Peter Mertens

La résistance est partout, le gouvernement « marchand de sable » vacille

Peter Mertens Président du PTB

« Si la population se montre patiente, tout va s’arranger ». Le propos vient de Bart De Wever qui nous raconte des histoires pour nous endormir. Heureusement, la population ne semble pas répondre à l’appel du marchand de sable. La manifestation de ce 24 mai n’est que le début d’une nouvelle vague de résistance sociale, pour que l’espoir l’emporte sur le désespoir.

A la rue de la Loi, le caquetage devient peu à peu assourdissant. Les présidents des partis de la majorité trébuchent les uns sur les autres pour lancer des déclarations sur un État défaillant. Les très mauvais sondages pour les partis au gouvernement et la résistance sociale qui ressurgit n’y sont pas étrangers. Que nous apprend le sondage publié fin mai ? Que, dans la population, le mécontentement est très grand. Si des élections devaient se dérouler maintenant, les partis au gouvernement perdraient leur majorité. Parmi les travailleurs et dans beaucoup de quartiers populaires, ce gouvernement n’avait déjà plus de majorité. Désormais, il n’en aurait plus non plus au Parlement. Les partis au gouvernement perdent ensemble pas moins de 21 sièges, soit un manque de 12 sièges pour atteindre une majorité. Un grand groupe d’électeurs de la N-VA retourne au Vlaams Belang. La N-VA perd 9 sièges, le VB en gagne 9, ce sont donc des vases communicants. De son côté, le PTB gagne 8 sièges à la Chambre, passant de 2 à 10 et multipliant ainsi son nombre de sièges cinq – avec sept sièges pour la Wallonie, un pour Bruxelles, et, pour la première fois, deux pour la Flandre. En Flandre, la N-VA, l’Open VLD et, surtout, le CD&V, céderaient sept sièges à Groen, au sp.a et au PTB. La gauche regagnerait donc du terrain sur la droite.

Il y a bien plus de mécontentement sur les mesures du gouvernement que sur les syndicats

Le sondage ne portait pas seulement sur le comportement électoral, mais aussi sur quelques autres thèmes. Il indique également qu’une majorité des électeurs de l’Open VLD et du CD&V soutiennent les actions annoncées par les syndicats. Cela signifie que deux électeurs sur trois des partis flamands au pouvoir sont bien plus mécontents des mesures du gouvernement que des syndicats. Pour le dire autrement : il y a dans la base de certains partis au pouvoir bien plus de colère sur la failed coalition (coalition défaillante) que sur les soi-disant failed unions (des « syndicats défaillants », comme l’a dit le président de l’organisation patronale VOKA).

Dommage pour le président du VOKA, Paul Kumpen, qui tentait encore tout récemment de présenter les syndicats comme la cause de la faillite du pays, mais c’est un fait : la plupart des gens comprennent que le syndicat constitue le plus important défenseur des intérêts collectifs de la classe des travailleurs dans notre pays. Sur une population professionnellement active de 4,5 millions de personnes, les syndicats représentent 3 millions de travailleurs. Une récente enquête de la KUL indique que trois quarts des électeurs flamands (75%) et quatre cinquièmes des francophones (81%) trouvent les syndicats « nécessaires » pour défendre les droits sociaux. Plus de deux tiers des francophones (68%) et plus de la moitié des Flamands (57%) estiment que la justice ne peut pas interdire les grèves. Et trois quarts des francophones (75%) et près de deux tiers des Flamands (64%) estiment le droit de grève essentiel. Comme l’écrivait récemment Joël De Ceulaer, journaliste au Morgen : « Il est insensé de suivre aveuglément ce courant qui monte l’opinion contre les syndicats et les grévistes. Si le droit de grève était limité, plus que jamais les travailleurs les plus faibles seraient absolument sans défense. »

La manifestation de ce 24 mai n’est que le début d’une nouvelle vague de résistance sociale

En 2014, Bart De Wever annonçait avec force roulements de tambour que le tax-shift augmenterait le pouvoir d’achat des gens. Aujourd’hui, il n’y a guère que 7% de la population qui croit encore cela, même pas une personne sur dix. Les gens ont bien saisi que le plan Peeters pour la réinstauration de la semaine de 45 heures leur est tout sauf favorable. Ce plan n’apporte qu’un allongement et une flexibilisation du temps de travail. Les organisations de femmes comme Vie Féminine ou Femma, des dizaines d’organisations de jeunes, les mouvements citoyens comme Tout Autre Chose et Hart boven Hard et de nombreuses autres organisations sociales s’expriment vivement contre ces mesures. En très peu de temps, la pétition contre la loi Peeters a récolté plus de 15 000 signatures (http://www.loipeeterswet.be/).

Dans le secteur de la justice, tout le monde sait que les économies linéaires qui sont imposées ne sont plus tenables. Même le premier président de la Cour de cassation a fait du petit bois de la politique du gouvernement, déclarant que « la politique de restrictions budgétaires du gouvernement fédéral incite l’administration de la Justice à désobéir à la loi et risque d’assimiler la Belgique à un Etat voyou. » Ce 24 mai, 80 000 personnes étaient à nouveau dans les rues de Bruxelles pour dire stop à la politique d’austérité, et ce n’est que le début d’une nouvelle vague de résistance sociale, qui se poursuivra en septembre et en octobre.

Le prétendu « État défaillant », c’est l’anorexie suite à un régime de famine

On ne peut pas faire fonctionner la justice sans greffiers, sans juges d’instruction. On ne peut pas organiser l’enseignement sans enseignants nombreux et motivés, les soins de santé sans personnel soignant, ni les transports publics sans conducteurs de train et chauffeurs de tram. Pour que notre État puisse fonctionner à la mesure des gens, nous avons besoin de facteurs, de personnel infirmier, de puéricultrices, de chercheurs, d’aides-soignants, d’agents de police et d’encore bien d’autres. Et, donc, il faut investir, au lieu de suivre le chant des sirènes néolibéral sur un État « dégraissé ». Le prétendu failed state n’est rien d’autre que la conséquence du régime de famine imposé à l’État par les néolibéraux dogmatiques. La conséquence, c’est une anorexie que nous ressentons partout.

Le philosophe américain Noam Chomsky a écrit que, pour privatiser un service public, il suffisait de prendre des mesures inefficaces, ou de ne pas en prendre du tout, et d’attendre que la population soit en colère contre les services publics – sous-financés – afin de les octroyer ensuite au privé. Ce processus est en cours dans les chemins de fer, chez Proximus, et peut-être même dans les prisons. Et, donc, une fois de plus, les travailleurs du secteur public réagissent. Pas tant pour eux-mêmes que pour une société démocratique moderne, avec des services publics forts.

Un « État fort » pour le « big business », contre un « État défaillant » pour les « gens ordinaires »

Alors que les partis politiques continuent à se chamailler, les bonzes de l’industrie s’invitent dans le débat pour demander une nouvelle politique énergique. Ils exigent un « État fort », taillé sur mesure pour les plus grandes entreprises. Cela signifie : une nouvelle tournée de baisse des charges salariales aux dépens de la sécurité sociale, une nouvelle baisse de l’impôt des sociétés, encore davantage de privatisations dans les services publics, et la restriction du pouvoir syndical. Selon ces top-entrepreneurs éclairés, il faut également améliorer le réseau d’énergie et celui des transports. Améliorer ces réseaux pour la grande industrie, s’entend. Un « État fort » pour le « big business », contre un « État défaillant » pour les « gens ordinaires », en résumé.

Ce sont de vieilles recettes, qui datent du siècle passé. Cela rappelle quelque peu l’Italie des années 1990, lorsque les industriels derrière Fininvest ont utilisé la crise politique pour appeler à un « vrai leadership » d’un gouvernement de technocrates. Ils ont été au berceau de l’ère Berlusconi, qui, avec son Forza Italia, a tout simplement fait monter la corruption à un niveau encore supérieur. En finir avec les services publics, en finir avec les syndicats et en finir avec la justice : ce sont des éléments berlusconiens. L’Italie ne s’en est pas portée mieux, et elle se trouve toujours au fond du cratère européen.

L’appel du marchand de sable De Wever : nous raconter des histoires pour nous endormir

« Le gouvernement fédéral n’est pas sur la bonne voie », « il n’y a pas assez de consensus et nous montrons trop peu d’ambition », a déclaré Bart De Wever, le Premier ministre de l’ombre, qui a appelé à « plus d’unité pour appliquer l’accord de gouvernement » et nous a demandé d’être patients, tentant d’apaiser les esprits en déclarant que « le résultat final ne sera visible qu’en 2019 ». Selon lui, si la population se montre patiente, tout va s’arranger. Ou comment nous raconter des histoires pour nous endormir.

Heureusement, la population n’a pas l’air d’être séduite par le discours du marchand de sable. La résistance s’amplifie. Pas seulement dans notre pays, pas seulement en France, où cela fait des semaines que des centaines de milliers de personnes sont mobilisées, mais sur tout le continent. Le dimanche 22 mai, le réalisateur Ken Loach décrochait la Palme d’or au festival de Cannes pour son nouveau film, I, Daniel Blake. Lorsqu’il a pris la parole sur le podium en recevant son prix, Ken Loach a déclaré : « Le monde se trouve dans une situation dangereuse. Nous sommes dans un projet d’austérité conduit par des idées néolibérales qui risquent de nous mener à la catastrophe. Ces pratiques ont plongé des millions de personnes dans la misère, de la Grèce au Portugal, avec une petite minorité qui s’enrichit de manière honteuse. (…) Nous approchons de périodes de désespoir. Et le désespoir, c’est l’extrême-droite qui en profite. Certains d’entre nous sont assez âgés pour se rappeler ce que ça a pu donner. Nous devons dire qu’un autre monde est nécessaire, et possible. » C’est le message des manifestants du 24 mai, c’est le message des nouveaux mouvements sociaux qui luttent partout sur le continent.

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