Thierry Fiorilli

La « suédoise », en toute méfiance

Thierry Fiorilli Journaliste

Les partis de la « suédoise » s’apparentent à quatre notables ayant ourdi l’assassinat de l’empereur et qui avancent depuis dos collé au mur, de peur d’être le prochain poignardé par l’un des trois autres. Ou les trois à la fois.

Une manifestation syndicale nationale, en guise de coup de semonce, contre un gouvernement fédéral même pas encore formé.

Des négociations qui semblent prendre plus de temps que prévu, au sein de la coalition d’où émanera ce prochain exécutif.

Une opposition francophone puissante, parce qu’elle sera le fait du premier parti en Wallonie et à Bruxelles et des gouvernements de ces deux Régions.

Des impératifs budgétaires qui annoncent la douleur collective et risquent d’empêcher la constitution d’un véritable nouveau projet de société, tant ils confinent au sacrificiel.

Une réalité internationale houleuse, entre morosité socio-économique et affrontements communautaires de plus en plus féroces…

L’existence de la u0022suédoiseu0022 s’annonce aussi tranquille qu’une partie de Colin-maillard dans un champ de mines

Bref : la suédoise, toujours en gestation, sait que sa naissance et son existence s’avèreront aussi tranquilles qu’une partie de Colin-maillard organisée dans un champ de mines.

L’affaire se présente d’autant plus difficilement que les intérêts communs ayant permis de former une nouvelle majorité sont contrebalancés par la méfiance réciproque qui s’y est installée. C’est ce qui explique sa difficulté à boucler deux chantiers majeurs : le budget et la composition de l’équipe.

La N-VA se méfie du MR, du CD&V et de l’Open VLD parce qu’elle redoute un piège tendu par ses trois partenaires : lui faire perdre au fédéral « sa virginité radicale ». Son âme, en fait. Voilà pourquoi Bart De Wever entend rester, personnellement, en dehors du gouvernement, alors que les autres poussent pour qu’il y monte. Le CD&V se méfie de l’Open VLD et de la N-VA, aux visages droitiers clairs. Or, il doit choyer son aile gauche démocrate- chrétienne qui pourrait être tentée par l’opposition SP.A et Groen. Détail ? Pas vraiment : l’échiquier politique est désormais un vaste centre commercial où chaque parti est devenu boutique, puisque l’électeur se comporte toujours davantage comme un acheteur. Et à ce titre, il change toujours plus rapidement d’enseigne si l’offre, en termes de produits et de prix, ne le satisfait plus. Pas question donc de brader la clientèle.

L’Open VLD, lui, se méfie de la N-VA, avide de lui siphonner les quelques troupes qui lui sont restées fidèles. Enfin, le MR, seul francophone au milieu d’un triumvirat flamand, se méfie tant du CD&V, maître du double jeu depuis la campagne électorale, que de la N-VA évidemment, soupçonnée de vouloir saper l’Etat honni depuis l’intérieur.

Crûment dit : en voilà quatre qui ont tous d’excellentes raisons de se féliciter d’être débarrassés des socialistes, omniprésents depuis un quart de siècle, mais qui, après avoir dansé autour de la tombe de l’ennemi, sont sur le qui-vive permanent. Un peu comme quatre notables ayant ourdi l’assassinat de l’empereur et qui avancent depuis dos collé au mur, de peur d’être le prochain poignardé par l’un des trois autres. Ou les trois à la fois.

Cette méfiance généralisée n’empêchera pas la mise sur pied, d’ici peu, d’un gouvernement historique. Mais elle ne lui facilitera aucune de ses innombrables tâches, déjà titanesques. De quoi, peut-être, confirmer les affirmations de Nicolas Baygert, professeur de communication politique, telles qu’il nous les livre en pages intérieures de ce numéro : « Nous sommes dans des séquences politiques de plus en plus brèves. Et les leaders politiques, qui sont devenus des individus-marques, auront une durée de vie assez courte. » Le temps presse, donc. Pour tout le monde.

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