Pierre-Yves Jeholet, chef de groupe MR au parlement wallon. © Belga

« La Wallonie va se retrouver dans la situation de la Grèce »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Pierre-Yves Jeholet, chef de groupe MR au parlement wallon, dénonce l’inertie du gouvernement Magnette et son manque d’action face aux dérapages budgétaires. Entretien.

Quelle est la situation budgétaire de la Wallonie? Morose? Préoccupante?

La situation financière est préoccupante à tous les niveaux de pouvoir, que ce soit le fédéral, les Régions, les communes ou les CPAS. Mais ce qui est évidemment frappant au niveau de la Région wallonne, c’est qu’on s’est mis la tête dans le sable, qu’on n’a pas voulu dire la vérité. C’est tout le discours de l’ancien ministre du Budget André Antoine (CDH) affirmant que la dette s’élevait à 6 milliards d’euros alors que nous prétendions déjà qu’elle était bien plus élevée en raison d’une débudgétisation et des normes SEC européennes. Il l’a minimisé jusqu’au moment où la Cour des comptes a confirmé que l’endettement n’était pas de 6 milliards, mais bien de 12 milliards.

Aujourd’hui, en tenant compte de ce qui est venu s’ajouter dans le périmètre des finances wallonnes, nous sommes à près de 19 milliards de dette sans intégrer des structures comme la SPGE, la SWDE, des sociétés de logements… Dans les mois à venir, on risque de dépasser les 20 milliards de dette. Il faut avoir un discours vérité, d’autant que les indicateurs macro-économiques ne sont pas bons du tout, que ce soit le taux de croissance, de créations d’entreprises, d’exportations… L’écart reste important avec la Flandre. La situation n’est bonne nulle part mais au niveau fédéral, des mesures structurelles sont prises pour soutenir l’activité économique, mais aussi pour respecter la trajectoire budgétaire. Regardez ce que Daniel Bacquelaine (Ndlr : ministre fédéral MR) a fait au niveau des pensions.

En Wallonie, on ne prendrait pas le taureau par les cornes ?

On ne fait rien du tout, on ronronne, on ne change pas son train de vie, on n’essaye pas de diminuer de façon drastique les frais de fonctionnement. La rationalisation des outils économiques, des sociétés de logements ou des transports en commun n’est même pas à l’ordre du jour. Il y a un budget, oui, où on a saqué dans différentes politiques pour trouver des sous, mais on ne remet rien à plat. Si les politiques que l’on avait mené depuis des années en matière de soutien économique, de logement, de mobilité étaient les bonnes, ça se saurait. On a besoin d’une rupture après vingt-cinq années de socialisme. Au niveau fédéral, on peut ne pas être d’accord sur les mesures adoptées, mais au moins il y a un débat. Ici, ce n’est même pas le cas.

Le PS insiste sur la nécessité de préserver des moyens pour la relance économique?

On peut très bien soutenir l’investissement en restant rigoureux. Je prends l’exemple de ma commune de Herve, qui était dans une situation financière catastrophique : on continue à faire des investissements mais on a serré les boulons partout sur le budget ordinaire et le fonctionnement, du café au non-remplacement du personnel qui part à la retraite en passant par le licenciement de ceux qui ne travaillaient pas. Peu importe la structure publique dans laquelle on se trouve, un euro est un euro. On doit gérer comme un ménage le fait. Or, au niveau wallon, on ne fait pas assez d’efforts dans les dépenses.

Qu’est-ce qui vous semble inacceptable dans la politique actuelle?

Des tas de choses. On ne cesse d’investir dans le plan Marshall. Mais quels sont les résultats à ce jour? Même des entreprises commencent à les mettre en doute. Parlons du Forem: 4 500 employés, des budgets colossaux, pour quels objectifs? A-t-on rapproché des personnes du marché du travail grâce à la formation? La réponse est négative. Nous devons aussi avoir un débat sans tabous sur la formation et l’enseignement. Ce n’est pas de savoir qui s’en occupe, de la Région ou de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui m’importe, c’est de savoir comment être efficace pour rapprocher nos jeunes du marché du travail. Voilà la question! Quand on compare avec d’autres régions d’Europe, on consacre des montants très importants dans ces domaines…

Il y aurait des tabous en matière de gestion?

Bien sûr qu’il y a des tabous! Un effort avait été fait sous la précédente législature pour stimuler les synergies entre Régions wallonne, bruxelloise et Fédération Wallonie-Bruxelles, avec un ministre-président commun, un ministre du Budget, des doubles casquettes… Tout ça allait dans le bon sens. La nouvelle majorité a fait une marche arrière totale: deux ministre-présidents parce qu’il fallait faire plaisir à MM Magnette et Demotte, deux ministres du Budget… ça n’a aucun sens!

On se plaint de ne pas recevoir de montants suffisants pour les transferts de compétences liés à la réforme de l’Etat ? Mais voyons comment optimaliser les aides à l’emploi, à l’investissement, à la formation… Il faut avoir le courage de mener ces vrais débats de fond, de réévaluer les systèmes existants. Nous sommes une petite Région, il faut oser rationaliser.

Le budget actuel n’offre aucune perspective. Un des points forts du plan Marshall en 2006, c’était la suppression de la taxe sur les outillages pour les entreprises, pour encourager les investissements. Aujourd’hui, il y a un moratoire mais cette taxe est votée: quel mauvais signal. Moi, je connais des investisseurs qui m’ont déjà dit qu’ils choisiront la Flandre où ils sont garantis de payer 25% en moins. Cela va dans tous les sens, c’est de l’improvisation, au contraire du fédéral.

Pourquoi cela ne bouge-t-il pas davantage?

C’est une façon de gouverner.

Regardez même la situation des communes. On a encore des communes socialistes qui sont sous Crac, cela ne perturbe visiblement pas leurs responsables, on continue à gérer comme avant. C’est une bombe à retardement! C’est évidemment plus facile d’être soutenu que de prendre des décisions difficiles. On devrait au contraire récompenser les communes qui d’elles-mêmes prennent des mesures structurelles pur rétablir les finances.

Soyons clair: on a été beaucoup trop loin dans les subsides et dans le saupoudrage… Il faut se concentrer aujourd’hui sur les investissements qui sont absolument indispensables: des lieux d’accueil pour la petite enfance, des maisons de repos… A un moment donné, il faut arrêter de faire des cafétérias de foot. Dans ma commune, Daerden (Ndlr : Michel Daerden, ancien ministre PS du Budget et de Sports) avait fait construire deux tribunes avec des subsides à 600 000 euros. Or, il n’y pas un chat le dimanche parce que les clubs jouent en 2e et 3e provinciales: c’est ça le mal de la Wallonie. Nous avons été trop loin…

Le train de vie est mal adapté?

Clairement. Des gens responsables, rigoureux peuvent gérer en bons pères de famille et trouver des formules pour éviter les subsides et l’endettement. Soyons créatifs, vendons une partie de notre patrimoine dont on sait que l’on ne fera rien. C’est un état d’esprit. Je regrette que l’on soit mis la tête dans le sable.

On se voile encore la face aujourd’hui?

Mais oui! On ne cesse de rejeter la faute aux normes européennes. C’est l’Europe, l’Europe…

Le PS annonce qu’il demandera un assouplissement de la lecture des règles européennes…

Cela veut dire quoi? A nouveau une prime à la mauvaise gestion des pouvoirs qui ne prennent pas leurs responsabilités!

On se serre la ceinture, mais les provinces, se serrent-elles la ceinture? Prenez l’exemple de Mons 2015. C’est un événement important auquel j’adhère totalement. Mais quand on voit les chiffres… 70 millions d’euros venant des pouvoirs publics pour la Fondation, les spectacles, sans parler des subsides Feder: nous en sommes à 300, 350 ou 400 millions d’euros. Tous les secteurs culturels ont été mis à la diète en Wallonie, mais seul un sujet était tabou: Mons 2015. Vous trouvez ça normal? Je ne reviens pas sur notre accord initial, il fallait le faire. Mais quand on fait un spectacle one shot à Liège qui coûte 645 000 euros, que l’on construit à Mons une oeuvre de 420 000 euros qui s’effondre, que la réception a coûté entre 1,5 et 2 millions d’euros… Je suis désolé: ça interpelle!

La Région wallonne veut maintenant accueillir le Tour de France. OK, c’est important, mais dans le contexte actuel, on peut quand même un petit peu faire attention, non? Il y a ceux qui font les efforts et ceux qui ne le font pas.

C’est bien de dire que c’est la faute à l’Europe, mais les choix ne sont pas bons: la Région wallonne lisse les investissements, ce qui est préjudiciable pour l’économie, mais ne touche pas à ses frais de fonctionnement. A force de jouer son Calimero, on fera en sorte que l’on se retrouve dans une situation comme celle de la Grèce dans quelques années. C’est cela que l’on veut? La Flandre a également des difficultés parce qu’elle a apuré la dette des communes, mais elle n’est pas dans une situation économique comme la Wallonie.

Il y a eu des transferts de compétences importants avec la sixième réforme de l’Etat, avec un transfert de moyens limité, estimé à 90%. La loi de financement ne laisse en outre que huit ans à la Wallonie pour se redresser avant la fin des transferts. Il y a urgence?

La régionalisation, tous les partis l’ont voulue. C’est vrai que nous n’aurons pas le financement adéquat. On peut s’en plaindre, on peut pleurer, on peut ne pas agir… Mais cela permet aussi une plus grande forme de cohérence dans les politiques à mener. En termes d’emploi, par exemple, il y a moyen d’avoir une politique plus volontariste, plus simple, en aidant vraiment les entreprises qui en ont besoin.

Je reviens avec l’enseignement: on devra quand même à un moment se poser les vraies questions. J’aime bien le pacte d’excellence, mais c’est beaucoup d’esbroufe. Est-ce normal que l’on ait toujours dans le réseau officiel les communes, la Communauté française et les provinces? Je n’évoque même pas la question du réseau libre. On doit aborder cela sans tabous, sans suivre le diktat des syndicats. Depuis que je fais de la politique, j’entends qu’il faut revaloriser l’enseignement technique et professionnel. Mais si on ne fédère pas les moyens pour le faire, on n’y arrivera jamais. Par ailleurs, si on estime que la fédération Wallonie-Bruxelles est la mieux armée pour le faire, d’accord, mais je n’en suis pas convaincu. Les politiques doivent se demander quelles sont les meilleures options pour permettre à nos enfants d’être préparé au marché de l’emploi, c’est tout. Or, on réfléchit à l’envers parce que l’on a peur de toucher aux structures.

C’est la même chose au niveau du soutien économique. Dans ma région, à Verviers, vous avez une quantité d’opérateurs: Flemalle Initiative, installé par Cools à l’époque, Meusinvest Redéveloppement, Basse-Meuse Développement, autant d’outils avec des directeurs à leur tête, des frais de fonctionnement… Va-t-on enfin oser se poser les bonnes questions? Je me suis battu pendant cinq ans pour obtenir cadastre de rémunérations, des avantages extra-légaux. En vain. C’est un manque de transparence absolu. Attention: je suis certains que la plupart méritent leur salaire. Mais plus on me le cache, plus on ne me le donne pas, et plus je me dis qu’ils veulent en protéger certains.

Le début de législature s’est déroulé sans grands remous du côté wallon. La situation budgétaire est-elle sous contrôle?

Chaque année, on s’éloigne de la prévision faite pour la trajectoire budgétaire. Prenons l’exemple le plus récent: 2014. Avant les élections, le ministre CDH André Antoine affirmait que les finances wallonnes étaient maîtrisées. Quelques jours avant le scrutin, il annonçait même 86 millions de boni. Au premier ajustement, nous en sommes à 496 millions de mali. C’est une différence de 600 millions! A nouveau, ce sera la faute de l’Europe, mais ce n’est pas nouveau, les normes SEC. J’ai interpellé le ministre Lacroix qui annonçait encore 223 millions supplémentaires. Après correction, ce sera peut-être 145.

En 2015, on nous annonce 450 millions de déficit, avec la volonté de tout faire pour être à l’équilibre en 2018. Ce n’est pas réaliste! Les Ecolos disent que cela va trop vite. Non! Selon nous, l’effort réalisé n’est pas suffisant.

Le Comité économique et social en Région wallonne affirme lui-même que l’on ne sera jamais à l’équilibre en 2018. Il fait trois scénarios, le troisième évoquant même le risque d’un mali d’un milliard en 2018, faute de mesures structurelles. C’est notamment dû au fait que les pouvoirs locaux dérapent: à nouveau, il y en a qui font des efforts et d’autres pas.

Le citoyen va-t-il souffrir?

Le budget wallon fait mal: réduction des titres-services, réduction des primes pour la rénovation des logements…

Il y a donc des mesures qui sont prises!

Oui, mais ce sont des mesurettes qui ne vont rien changer de façon structurelle. C’est un budget d’apothicaires: on gagne cinq millions, dix par là… Quand on décide de lisser les investissements, cela signifie que cela va faire mal à certains secteurs, dont celui de la construction au sens large.

On nous dit qu’il faut le temps de digérer la sixième réforme de l’Etat. Précisément: je suis très inquiet parce qu’il y a de nouvelles compétences qui arrivent en matière fiscale. Or, la télé-redevance est déjà tellement mal perçue, en raison de problèmes au sein de l’administration: on a notamment envoyé des courriers à 200 000 personnes alors qu’elles en étaient exonérées. Depuis janvier 2014, la Wallonie a la fiscalité automobile. Là aussi, on voit une série de couacs: il y a 90.000 personnes qui ont payé trop, à qui on arrive pas à rembourser. On m’a dit récemment que plus rien ne rentrait en matière de droits d’enregistrement parce que les systèmes informatiques ne sont pas compatibles.

Quand on dispose de l’autonomie fiscale, il y a lieu de mettre de l’ordre dans cette administration!

La FGTB a critiqué le manque de préparation de la Région en ce qui concerne les transferts de compétences. En toile de fond n’y a-t-il pas la volonté d’utiliser cette autonomie fiscale?

Je suis terriblement inquiet que ce gouvernement de gauche veuille faire contribuer la classe moyenne, en effet. On le voit comment? Ils annoncent une réduction du bonus logement de 5%, mais en affirmant que les riches le sentiraient plus que les autres. C’est quoi être riche? Gagner 50 000 ou 55 000 euros à deux sur l’année? Même chose pour les titres-services. Demain, si vous suivez les socialistes, ce sera la même chose avec les allocations familiales. Lacroix (NDLR : le ministre wallon PS du Budget) avait annoncé que l’on supprimerait la radio-télé redevance, puis il a fait marche arrière en disant que certains payeraient davantage, d’autres moins. Qu’est-ce que cela signifie?

Il n’y a rien d’écrit à ce sujet dans l’accord de gouvernement?

Non, rien de rien, nul. Mais on a senti cette intention dans les discours budgétaires.

Dans les faits, il se passe peu de choses. Le premier projet de décret découlant des transferts de compétences concerne les implantations commerciales et il m’inquiète, car c’est une usine à gaz. On complexifie tout le système de façon très marquée, en réduisant partiellement l’autonomie locale. Il y a aussi le Codt (Code du développement territorial) dont on parle depuis longtemps. Pour le reste, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent, c’est assez surréaliste. Quand on voit le nombre de réformes annoncées au fédéral…

Est-ce la responsabilité du ministre-président, Paul Magnette?

Il ne joue pas son rôle de capitaine et je me demande s’il en a vraiment envie. Il dit ne pas avoir été à Davos pour gérer ses dossiers, mais on le voit surtout à Charleroi! On a besoin d’un ministre-président à 300% pour la Wallonie, qui va visiter, rencontrer des gens… Lui, il fait une demi-visite qu’il médiatise, c’est tout. On ne sent pas d’enthousiasme ni d’ambition.

C’est un gouvernement qui ronronne, dans la continuité de la précédente législature, en mettant de côté quelques projets Ecolo, devenu soudain responsable de tout. C’est un gouvernement qui manque de responsabilité financière, mais aussi de vision pour la Wallonie. On me rétorque que je ne cesse de dresser un portrait noir de la Wallonie mais croyez-moi, je ne m’en réjouis pas.

Demain, la réponse de Christophe Lacroix, ministre wallon du Budget : « La situation budgétaire est très inquiétante » Dans Le Vif/L’Express de cette semaine, le dossier « Budget : le cancre wallon »

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