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La police a-t-elle peur du gendarme ?

Muriel Lefevre

Catherine De Bolle a pris la direction d’Europol. Si les louanges pour son travail à la tête de la police n’ont pas manqué, certains refrènent leur enthousiasme dit De Standaard.

Il y a cinq jours, Catherine De Bolle a quitté son commissariat général pour prendre la direction d’Europol, à La Haye. « La police européenne fait là une affaire en or », selon Jan Jambon. Il se joignait à un concert de louanges. Mais, en interne, certains ne cachent pas leur joie de voir leur cheffe lever le camp.

Le syndicat de police Sypol, par exemple, a clairement indiqué dans un communiqué qu’il était heureux de son départ. « Le départ de la commissaire générale Catherine DE BOLLE vers EUROPOL ne doit pas éclipser la situation catastrophique qu’elle laisse derrière elle au sein de la police fédérale et en particulier dans le pilier judiciaire dont le directeur général de la police judiciaire est Claude Fontaine. »

Pour mémoire, la direction criminalité organisée (DJOSC) de la police judiciaire fédérale (PJF) comprend notamment les offices centraux tels que l’OCRC (lutte contre la corruption), l’OCDEFO (lutte contre la criminalité financière grave et organisée), le FCCU (cybercriminalité) et le DJMM (PJ en milieu militaire) et d’autres services spécialisés. Le cadre total prévu est de 292 personnes. Il est actuellement de 214 dont 12 détachés. La situation est intenable et si rien ne change à très court terme, les missions tel que prévu par la loi ne pourront plus être remplies. Ainsi, pour l’OCRC, il y a actuellement 42 personnes sur 66, l’OCDEFO 11 sur 16. Quant au FCCU, sur un cadre de 44, il en reste 22 dont 7 vont partir en septembre, soit 1/3 de sa capacité.

« On a les budgets, mais on n’arrive pas à recruter » dit Callewaert de Sypol. La fuite des membres du FCCU s’explique notamment par le fait que ces enquêteurs hyper spécialisés ne bénéficient pas de la prime d’enquête à l’inverse de leurs collègues des RCCU (Regional Computer Crime Unit). Le syndicat dénonce également la « réduction drastique » des laboratoires de police scientifique et technique et le démantèlement du service « Trafic des oeuvres d’art ». « On sait que ce commerce est une source importante de financement du terrorisme. Le démantèlement s’est même fait contre l’avis d’Interpol. Sypol n’a pas beaucoup d’espoir que la situation s’améliore. « Le nouveau commissaire général (Marc De Mesmaeker) est originaire de la gendarmerie, tout comme De Bolle », explique Callewaert dans De Standaard.

« La peur d’une gendarmerie à la tête de la police fédérale est liée aux racines de Sypol. Ce syndicat a particulièrement à coeur les intérêts des inspecteurs de police, car ils comptent beaucoup de personnes de l’ancienne police judiciaire des parquets (PJP) dans ses rangs », peut-on lire dans le Standaard. Après la réforme de la police, au début des années 2000, on a fusionné cette section avec la gendarmerie dans la police intégrée. Ensemble, au sein d’une même police judiciaire fédérale, ils s’attaqueraient aux crimes graves. Sauf que les querelles internes qui ont paralysé l’appareil policier dans les années 1990 ne sont pas toutes enterrées et refont régulièrement surface.

Ces anciens de la gendarmerie qui « squattent » la hiérarchie de la police

Déjà en 2015, les tensions au sein de la police avaient à nouveau atteint la place publique à l’occasion d’un arrêté royal qu’on avait ressorti d’un tiroir du SPF Justice. C’est surtout un nota bene, ajouté par la direction de la police fédérale, qui visait à décentraliser les moyens de lutte contre la criminalité financière, qui va mettre le feu aux poudres. On soupçonne que l’initiative venaitde la hiérarchie de la police fédérale qui était alors quasi exclusivement composée d’ex-gendarmes (la commissaire générale, les directeurs généraux de la police judiciaire et administrative, l’inspecteur général de la Police fédérale et de la Police locale et le président du Conseil fédéral de la police étaient tous d’anciens gendarmes) et était une sorte de coup d’État pour faire main basse sur la police. L’Echo titrait même « les anciens gendarmes veulent-ils reprendre la main à la police fédérale? ».

Cette tentative aurait été en réalité la troisième attaque, toujours selon l’Echo, lancée par l’ex-gendarmerie contre l’Office central de lutte contre la délinquance économique et financière organisée (OCDEFO).La première « attaque » remonterait à 1996, lorsque l’ordinateur de Jean-Pierre Doraene (ex-péjiste) et fondateur de l’OCDEFO, est piraté par son adjoint (ex-gendarme) pour récupérer un rapport sur le fonctionnement de l’OCDEFO. S’en suivra un rapport cinglant du Comité P sur les tentatives de sabotage de l’ex-gendarmerie vis-à-vis de l’OCDEFO. La deuxième « attaque » aurait eu lieu en 2013, Catherine De Bolle, alors commissaire générale de la Police fédérale, mais aussi ex-gendarme, envisage un plan d’optimalisation des services de police où on démantèlerait l’OCDEFO et la FCUU. Joëlle Milquet, alors ministre de l’Intérieur s’oppose vertement au projet. Lire aussi : la guerre des polices, le retour

Sypol a lui aussi quelques ennemis depuis, qu’en 2014, l’appel introduit par le syndicat auprès de la Cour constitutionnelle dans le cadre de divers régimes de retraite va augmenter l’âge de la retraite pour tous les policiers. C’est un euphémisme de dire que cette décision n’a pas réjoui tout le monde.

Par ailleurs, si ce syndicat est reconnu, il n’est pas représentatif. Ce qui fait qu’il n’est pas impliqué dans les négociations selon De Standaard. Selon le porte-parole de De Bolle, Peter De Waele, c’est aussi le point faible de Sypol. « Ils ne savent pas à quel point le commissaire général a exhorté le ministre Jambon à renforcer les GFJ. Par ailleurs, on notera que c’est un peu lâche de ne l’attaquer qu’une fois qu’elle est partie. »

Le porte-parole de Jambon, Olivier Van Raemdonck, indique pour sa part que le problème d’effectifs indiqué par Sypol est connu depuis un certain temps. « Nous cherchons des solutions. Le problème est que les budgets existent, mais il n’est pas si facile de trouver des policiers bien formés et de qualité. Cela prend du temps. Nous savons que la police doit devenir un employeur plus attrayant. KPMG finalise actuellement un audit sur le recrutement. »

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