Thierry Fiorilli

La suédoise et les dénis oui oui

Thierry Fiorilli Journaliste

Ah, les caprices du calendrier ! Cet après midi du 7 octobre, à Bruxelles, les concepteurs du gouvernement fédéral de centre-droit s’échinaient toujours à finaliser leur alliance. A huis-clos et dans un climat tendu, comme toujours dans les dernières heures avant la délivrance, au moment où les positions se durcissent.

Pendant ce temps, à 70 kilomètres de là, les dirigeants wallons et francophones de centre-gauche dévoilaient ce que Mons offrira l’an prochain, forte de son statut de capitale européenne de la Culture 2015. Devant les médias belges et internationaux, en meute, avec 3 000 personnes triées sur le volet et promettant les beaux jours pour toute la Région.

D’un côté donc, des stores baissés. Derrière, Charles Michel, Kris Peeters et Bart De Wever, notamment, entre guerre des nerfs et partie d’échecs. En tendant l’oreille, ils auront entendu des roulements de tambours, dehors : les invectives des uns et des autres pour cause de relèvement de l’âge de la pension inscrit dans la future déclaration de politique générale.

De l’autre côté, une nuée de projecteurs. Sur Elio Di Rupo, Paul Magnette et Joëlle Milquet, entre autres, la mine réjouie. En haussant le son du show, ils auront couvert les voix de ceux qui émettent des réserves, depuis un bon moment, sur le coût réel de Mons 2015, son utilité et ses véritables retombées économiques et financières.

Et rebelote ce jeudi 9 : à Bruxelles, l’accord du gouvernement conclu, les patrons de la suédoise coincent sur la répartition des rôles ; alors qu’à Namur, l’exécutif wallon présente son budget qui doit, selon toute logique, annoncer la douleur pour beaucoup, vu la politique de rigueur inévitable. Mais, au fédéral, on explique que les difficultés sont légitimes, puisque la configuration de cette coalition est inédite. Et au régional, on noie les mesures qui font mal en crachant son venant sur celles annoncées à l’échelon supérieur.

Ces épisodes concomitants résument plutôt bien la réalité belge d’aujourd’hui : le difficile accouchement d’un gouvernement fédéral, la présence en son sein d’un parti nationaliste surpuissant, des tensions internes évidentes (entre les quatre partis, au sein du MR et au sein de CD&V), l’indignation collective face à des mesures qui étaient pourtant inscrites dans les astres, l’absence de vraies révolutions (hormis l’éjection du PS) et la capacité extraordinaire des Wallons à présenter sous le meilleur jour la moindre de leurs initiatives, en dépit d’une situation générale loin d’être euphorisante.

Multiplier les discours, d’opposition ou d’autocélébration, reste plus confortable qu’agir pour anticiper les crises.

Ces épisodes illustrent donc, aussi et surtout, les clivages, voire les fractures, à l’oeuvre dans ce pays et qui le rongent de plus en plus : entre Flamands et francophones, entre gauche et droite, entre fédéral et entités fédérées, entre intérêts partisans et mise en place de politiques réclamées depuis des années. C’est assez pour empoisonner tout débat d’idées, même les plus indispensables, et tuer dans l’oeuf toute tentative de réformes, même les plus évidentes. Assez pour faire perdre leurs nerfs à beaucoup, qui, au moindre tabou effleuré, considèrent comme mensonge, trahison ou contradiction inacceptable un changement d’opinion, une modification de cap ou une concession accordée au partenaire (comme dans n’importe quelle démocratie digne de ce nom).

Comme si, décidément, un dirigeant politique devait pour toujours ne faire qu’un et un seul avec des propos tenus précédemment. Comme si rien n’évoluait. Comme si nécessité ne faisait jamais loi. Comme si ce qui était impensable hier ne pouvait jamais apparaître aujourd’hui comme inexorable. On vit bel et bien une époque où le déni est roi. A tous les échelons de la société.

Dans ce contexte-là, multiplier les discours, d’opposition ou d’autocélébration, reste beaucoup plus confortable qu’agir réellement pour tenter de trouver des parades aux crises. Mieux : pour les anticiper.

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