Bart De Wever © BELGA

« La propagande de la N-VA dépasse de loin celle des autres partis »

Le Vif

L’historien et professeur d’histoire Paul Van Damme vient de publier « Propaganda in België » (1934-1951). Il y étudie près de vingt ans de propagande politique au cours d’une période turbulente de l’histoire belge. Pour lui, « la propagande est un moyen d’obtenir gain de cause, sans nécessairement avoir raison. C’est un moyen de conquérir le coeur des gens et de répandre ses idées. »

« Une bonne propagande est une propagande qui fonctionne », affirmait Joseph Goebbels, le ministre de la propagande du régime nazi. L’homme était petit, traînait du pied et avait le visage grêlé. Et pourtant, il arrivait à se faire passer pour un surhomme et à vendre le nazisme destructeur comme solution à presque tous les problèmes du monde. Non, Goebbels n’avait pas de leçons à recevoir en matière de techniques de propagande.

L’historien et professeur d’histoire Paul Van Damme non plus. Il vient de publier « Propaganda in België » (1934-1951), un livre richement illustré. Il y étudie près de vingt ans de propagande politique au cours d’une période turbulente de l’histoire belge. Van Damme est d’accord avec Goebbels, même s’il ne déborde pas d’enthousiasme. « La propagande est un moyen d’obtenir gain de cause, sans nécessairement avoir raison. C’est un moyen de conquérir le coeur des gens et de répandre ses idées. »

Il est facile d’expliquer que le ministre nazi Goebbels ait été si doué, déclare Van Damme: « Avec la propagande, le but justifie les moyens. Les principes moraux sont écartés, ce que les nazis ont fait sans scrupules ». Dans son livre, il énumère dix techniques de base, parmi lesquelles la répétition, jouer sur les émotions, renforcer le sentiment de groupe, créer un ennemi et fabriquer une vérité personnelle. Il se lit comme un manuel à l’endoctrinement. Van Damme: « Mentir, diaboliser et jouer sur les émotions fonctionnent indéniablement pour convaincre. Mais ça reste tricher. « Celui qui ne regarderait que les images de mon livre sans lire raterait ce qui compte vraiment. Je ne demande pas au lecteur de croire ce qui est sur les affiches et sur les cartoons. Je veux l’aider à comprendre leur but. Prenez les deux boîtes à biscuits qui me permettent d’expliquer mon point de départ. Sur une boîte à biscuits de 1934, le roi Léopold III est représenté comme l’un des dirigeants de l’époque: fièrement assis à cheval, saluant l’armée. Sept ans plus tard, en 1951, son fils Baudouin a l’air un peu benêt sur la photo. Cela montre clairement à quel point le leadership était moins prisé. Ces deux images en disent long sur leur époque. »

© Amsab-Instituut voor Sociale Geschiedenis

Commençons par un exemple impressionnant de propagande: Signal, un magazine allemand destiné aux pays occupés pendant la Seconde Guerre mondiale.

Paul Van Damme: Signal était inégalé. Dès la première édition, il est publié en couleur, dans vingt pays et en quatre langues: allemand, français, anglais et italien. Rien que le nom prouvait leur succès. Signal a une signification et une orthographe presque identiques dans les quatre langues. À son apogée, en 1943, on imprimait 2,5 millions d’exemplaires. Il y avait aussi une édition néerlandophone, tirée au nombre impressionnant de 100 000 exemplaires. Jusqu’à aujourd’hui, on trouve Signal assez facilement sur les marchés aux puces. Le fait que les gens l’aient gardé prouve à quel point la revue impressionnait.

Quel était l’état la presse clandestine durant les années de guerre?

C’était une souris face à un éléphant. Il y avait beaucoup de titres, plus de 675, mais leur périodicité et leurs tirages étaient beaucoup plus bas. Certains ne sont pas sortis plus de deux fois, à 100 exemplaires tout au plus, et ils n’étaient pas imprimés, mais polycopiés, ou même manuscrits. La Libre Belgique était une exception. Ce journal de résistance était imprimé sur du vrai papier journal et culminait à 30 000 exemplaires par édition. Et l’engagement dans la presse clandestine n’était pas évident. La Libre Belgique a enterré 176 employés. En tout, 1650 membres de la résistance ont perdu la vie au cours d’activités de presse clandestine.

La propagande cible la foule, écrivez-vous. Il y avait un nombre étonnant de personnes présentes aux réunions politiques à l’époque: en 1936, le leader du Rex, Léon Degrelle, a rempli le Sportpaleis d’Anvers six jours de suite. Six fois 10 000 à 15 000 personnes par jour: comment a-t-il fait?

N’oubliez pas que dans les années trente il y avait peu de loisirs. Les politiciens faisaient ce que les organisateurs de festival font aujourd’hui: ils ont fait de vrais spectacles de masse de leurs réunions. Il y avait des revues, des pièces de théâtre et des discours excitants. Et, très important, le public était impliqué, avec des chants et des défilés. On ne s’ennuyait pas une seconde.

© Letterenhuis, Antwerpen.

Une histoire peu connue de la Seconde Guerre mondiale est celle des « déportés de 1940 ». Tant les collaborateurs que l’État belge y ont puisé de la propagande. Comment est-ce possible?

En 1940, le gouvernement belge a expulsé entre 8 000 et 10 000 personnes soupçonnées d’activités menaçant l’État dans les camps pénitentiaires français. Beaucoup de nationalistes flamands, de verdinasos, de rexistes et de communistes, mais aussi au moins 4400 juifs allemands. Bien qu’ils fuyaient les nazis en Belgique, ils étaient considérés comme un danger pour l’État en raison de leur nationalité. Lorsque les germanophiles ont été libérés après seulement quelques mois, ils ont utilisé l’histoire de leur enfermement pour justifier leur collaboration. Ce qu’ils ont ‘oublié’, c’est que les Juifs, qui avaient été lésés de la même manière, n’avaient pas été libérés. Au contraire, deux ans plus tard, ils ont été transportés dans des camps de concentration allemands. Beaucoup moins de personnes sont revenues de ces voyages en train.

Mais ceux qui sont revenus ont été impliqués dans la propagande. De l’État belge.

C’est exact. Dès la Libération, les commémorations des « déportés de 1940 » se sont arrêtées et les prisonniers politiques belges et les juifs libérés ont été conduits à travers les rues dans des voitures ouvertes. Le fait que certains d’entre eux avaient été mis sur des trains cinq ans auparavant par la Belgique était également « oublié ». Les deux parties ont utilisé l’histoire. Pendant la guerre, la collaboration a commémoré ses victimes, après la guerre, la Belgique a commémoré les victimes des camps nazis. Les collaborateurs ont « oublié » les victimes juives, la Belgique « a oublié » qu’elle avait déporté les Juifs allemands. Étonnamment, leur propagande était très similaire, avec des publications sanglantes.

© Miniaturen: Collectie Paul van Damme

En lisant votre livre, on peut se demander s’il est vrai que la politique est plus brutale aujourd’hui. L’Open VLD oserait-il qualifier un plan économique du sp.a de « Vodden en beenen » (NDLT : expression très péjorative, un squelette vêtu de vieux vêtements déchirés), comme l’a fait le Parti libéral à propos du Plan De Man du Parti ouvrier belge (POB)?

Dans les années trente, les gens étaient très crus, et beaucoup plus directs que maintenant. Aujourd’hui, je vois plus de subtilité – ce qui n’est pas sans danger non plus. L’Open VLD a des slogans faibles tels que « gewoon doen » (juste faire). Tout comme le « doe normaal » (agir normalement) de ses homologues hollandais, c’est incroyablement mou, mais il y a un double fond dangereux. Quand on dit qui est normal ou juste, on dit aussi qui ne l’est pas. Je trouve dangereux de qualifier des gens d’anormaux. De plus, il n’est pas libéral de dire qu’il suffit de suivre le reste. Comparé à ça, le « je suis nous » du CD&V est tout aussi fade, mais complètement inoffensif.

Qui fait aujourd’hui la meilleure propagande?

La N-VA. De très loin. Elle connaît le mieux les techniques. La répétition, par exemple. Le slogan pour les élections locales en 2012 était le même pour tous les candidats dans toutes les communes: « De kracht van verandering » (La force du changement). Ensuite, il y a eu le congrès « Verandering voor vooruitgang » (Le changement pour le progrès), et après deux années de coalition fédérale, la campagne intermédiaire « Le changement fonctionne ». Le parti est également doué pour déformer et pétrir la vérité, de manière un peu moins innocente. Lors d’une interview croisée accordée à Knack avec le vétéran de mai 68 Paul Goossens, le porte-parole de la N-VA, Joachim Pohlmann a déclaré que Donald Trump était l’héritier ultime de mai 68. Goossens a parfaitement compris l’intention de Pohlmann en répliquant que si mai 68 n’existait pas, la N-VA devrait l’inventer. « C’est si utile de le caricaturer pour jeter le discrédit de la gauche. » Un dernier exemple: jouer sur les émotions. Le hashtag « Je soutiens Theo » (l’action Twitter en soutien au secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Theo Francken, NDLR) était incroyablement pathétique, non? (sèchement) Quand je lis cela, je prends mon mouchoir et je verse une larme.

Qu’y a-t-il du mal à soutenir un politicien qui partage vos idées?

Il n’y a là rien de rationnel. C’est une exclamation purement émotionnelle de victimisation, alors que Francken est généralement au moins coauteur de cette série interminable de tollés Twitter qu’il aime tant provoquer. Francken a bien compris le pouvoir des émotions. En témoigne sa déclaration à Knack qu’on ne gagne pas les élections avec un budget équilibré.

Est-il logique qu’un parti nationaliste soit meilleur en propagande qu’un parti libéral ou chrétien-démocrate?

Cela dépend plutôt de la radicalité du parti. Plus il est proche du centre, plus la communication est tiède, comme le « Ik ben wij » (Je suis nous) du CD&V. Donc ça ne dit rien, hein. Ou « SP.A en jij. Wij maken de toekomst » (SP.A et vous. Nous faisons l’avenir). C’est vraiment flou, non ? Non, alors la N-VA:  » Veilig thuis in een welvarend Vlaanderen  » (En sécurité dans une Flandre prospère). En une phrase, elle résume ses deux messages clés: sécurité et identité. Le Vlaams Belang va encore plus loin: par exemple : « Vlaanderen weer van ONS » (La Flandre de nouveau à NOUS). Ou les photos d’une vieille femme dépouillée, avec le slogan « Crimigranten buiten » (crimigrants dehors).

Les réseaux sociaux créent-ils des possibilités inédites pour la propagande?

Sans aucun doute. Et en raison de l’association unique et sans précédent qu’ils rendent possible: une communication à la fois à grande échelle et hyperindividuelle. Barack Obama et Donald Trump ont en partie remporté leur présidence grâce à cette évolution. De plus, les réseaux sociaux permettent aux politiciens de communiquer directement avec l’électeur. Avant que Twitter existe, il fallait envoyer un communiqué de presse. Les médias filtraient le message. Sans ce filtre, la communication devient de la propagande. Les médias peuvent faire autant de factchecking qu’ils veulent, ils courent derrière les faits.

Trouvez-vous sage de comparer la situation actuelle aux années 1930?

À condition de le faire correctement. Il y a des points communs avec aujourd’hui, mais les années trente ne sont pas de retour. Le populisme n’est pas du fascisme, le contexte géopolitique est chaud aujourd’hui, mais différent de l’époque. Il faut également tenir les points communs à l’oeil: la droitisation croissante et la polarisation, le fait que les gens sont frustrés par la mondialisation et la migration qui déferlent sur eux et sur lesquelles ils n’ont aucun contrôle. Autre analogie inquiétante : la démocratie qui perd de son lustre. Le leader socialiste Hendrik De Man est également tombé dans l’autoritarisme avant et pendant la guerre. Dès juin 1940, il salue la victoire allemande comme « un salut pour les classes laborieuses et pour le socialisme ». Et pour la mise en oeuvre de son fameux plan, il voulait contourner le parlement avec des procurations.

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