Thierry Fiorilli

La sale ère de la peur

Thierry Fiorilli Journaliste

Notre grande et illustre voisine serait donc en plein burn-out. La France ne s’aime plus. Les Français n’aiment plus personne. Ni leur président, ni leur Premier ministre, ni leur équipe de football, ni les Roms, ni leurs riches, ni l’Europe, ni leur presse. Outre-Quiévrain, on n’aime plus rien.

Et cette déprime, grandissante, nourrit une colère, de plus en plus libérée. On commence par ruminer ses désillusions, puis on crache son fiel, on s’exile, on expulse, on s’attaque, on se déchire, on vire extrême. Au chevet du grand corps malade, les médecins diagnostiquent une défiance généralisée – envers la politique, l’économie, la justice, la police, l’école, l’employeur, les syndicats… – et un sentiment enflant comme une tumeur maligne : la peur. De l’invasion étrangère, de l’islam, de l’agression, d’être contraint soit de travailler jusqu’à la fin de ses jours soit de tabler sur une pension misérable.

Les mêmes craintes prolifèrent chez nous. Mais elles n’ont jusqu’ici pas généré tous les mêmes comportements. Les gouvernants n’ont pas sombré dans les baromètres de popularité, l’équipe nationale de football est adulée et, dans la partie francophone du pays, le vote d’extrême droite n’apparaît toujours pas comme un recours très sérieux.

Pour autant, la défiance et la peur se sont bel et bien installées, ici aussi. Avec les mêmes cibles et les mêmes sources. La plupart des décisions prises par l’autorité, du fédéral à l’échelon communal, sont dictées par ce double état d’esprit, bien davantage que par une vision sociétale à long terme. Conséquence : la conviction de plus en plus répandue qu’on assiste à la faillite d’un système social, économique, moral et politique. L’éjection de Didier Bellens, la semaine dernière, n’en est qu’un des derniers exemples en date : le patron de Belgacom a sauté sous la pression de cette nouvelle forme de politiquement correct qui veut qu’un chef d’entreprise publique doit afficher un profil bas, en termes de salaire, de communication et de postures envers ses employés. Même si, par ailleurs, son bilan financier est excellent.

Cette nouvelle « éthique » est censée répondre à l’indignation populaire, toujours plus exacerbée dès lors qu’il est question des comptes et des comportements des « puissants », de « diktats » venus évidemment « d’en haut ». Les réseaux sociaux charriant et amplifiant le vacarme de la contestation, on assiste dès lors à un enchaînement presque immuable des événements : un parti d’opposition ou un média découvre ou révèle « une affaire », la vox populi se déchaîne urbi et orbi, les attaques politiques et les emballements médiatiques se renforcent et les gouvernements réagissent : en rabotant une dotation, en supprimant une indemnité, en limogeant, en traquant tout ce qui ressemble à un fraudeur, un illégal, un profiteur, un arrogant, un trublion.

A un point tel que certains élus, dont la réelle représentativité de la population est déjà de plus en plus mise en doute, se considèrent « débordés » par les opinions déversées sur les réseaux sociaux. Au point de s’interroger sur leur propre utilité, entre chambre d’entérinement de ce que les partis ont décidé en bureau et caisse de résonnance de ce que l’individu, pas forcément électeur, a hurlé dans son mégaphone hyperconnecté.

On observe alors une étrange ère, toute en crispations, aussi légitimes que compréhensibles. Qui gagnent tous les étages de l’Etat. Et dessinant une société qui apparaît au citoyen comme n’étant plus contrôlée par personne. Donc perméable à tous les périls. Donc alimentant d’autant plus toutes les peurs.

Nous verrons dans six mois les formes qu’elles ont auront prises en Belgique, une fois le dépouillement des bulletins effectué.

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