Bart De Wever © Belga

La solitude de Bart De Wever: quel avenir pour la N-VA?

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

En 2018, Bart De Wever devra se débrouiller seul. Ses successeurs, tels que Jan Jambon ou Theo Francken, ne sont pas suffisamment prêts pour porter le poids d’élections communales de première importance. De Wever est et reste le chef, l’idéologue, le tacticien et le visage de la N-VA – et la tête de Turc préférée de tous les autres partis. Il a déjà acquis sa place dans l’histoire. Que peut-il encore obtenir ? Reconstruction d’une crise de la quarantaine politique.

L’histoire, c’est par là que tout commence chez les De Wever. C’est l’histoire flamande qui a fait d’eux ce qu’ils sont. Après la Seconde Guerre mondiale, le grand-père, Leon De Wever, est incarcéré plusieurs mois au Fort de Berchem pour avoir été administrateur de la Ligue nationale flamande (VNV) collaboratrice. L’ancien directeur d’école perd ses droits civiques et doit gagner sa vie comme démarcheur. Du coup, le père, Rik De Wever, cheminot de profession, devient aussi nationaliste flamand. Il est militant à la Volksunie, et pendant quelque temps il est même membre du Vlaamse Militanten Orde (VMO), un groupe d’action condamné (et dissous) plus tard en tant que milice privée. La famille De Wever habite un appartement modeste au-dessus du local de l’Alliance de la Jeunesse nationale-flamande (VNJ) à Berchem. Rik De Wever est un des responsables, ses enfants portent la chemise grise et la cravate orange qui distingue les membres du VNJ des autres mouvements de jeunesse. On les emmène à des fêtes de chant, aux Pèlerinages de l’Yser et à toutes sortes de manifestations. À trois ans, Bart De Wever accompagne déjà son père à une manifestation pour la scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde.

Les fils Bruno et Bart De Wever choisissent leur propre voie, mais elles ne diffèrent pas vraiment. Bruno De Wever part à l’Université de Gand et brise avec le nationalisme flamand de son enfance : au lieu de militer pour le mouvement, il l’étudie. Son mémoire de licence sur les combattants flamands au front de l’est est rapidement publié sous forme de livre. Depuis, Bruno De Wever est l’un des historiens qui font le plus autorité sur le rôle et la place du Mouvement flamand pendant l’entre-deux-guerres et la Seconde Guerre mondiale.

Son plus jeune frère, Bart, a plus de mal à trouver sa voie. Récemment, il s’est confié sur ses années dépressives sur Radio 1. Mais il marche sur les traces de son père et reste actif dans le Mouvement flamand. Il s’affilie également à la Volksunie et rejoint l’Union estudiantine catholique flamande (KVHV, Katholiek Vlaams Hoogstudentenverbond), où il devient rédacteur en chef de la feuille Ons Leven.

Déjà à cette époque, la vie distribue des coups : en 1996, son père meurt, après une longue maladie. Bart De Wever raconte comment, étudiant, il a téléphoné chez lui d’une cabine téléphonique, parce qu’il savait que son père avait subi des examens à l’hôpital. Il a fallu plusieurs à minutes à son père pour prononcer un mot, et De Wever a dû glisser les pièces de monnaie l’une après l’autre dans appareil avant que son père soit capable de lui raconter ce qui n’allait pas. Tant de peine, d’angoisse et de tristesse pour prononcer le mot en c. À Louvain, le local du KVHV deviendra son second domicile.

Trop à droite

À l’époque, Bart De Wever est nettement plus radical qu’il ne l’admet aujourd’hui. Selon Humo, le président N-VA a failli être congédié de son poste de rédacteur en chef d’Ons Leven parce qu’on le trouvait trop radical : il y avait un groupe qui trouvait important que le Mouvement flamand prenne le pouvoir en Belgique, et l’aile plus radicale de Bart De Wever qui souhaitait uniquement l’indépendance de la Flandre.

Tout comme son frère Bruno, Bart De Wever étudie l’histoire, d’abord à Anvers et puis à Louvain. En tant que jeune historien, Bart De Wever participe à la rédaction de l’Encyclopedie van de Vlaamse Beweging (Encyclopédie du Mouvement flamand), parue en 1998.

Maître Schiltz

Entre-temps, Bart De Wever franchit la première étape de sa carrière politique : en 1996, il est élu membre du conseil de district pour la Volksunie à Berchem. À cette époque, les Anversois qui voulaient faire carrière dans ce parti ne pouvaient ignorer Hugo Schiltz (1927-2008).

Schilz était un antiséparatiste qui comprenait que la Belgique (et donc la Flandre) ne pouvait être réformée qu’avec les francophones. « Affirmer que la Belgique doit être administrée par la majorité flamande et que la majorité de francophones de 40% n’a qu’à acquiescer témoigne d’un mépris singulier pour les problèmes de société d’états plurinationaux et d’une exaltation brutale de la loi du plus fort », écrit Schiltz dans un pamphlet paru en 1990.

De Slimste Mens

En janvier 2005, il est président de la N-VA depuis moins d’un an, il décide d’enquiquiner les Wallons en éparpillant des camions de faux billets au pied de l’ascenseur à bateaux de Strépy. Jamais encore, un Flamand n’a autant retourné le couteau dans la plaie de l’opinion publique wallonne. Les politiciens tels que Luc Van den Brande (CD&V) et Gerolf Annemans (VB) ont frappé les transferts d’anathèmes tout au long de leur carrière politique pour ne récolter que des haussements d’épaules de la part des francophones. Il suffit à Bart De Wever d’organiser une seule action pour les toucher au vif. C’est le but aussi : c’était la seule façon pour l’ancien séparatiste du KVHV de prouver que le premier article des statuts de la N-VA, à savoir que le parti aspire à une république flamande indépendante, pourrait bien être sérieux.

Sa carrière se poursuit. En 2006 et 2008, personne ne peut lutter contre le bon gros dont l’émission De Slimste Mens ter Wereld ne dévoile pas uniquement le côté intellectuel obsédé par les Romains, mais aussi l’intelligence et l’humour. La vie De Wever fait la une de l’actualité politique. Il maigrit grâce à la méthode PronoKal et participe au Ten Miles d’Anvers.

Beaucoup sont agacés par son passage à la remise des « Étoiles de la télévision flamande » déguisé en panda, mais ses sympathisants acceptent tout de l’homme que ses opposants (et certains membres du parti) appellent le Grand Leader. VTM et VRT adorent De Wever, peu importe que ce soit une émission politique ou un format plus frivole : il n’a qu’à choisir. Et c’est ce qu’il fait, au désespoir des médias qui se trouvent sur sa liste noire, le quotidien De Standaard en tête.

Erdogan

Il ne faut pas être politologue pour constater que la N-VA a repris le rôle du CVP comme premier parti populaire flamand. Même la base sociologique est la même. Électoralement, la N-VA est plus forte en banlieue et dans les lotissements. Les villes sont même son talon d’Achille. Avec un peu d’imagination, on peut coller les noms de coryphées du CVP sur ceux de la N-VA. Geert Bourgeois dans le rôle de Gaston Geens. Johan Van Overtveldt comme le nouveau Mark Eyskens. Ben Weyts comme Luc Van den Brande. Koen Daniëls comme Daniël Coens. Liesbeth Homans comme Miet Smet. Il n’y a que pour Bart De Wever pour qui il est difficile de trouver un pendant. Leo Tindemans ? Deux Anversois, deux Européens conservateurs, deux faiseurs de voix, deux hommes qui promettaient le changement.

Cependant, Tindemans n’a jamais pu réaliser ses ambitions. On ignore encore quel sera le destin et surtout l’importance de Bart De Wever. Il dirige toujours le parti, et même depuis la dissidence de Hendrik Vuye et Veerle Wouters, son autorité est intacte. Deux ans et demi après la formation des gouvernements « suédois » en 2014, il peut se permettre de ne pas convoquer un seul congrès de parti. Aujourd’hui, il y a peu d’opposition dans les organes du parti que De Wever n’a pas en main. D’accord, le conseil du parti a parfois l’audace de désigner un trésorier qui n’était pas son premier choix, et le porte-parole Joachim Polman a une telle emprise sur la communication qu’elle blesse parfois même les membres du gouvernement. Mais si c’est là le niveau de la dissidence interne et de l’insatisfaction, le président turc Recep Tayyip Erdogan a de plus gros problèmes dans son parti AK que Bart De Wever dans sa N-VA.

Mais que fait De Wever de son autorité, de ses voix et de tout son pouvoir? Pour De Wever aussi, le parti et le pouvoir politique sont plus importants que le Mouvement flamand et ses utopies nationalistes. C’est là un gros point en commun avec Hugo Schiltz. Et tout comme Schiltz a compris un jour que la Flandre ne pouvait se passer de la Belgique, De Wever et les N-VA autour de lui ont appris à vivre avec le « fait belge ». Mais contrairement à Schiltz, il ose utiliser sa force musculaire et humilier les francophones. Cette fois, plus à coup de faux billets, mais par la force : seul le MR a le droit de participer au « gouvernement De Wever », même s’il est inscrit officiellement sous le nom de gouvernement Michel.

« Étudiant, De Wever pensait déjà à sa place dans l’histoire », déclarent d’anciens membres du KVHV. Depuis longtemps, il s’est emparé de cette place dans la politique flamande: les historiens se battront pour écrire son entrée dans la troisième Encyclopédie du mouvement flamand. Mais quel sera leur jugement sur le rôle de Bart De Wever dans le système belge, ou son influence sur la société flamande ? Son parti fera-t-il exploser ce pays ? La N-VA fera-t-elle progresser l’économie, assainir les finances publiques, imposera-t-elle les normes et les valeurs pour remettre le pays sur la carte de l’Europe ? Et quid du bonheur brut national ? De Wever, et la N-VA par extension, y penseraient-ils souvent ?

Où est-ce l’ordre du jour qui s’applique? La N-VA détermine la politique nationale, et Bart De Wever se trouve au-dessus de la mêlée. « Bart est seul », a confié Siegfried Bracke récemment à Humo.

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