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La suédoise, une certaine idée de l’asile

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

La suédoise sait tenir parole. Ce ne sera bientôt plus Noël pour les demandeurs d’asile, privés de cadeau fiscal sous le sapin. Pour en finir avec un abus ou une générosité budgétairement déplacée ? Johan Van Overtveldt (N-VA), ministre des Finances, n’en sait strictement rien. Mais c’est une question de principe. Point à la ligne.

Exécutant fidèle et scrupuleux de la feuille de route gouvernementale, Johan Van Overtveldt, (N-VA), ministre des Finances, passe à l’acte : les demandeurs d’asile dépourvus de revenus professionnels n’auront bientôt plus droit à des remboursements d’impôts.

Le raisonnement est construit, il a quelque chose de lumineux : par définition, un demandeur d’asile qui débarque en Belgique y séjourne de manière aussi précaire qu’incertaine, puisque son futur reste tributaire du sort à réserver à sa demande. Son inscription dans un registre d’attente, synonyme d’inscription dans le Registre national, entretient pourtant la fâcheuse impression qu’il aurait, aux yeux de la loi, élu domicile pour de bon en Belgique. Grossière erreur : le demandeur d’asile n’est jamais qu’un vrai faux habitant du Royaume, puisque incapable de pouvoir justifier d’un séjour durable en Belgique. Il mérite à ce titre d’être qualifié de non-résident et dépouillé, toujours à ce titre, de tout avantage fiscal. CQFD.

Le ministre des Finances se fait pédagogue : « Les demandeurs d’asile avec enfants à charge peuvent, dès leur arrivée en Belgique, entrer en considération pour le crédit d’impôt pour enfants à charge, sans obligation de travail en contrepartie. Cela signifie qu’ils peuvent ainsi recevoir de l’argent du fisc sans disposer de revenus imposables ou avoir payé d’impôt. » Une hérésie. Un scandale. L’équité devant le fisc, cheval de bataille de la suédoise (N-VA – MR – CD&V – Open VLD), exige de mettre fin à cette générosité déplacée. Et sans tarder : raison pour laquelle « le gouvernement demande l’urgence » au Parlement pour faire adopter la mesure.

Il y va, est-on en droit de s’alarmer, de la santé défaillante des finances publiques qui n’autorise plus d’atermoiements. Des milliers, voire des millions d’euros doivent être en jeu. On se surprend même à penser que la pratique doit être largement abusive pour qu’il doive y être mis fin au plus vite.

« Il faut quitter le terrain de la moralité pour se concentrer sur l’aspect fiscal »

Des chiffres, vite, histoire de prendre la mesure exacte de la dépense. Mais pour le coup, le ministre des Finances se retrouve bien démuni. Aucune analyse d’impact à brandir, pas le moindre indice du nombre de demandeurs d’asile bénéficiaires de cet avantage fiscal, pas la plus petite estimation d’une économie budgétaire escomptée. Juste la certitude que le fisc pourra s’épargner l’envoi annuel de 200.000 déclarations d’impôt (chiffre N-VA) aux demandeurs d’asile. Et l’intime conviction de Johan Van Overtveldt que la mesure incitera ceux-ci « à la participation au marché du travail » s’ils veulent encore mériter leur avantage fiscal.

Il faut être de l’opposition francophone, PS, CDH et Ecolo confondus, pour hurler à la mesure inutilement vexatoire, au procédé inacceptable et stigmatisant, à la posture idéologique. Pour s’offusquer du soupçon ainsi jeté sur les demandeurs d’asile présentés comme jouisseurs d’un avantage fiscal indu. Pour faire siennes les objections du Conseil d’Etat qui s’interroge sur la compatibilité du nouveau régime avec le principe d’égalité et renvoie déjà à la Cour constitutionnelle pour trancher un futur recours qui ne saurait tarder.

Mais on s’égare. Rob Van de Velde, député N-VA, a vite recadré bien comme il faut : « Il faut quitter le terrain de la moralité pour se concentrer sur l’aspect purement fiscal d’une mesure », d’ailleurs à l’agenda politique depuis 2008. Johan Van Overtveldt invite, lui aussi, à ne pas se tromper de débat : la mesure n’est en rien motivée par des considérations budgétaires et la suédoise n’en attend pas un kopeck pour son budget 2017. Elle n’est que la traduction « d’une décision de principe », punt aan de lijn. L’expression d’une certaine idée de l’asile. Bien dans l’air du temps.

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