© Wikipedia

La véritable histoire du « Sanglier des Ardennes », ce barbu sanguinaire de la pire espèce

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Qui était vraiment Guillaume de La Marck, le protégé liégeois de Louis XI mieux connu sous le nom de « sanglier des Ardennes ». Etait-il vraiment ce barbare et assassin de la pire espèce?

Sa réputation à travers les siècles a largement dépassé son rôle historique. La faute aux chroniqueurs de son temps qui ont dépeint Guillaume de La Marck comme un barbare et un assassin de la pire espèce. Comme si cela ne suffisait pas, le romancier Walter Scott a, dans Quentin Durward (1823), popularisé l’image du barbu sanguinaire, véritable bête fauve surnommée « le Sanglier des Ardennes ».

En réalité, aucun de ses contemporains ne le surnomme ainsi. « Le sobriquet est réservé aux La Marck prénommés Evrard, en allemand Eberhart, ce qui signifie « fort comme un sanglier », précise le marquis Olivier de Trazegnies, auteur de la première biographie fouillée du personnage parue en 2008 (1). Ne nous leurrons pas : Guillaume fut un aventurier, le prototype même du cadet de bonne maison qui cherchait désespérément à se faire une place au soleil. Mais jamais un homme aussi subtil que le roi de France Louis XI n’aurait parié sur lui s’il n’avait fait montre d’intelligence, d’habileté, de culture et d’art de la parole. Sans fréquenter les grandes cours de l’époque, le sire de Lummen avait reçu, en son château familial d’Arenberg, une éducation suffisante pour se bien conduire dans les sphères les plus raffinées. L’ouverture de sa tombe, en 1674, a révélé qu’il était revêtu d’habits de soie rouge, avec des fleurs tissées dans l’étoffe, à la manière des élégants seigneurs de l’époque bourguignonne. »

Une barbe hirsute pour impressionner

Passionné d’histoire, l’auteur ne se prive pas dans son ouvrage de briser le mythe de l’assassin congénital, du soudard imbécile, du Barbe bleue des bords de Meuse. « Certes, Guillaume portait, pour impressionner, une barbe hirsute, dans un xve siècle finissant qui est celui des mentons glabres. Nul doute aussi que le personnage n’avait rien d’un dévot et tout d’un rapace. Avide de pouvoir et d’argent, il a maintes fois vendu les fiefs qui formaient son héritage pour les récupérer quand le vent tournait. Plus grave : en 1474, à Saint-Trond, alors que sa patrie gémissait sous la botte de Charles le Téméraire, il a tué, sans raison apparente, le vicaire général Troncillon, homme peu dangereux. Mais connaît-on tous les dessous de cette histoire ? »

Une certitude : Guillaume de La Marck n’a cessé de susciter des troubles, d’ourdir des intrigues et de traiter secrètement avec la France. Acoquiné avec l’ « universelle aragne » (Louis XI), il jetait la pagaille dans les arrière-cuisines des Bourguignons et de leur successeur, l’archiduc Maximilien. Pour ce chef de bande, ravager des fermes et des abbayes, détruire des récoltes et violer des filles dans les villages étaient des passe-temps bien plus délicieux que la chasse ou la bataille rangée. Son armée était un ramassis de brigands liégeois et de mercenaires suisses et gascons, tous vêtus d’un habit rouge avec, brodé sur la manche, une hure de sanglier.

Guillaume n’a dirigé qu’une seule grande bataille, à Hollogne-sur-Geer, face aux troupes brabançonnes envoyées contre lui par Maximilien. Un désastre pour « le Barbu », qui excellait dans les coups de main, mais dédaignait les règles les plus élémentaires de la stratégie. Il savait, en revanche, faire preuve de sens politique et s’est révélé habile à manier l’opinion. Devenu mambour de Liège, il a mis fin à l’anarchie et a réaffirmé la neutralité de la principauté. « Son autorité sur la ville, nullement exempte de cruauté, s’est exercée dans les normes d’une époque où l’exécution des voleurs et des ennemis politiques faisait partie des vertus civiques », signale encore Olivier de Trazegnies.

« Seigneur de Hornes, ma tête saignera longtemps ! »

Reste l’affaire délicate du meurtre du prince-évêque, le doux Louis de Bourbon, immortalisée dans un célèbre tableau de Delacroix. N’est-ce pas là un acte suffisamment monstrueux pour vouer aux gémonies le « saigneur et traître » ? La responsabilité de Guillaume dans la mort du prince est sujette à caution, estime le biographe : « La plupart des historiens ont un peu vite adopté le récit tragique de Jean Molinet. Accompagné d’une petite troupe, Louis de Bourbon se serait donc heurté, au petit bonheur la malchance, au Sanglier des Ardennes en personne, qui lui aurait tenu une conversation digne de Corneille. Blessé à la figure, le prince se serait jeté aux pieds du cruel et aurait supplié qu’on épargne sa vie. Avec un ricanement sinistre, le Barbu aurait sorti sa dague et tranché la gorge du malheureux. En réalité, aucun chroniqueur n’était présent au moulin de Wez, lieu de l’embuscade. Il a dû recevoir un coup fatal au cours du combat. Dans ces mêlées confuses, personne ne voit sur qui il frappe. »

Il n’empêche que la légende noire du seigneur de La Marck est née ce 30 août 1482. « Le compte rendu des faits, basé sur des récits de survivants, a été façonné en fonction des intérêts des adversaires de Guillaume, poursuit l’auteur. Certains chroniqueurs bien pensants prétendent ainsi que le corps du prince-évêque est resté trois jours dans le ruisseau, nu et pitoyable, sans que quiconque ose s’en soucier, par peur du nouveau maître de la principauté. En fait, Louis de Bourbon fut inhumé le lendemain de sa mort devant le grand autel de la cathédrale de Liège. »

Un ennemi de Guillaume, Jean de Hornes, qui a échappé à la tuerie, deviendra quelques années plus tard prince-évêque, se liera d’amitié avec le Barbu, avant de s’emparer de sa personne par traîtrise et de le faire exécuter à Maastricht. « Il fallait donc que les chroniqueurs à la solde de Jean de Hornes, le nouveau prince, justifient les agissements peu glorieux de cet évêque par l’abomination d’un monstre, Guillaume de La Marck », conclut l’auteur. Du haut de l’échafaud, le Sanglier des Ardennes aurait apostrophé le traître en criant : « Seigneur de Hornes, ma tête saignera longtemps ! » Une guerre civile atroce ravagera le pays de Liège pendant sept ans.

(1) Le Lis et le Sanglier. L’histoire fascinante du Sanglier des Ardennes, par Olivier de Trazegnies, les éditions de l’arbre, 571 p, 2008.

Cet article est paru dans le Vif L’Express du 17 octobre 2008.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire