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La zone neutre autour du Parlement, coûteux artifice

Ce 21 juillet, jour de Fête nationale, la zone neutre à Bruxelles se laissera exceptionnellement envahir sans résister par la foule. Un philosophe à l’UCL lance un pavé dans ce périmètre de sécurité permanent autour du Parlement et du Palais royal. John Pitseys juge cet écran protecteur inutilement coûteux, faussement démocratique, porteur du  » mythe d’une Belgique unie. »

C’est le petit bout de territoire le plus paisible de la capitale. Un oasis de tranquillité publique, où Parlement, Palais royal et principaux ministères peuvent travailler à l’abri de toute intrusion intempestive. Sous couvert d’une loi de 1954 qui exige que l’on montre patte blanche pour pénétrer en  » zone neutre. » (1)

Prière de laisser calicots, drapeaux et autres attributs de manifestant aux entrées du périmètre sécurisé. Et de s’abstenir d’y afficher ses convictions ou de scander haut et fort ses revendications.

La loi est bien faite: elle lève l’interdit pour les défilés et revues militaires, les cérémonies, fêtes et divertissements, pour peu que l’autorité publique l’y autorise. Sans ces exceptions à la règle, point d’envahissement bon enfant du parc de Bruxelles ou de la place des Palais, un jour de Fête nationale.

La Belgique toujours grande et belle, celle qui se décline en noir-jaune-rouge, est la bienvenue en zone neutre, un 21 juillet.

Sitôt les réjouissances clôturées, le garde-fou reprendra ses droits. Sécurité oblige. Argument facile et qui demande vérification, objecte John Pitseys, philosophe à l’UCL.  » Il nous est revenu de source directe que les forces de police estiment que l’existence de la zone neutre représente un coût financier et d’énergie inutile : plutôt que devoir assurer de manière systématique le respect rigide de la zone neutre, elles préfèrent adapter leur politique de sécurité au cas par cas. Sur la base d’un simple critère de sécurité, l’option la plus souhaitable serait tout simplement de supprimer la zone neutre. »

Non pas que les policiers bruxellois surveillent jour et nuit le secteur. C’est le déploiement obligé des forces de l’ordre en zone neutre, en cas de manif programmée dans la capitale, qui fait grimper la facture.

Spécialiste de la théorie de la gouvernance, John Pitseys lance ainsi un joli pavé dans ce périmètre inviolable : il ne serait en fin de compte qu’un  » cache-sexe  » arboré sous de mauvais prétextes (2).

La zone neutre est censée préserver les parlementaires des influences extérieures ou des pressions physiques, garantir la qualité de la discussion politique, assurer des débats publics sereins. Bref, permettre aux décideurs politiques de garder la tête froide.

John Pitseys endigue ce flot explications.  » C’est faire fi des jeux de pouvoir et d’influence qui s’exercent sur les représentants du peuple, hors du regard des citoyens. » Aucune zone neutre ne retiendra la main invisible des puissants lobbies. Elle empêche en revanche de pouvoir manifester dans la rue, et d’exercer ainsi  » un des droits les plus égalitaires qui existent. »

Ce ne serait rien de plus qu’une façon discutable pour le pouvoir démocratique de marquer son territoire.  » La zone neutre est un révélateur de la mise au frigo de la question démocratique. Elle est là pour isoler les institutions fédérales du conflit politique. Conflit social, bien sûr. Conflit communautaire, encore plus certainement. La zone neutre figure à la fois le mythe d’une Belgique unie, la crainte tacite de son évaporation, et la peur de laisser les questions qui fâchent pénétrer l’espace public. »

Pierre Havaux

(1) – Elle comprend la rue Ducale, la rue de Louvain, la rue Royale, la place des Palais, la place du Trône, la rue Bréderode. Le Parlement est sur le point d’étendre la zone neutre pour y englober le Parlement de la Communauté française et la Maison des parlementaires flamands.

(2) – La Revue nouvelle, mai-juin 2012

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