Le CD&V a provoqué une crise gouvernementale en réclamant une taxation des plus-values. Son vice-Premier, Kris Peeters, a fait bande à part. © Belga

La politique Michel déjà plombée par les partis en perpétuelle campagne

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

La minicrise vécue par le gouvernement Michel, deux ans après sa prestation de serment, illustre la fébrilité de la rue de la Loi. En raison de sondages médiocres pour tous et du scrutin communal d’octobre 2018.

Il y a de la fébrilité dans l’air politique, à mi-parcours de la législature. Le Premier ministre, Charles Michel, a été contraint de reporter sa déclaration de politique générale devant le Parlement, qui devait avoir lieu mardi 11 octobre. Un camouflet, deux ans jour pour jour après sa prestation de serment. La faute à un CD&V au bord de la crise de nerfs, désireux d’obtenir une avancée en matière de taxation des plus- values, pour compenser les lourdes économies annoncées dans le secteur des soins de santé. Tandis que N-VA et Open VLD, en choeur, s’opposaient à davantage de taxation.  » Ce report n’est pas élégant, mais ce n’est pas un drame « , temporisait Wouter Beke, président du CD&V. Peut-être. Il s’agissait pourtant d’une minicrise, sérieuse. Qui mine, à terme, la perspective d’une suédoise II.

C’est aussi une confirmation du climat ambiant : en coulisses, les grandes manoeuvres sont lancées en vue des prochains scrutins. Les partis poursuivent d’un bon pas leur réflexion interne – le MR tient un congrès doctrinal le 15 novembre, le PS mi-2017 – et affinent leur positionnement à coups de déclarations médiatiques. Des contacts se renouent, des inimitiés s’expriment et des coups se perdent. L’horizon est certes lointain : les élections communales auront lieu dans deux ans, le 14 octobre 2018, et régionales et législatives, huit mois plus tard. Mais en cet automne politique torride, nos dirigeants retrouvent leur modus operandi habituel : ils donnent l’impression d’être en campagne électorale permanente.

La pression des sondages

Benoît Rihoux :
Benoît Rihoux : « Une lutte pour la survie est engagée pour le CD&V. »© F. SIERAKOWSKI/ISOPIX

 » L’élément de fébrilité provient du fait que personne ne se porte bien dans les sondages, souligne Pascal Delwit, politologue à l’ULB. Du côté flamand, la N-VA est à sept ou huit points de son score de 2014, l’Open VLD et le SP.A ne remontent pas, le CD&V reste, au mieux, à son niveau. Et en Wallonie, le MR est en dessous de 2014, le PS aussi, pour ne pas parler du CDH et d’Ecolo. Cela induit beaucoup d’incertitudes. Dans l’état actuel des choses, aucun parti ne va sereinement à l’élection.  » Si les responsables politiques ont coutume de dire qu’ils ne prêtent guère de crédibilité à des intentions de vote dont la fiabilité est contestable, la réalité est tout autre : cela les obnubile, littéralement.

Fallait-il une démonstration concrète de ce propos ? Jusqu’au-boutiste dans le débat budgétaire, le CD&V venait d’être gratifié, le matin du 10 octobre, du plus mauvais score de son histoire dans un sondage du Standaard : 16,8 %, en nette chute par rapport à son (mauvais) score électoral de 2014 (18,5 %). Qualifié, il y a un an déjà, de  » nouveau PS  » par le politologue Dave Sinardet, le parti peine à se ressaisir. Malmenée dans sa popularité par sa participation au pouvoir, la N-VA se multiplie, elle aussi, sur tous les fronts et a relancé en interne sa réflexion sur le confédéralisme. Fait majeur du moment, il est vrai : tous les partis de la suédoise perdent du terrain, au point qu’ils ne disposeraient plus, ensemble, de la majorité au Parlement. Voilà les cartes rebattues.

C’est le cas aussi du côté francophone, où les sondages induisent des changements importants : le PTB y grimpe à la troisième place, devant le CDH et Ecolo.  » La Wallonie est un cas très bizarre, constate Benoît Rihoux, politologue à l’UCL. C’est une région en transition industrielle, dans laquelle il y a un potentiel de protestation important et où il n’y a pas une grande confiance envers le gouvernement. C’est dire s’il y a une fenêtre de tir importante pour la naissance d’un populisme radical. Mais ce n’est pas encore arrivé. Cette fois, l’exception pourrait s’arrêter. Le Parti populaire n’a pas transformé l’essai, le PTB pourrait le faire.  »

Cela place le PS dans une  » équation stratégique difficile « , constate Benoît Rihoux. Contraint de se radicaliser, tout en restant ouvert à la perspective d’une grande alliance avec le MR. A moins qu’il ne tente l’alternance. Marc Goblet, secrétaire général de la FGTB, a relancé un appel à  » l’union de la gauche  » – son leitmotiv.  » En Belgique, il ne faut jamais rien exclure a priori, enchaîne Pascal Delwit, qui connaît bien le PTB pour lui avoir consacré un ouvrage. Mais cela me paraît très peu plausible. Cela compliquerait encore la position du PS au fédéral en accréditant davantage l’image d’une Flandre à droite et d’une Wallonie à gauche. Tous les mandataires socialistes – Demotte, Magnette, Demeyer, Di Rupo… – sont en outre des bourgmestres qui ont besoin d’attirer des investisseurs. S’allier au PTB, c’est un message qu’ils ne peuvent pas se permettre d’envoyer. Au PTB aussi, la perspective d’une participation au pouvoir, avec ses renoncements, provoque déjà des tensions en interne. Ce n’est pas pour rien que Raoul Hedebouw reporte l’idée à un horizon de dix ou quinze ans…  »

Mardi 11 octobre: les bancs ministériels vides au Parlement. Le gouvernement est en
Mardi 11 octobre: les bancs ministériels vides au Parlement. Le gouvernement est en « grève généralisée », dixit Kristof Calvo (Groen).© NICOLAS MAETERLINCK/BELGAIMAGE

Les deux partis les plus mal en point, le CDH et Ecolo, sont quant à eux engagés dans une lutte pour leur survie. Ce n’est pas pour rien que Benoît Lutgen, président du CDH, clame que  » le projet du PTB est un appel à la guerre civile « , renvoie à ses études Louis Michel et son  » grand parti de centre-droit  » ou évoque à demi-mot la possibilité d’un projet avec Jean-Michel Javaux, ancien coprésident d’Ecolo, aujourd’hui à la tête de Meusinvest.  » Le risque pour le CDH, passé sous les 10 %, c’est que ses électeurs se disent que c’est une cause perdue, commente Pascal Delwit. Mais paradoxalement, c’est plutôt d’Ecolo que je ne vois rien venir…  » Invitée de la RTBF, fin septembre, l’actuelle coprésidente, Zakia Khattabi, a réfuté la perspective d’un  » front du centre  » avec le CDH.  » Le centre, martèle-t-elle, ça n’a jamais fait un projet, c’est une stratégie.  » Les sondages ?  » Le contexte social est tel qu’on voit à qui ils profitent. Ils ont été réalisés pendant et après Caterpillar. Je constate juste que nous ne sommes jamais descendus en dessous de notre score électoral.  » Tirez les rideaux ?

L’importance des communales

La multiplication des sondages n’est pas la seule source de nervosité. Dans les campagnes, on se retrousse les manches en vue de 2018. A Mons, le MR Georges-Louis Bouchez, qui avait été écarté de la majorité par le bourgmestre Elio Di Rupo, en avril dernier, en raison de son  » manque de loyauté « , multiplie les provocations et clame sa volonté de faire tomber le président du PS de son piédestal dans deux ans. Mardi 11 octobre, le jeune loup libéral a littéralement bombardé son adversaire d’interpellations au conseil communal.

 » Si le PTB opère une percée significative, comme le laissent présager les sondages, dans un certain nombre de villes comme La Louvière, Charleroi, Liège ou Seraing, cela pourrait imposer que davantage de partis soient nécessaires pour composer une majorité ou que les deux principaux, PS et MR, s’associent, note Pascal Delwit. Mais à Mons, il y a visiblement peu de chances que cela arrive. Il pourrait encore y avoir d’autres cas de figure intéressants : à Wavre notamment, où le député fédéral Stéphane Crusnière a réinstallé le PS et pourrait titiller Charles Michel.  »

L’échéance communale sera d’autant plus importante qu’elle survient peu de temps avant les scrutins fédéraux : les coalitions qui s’en dégageront seront des indicateurs précieux.  » On constate une nationalisation de la politique communale, relève Benoît Rihoux. Malgré la progression croissante de listes non partisanes, il y a de plus en plus d’interventions des présidents de parti. On essaie davantage qu’avant d’imposer les alliances privilégiées.  »  » Ce sera un test important pour les partis et les personnalités politiques de la majorité, poursuit Pascal Delwit. L’exemple le plus évident est à Anvers où le résultat de Bart De Wever sera crucial. La N-VA va-t-elle payer sa guéguerre avec le CD&V d’un retournement d’alliance à Anvers ? Le MR va-t-il payer le prix de son isolement du côté francophone ? Chez les libéraux, on regardera par ailleurs d’un oeil attentif ce qui se passera à Tournai, avec Marie-Christine Marghem.  » Bref, c’est un fameux test.

La politique Michel déjà plombée par les partis en perpétuelle campagne
© DR

En Flandre, particulièrement, ça gesticule. A Hasselt, le SP.A a dû céder le maïorat au CD&V après une crise locale. A Wetteren, deux échevins N-VA ont été exclus de leur parti en raison d’une  » rupture de confiance « .  » Au nord du pays, tout le monde a des raisons d’être préoccupé, signale Benoît Rihoux. Mais de manière générale, c’est la N-VA face à tous les autres. Une lutte pour la survie est engagée pour le CD&V, qui a concédé énormément de terrain aux nationalistes en 2012, et dans une moindre mesure pour l’Open VLD et le SP.A.  » Voilà une autre raison vitale pour le CD&V d’exister. Et de montrer qu’il pèse au sein du gouvernement.

Une surcommunication contre-productive

Une campagne électorale permanente ? C’est, à vrai dire, inhérent au système politique proportionnel belge, alors que le gouvernement Michel avait, cette fois, cinq ans pour mener des réformes dans un climat apaisé.  » Dans des gouvernements de coalition, chaque parti reste obligé de se distinguer des autres en veillant en permanence à sa communication politique « , indique le politologue de l’UCL. Qui prolonge le raisonnement :  » Au sein de l’OCDE, la Belgique est globalement un pays qui a des performances publiques, socio-économiques ou environnementales assez correctes. Mais sa faiblesse, depuis toujours, c’est la capacité de mener des réformes en raison de la multiplication des pouvoirs et des divergences nord-sud. C’est un pays où il est difficile de faire bouger les lignes sur le plan social. Il faut reconnaître que cet exécutif a réussi à le faire, que l’on soit d’accord ou non avec le résultat.  »

Mais ces crises à répétition lassent la population. Et nourrissent davantage l’antipolitisme qu’elles ne gratifient leurs protagonistes.  » Il ressort de nos enquêtes que les électeurs ont tendance à prendre du recul quand ils sont soumis à trop de messages contradictoires, conclut Benoît Rihoux. Cette campagne électorale permanente a un effet plutôt négatif et nourrit le populisme.  » Traduisez ? Le PTB dit merci au CD&V pour sa croisade contre le capital.

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