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La pouponnière belge de Hitler

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Pendant la dernière guerre, le château de Wégimont, près de Liège, a accueilli la maternité Ardennen. Une cinquantaine d’enfants nés de femmes de SS belges et allemands y ont vu le jour.

Comment fonctionnait cette fabrique d’enfants « aryens » ? Que sont devenues les chères têtes blondes de Hitler ? Retour sur cette histoire ahurissante tombée dans l’oubli.

C’est à Wégimont, en bordure du plateau de Herve, entre Liège et Verviers, que 40 à 50 bébés sont nés d’un père SS allemand, flamand ou wallon et de femmes majoritairement belges. C’est au pied de l’escalier monumental du château que ces bambins de la « race supérieure de Germains nordiques », destinés à constituer la future élite d’un Troisième Reich censé durer mille ans, ont été « baptisés » par le Sturmbannführer-SS Walter Lang, spécialiste des questions raciales et directeur de la maternité, ou par son adjoint, le Hauptmannführer-SS Pletsch, un invalide de guerre, borgne et estropié, chargé de l’administration du domaine de Wégimont.

Nazisme, sexe et eugénisme

Les filles-mères qui accouchaient dans l’anonymat au château pouvaient ainsi se soustraire au jugement moral de leur famille, du voisinage ou du prêtre. Les plus démunies voyaient dans l' »institution » la chance d’échapper à une maternité non désirée. Car le nourrisson illégitime pouvait être abandonné à la nurserie SS après douze semaines de séjour. Toutes les traces de son origine étaient alors effacées, y compris le nom des parents et le lieu de naissance. Seuls les responsables nazis connaissaient sa véritable ascendance, consignée dans un registre d’état civil confidentiel, qui n’a jamais été retrouvé. Seule importait l’apparence physique de ces « têtes blondes ».

Nés au château entre le printemps 1943 et l’été 1944, ces enfants « parfaits » sont aujourd’hui à l’âge de la retraite. La plupart d’entre eux se sont mariés, ont eu des enfants à leur tour, mais restent marqués par le sceau de leurs origines. Un secret qu’ils ont découvert sur le tard, le jour où une mère vieillissante a brisé le tabou. Ou lorsqu’ils ont pu, enfin, consulter leur dossier personnel à l’Assistance publique française, à partir des années 1990. Les enfants nés à Wégimont parlant en général le français, ils ont, en effet, été envoyés arbitrairement en France en 1946. Ces dernières années, quelques-uns sont partis à la recherche d’une mère, belge, et d’un père, en général allemand, a priori membre de l’Ordre noir de Heinrich Himmler, chef de la Gestapo, « architecte de la Solution finale » et fondateur des maternités SS.

Vivants symboles de la Collaboration

Toutefois, jusqu’aux années 1980, l’existence de l’organisation Lebensborn (« Fontaine de vie », en vieil allemand), la structure des nurseries SS, est largement considérée comme une rumeur en Allemagne. En 1985, Georg Lilienthal, un jeune historien spécialiste de l’eugénisme nazi, consacre une thèse au sujet, mais elle ne retient pas l’attention des journaux. Il faudra attendre sa réédition en collection de poche, en 1994, pour que la question émerge enfin sur la place publique.

Certains des 9 000 SS-Kinder allemands sortent alors du silence. En Norvège, premier pays où les nazis ont exporté le projet à partir de 1942 – ils y ont ouvert une dizaine de centres, quelques-uns des 12 000 Tyskungar (« enfants de Boches », en norvégien) osent réclamer justice au tournant des années 2 000. Car ces vivants symboles de la collaboration ont été l’objet de sordides vengeances après la guerre.

Un pan oublié de l’histoire

La maternité SS de Wégimont, en Belgique, et celle de Lamorlaye, près de Chantilly, au nord de Paris, constituent l’autre pan, encore plus oublié, de cette histoire ahurissante. Un historien français, Marc Hillel, a consacré quelques pages à ces lieux fantômes dans Au nom de la race (1975). Mais le destin des gosses rapatriés en France après la guerre était à peine évoqué dans ce livre. L’auteur s’était surtout lancé sur la piste des responsables SS, toujours en vie à l’époque.

Jugés en 1948 lors des procès de Nuremberg, quatre des chefs de file de l’organisation L (pour Lebensborn) ont été libérés à l’issue des audiences. Ils ont convaincu le tribunal que les maternités étaient une « oeuvre de charité ». Seule leur appartenance à la SS sera finalement sanctionnée. Le général Max Sollmann, administrateur en chef, le médecin-chef Gregor Ebner, un intime de Himmler, et Günther Tesch, directeur du département juridique, tous trois détenus depuis 1945, ont été relâchés, leur peine étant purgée. Inge Viermetz, l’assistante de Sollmann et première responsable de la maternité de Wégimont, elle, sera tout simplement acquittée. La nature criminelle de ce que les enfants des nurseries SS ont subi n’est donc pas établie au yeux des Alliés. En 1945, dans les décombres de l’Europe, ces orphelins sont quantité négligeable.

La plupart des enfants du Lebensborn n’ont jamais retrouvé leurs parents naturels. Après la guerre, les petits ont été confiés à des services sociaux, placés dans des orphelinats, dans des familles d’accueil, en Allemagne, dans le pays d’origine de leur mère, et jusqu’au Canada ou en Australie. Certains ont été adoptés. Beaucoup se sont fait traiter, un jour ou l’autre, d' »enfant de la honte » ou de « sale Boche ». Sans bien sûr pouvoir comprendre ce qui leur était reproché. Ces gosses, preuve vivante de la folie nazie, incarnent la mauvaise conscience d’une époque sans pardon.

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