europe veut rester globalement maîtresse de ses frontières – ce qui est le propre de n’importe quel Etat souverain, nonobstant des dispositifs particuliers relatifs au droit d’asile (protection internationale) ou à des circonstances particulières comme un conflit armé (protection subsidiaire)-, alors, il faudra sans doute davantage de solidarité avec les pays « exposés » et une politique réellement commune de migration et d’intégration. Pour que l’Europe, comme l’Italie, garde son humanité.

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